Crise économique - Faute d'anticipation, les plans sociaux se multiplient
Avec les effets de la crise, le manque d'anticipation des entreprises et des territoires commence à se faire durement sentir. Et le problème pourrait s'avérer très préoccupant dans les mois à venir, selon les dirigeants du groupe Alpha. "La crise qui a d'abord touché l'automobile commence par propagation à toucher bien d'autres secteurs comme le BTP, la distribution", alerte Martin Richer, directeur général de la société Secafi (la branche Accompagnement des comités d'entreprises du groupe qui vient de se restructurer). Les plans de départs volontaires ou les RTT ont pu servir d'amortisseur mais plus pour longtemps. "Au premier semestre 2008, les PSE [plans de sauvegarde de l'emploi, nouveau nom donné aux plans sociaux, NDLR] étaient au niveau le plus bas jamais atteint en France. Depuis juin 2008 au contraire, on a assisté à un flot de PSE tel que la France n'en avait jamais connu de son histoire", analyse-t-il, appelant les comités d'entreprises à faire preuve de vigilance face aux plans opportunistes. Camif, La Redoute, Renault, PSA, Amora, sans parler du secteur bancaire : pas un jour ne se passe sans l'annonce d'une fermeture d'usine ou d'un dégraissage. Sur le terrain, l'inquiétude monte, poussant le chef de l'Etat, lors d'un déplacement à Châteauroux mardi 27 janvier, à faire montre de pédagogie, à deux jours d'une journée nationale d'action. Concernant le plan pour l'automobile, Nicolas Sarkozy a annoncé des "mesures structurelles" qui seront rendues publiques "dans la première quinzaine de février". "Il n'y aura pas un centime d'argent public si je n'ai pas en contrepartie des engagements clairs de nos constructeurs" sur l'absence de délocalisations, a-t-il prévenu. Pour le reste, rien de très nouveau par rapport à son discours de Rethel d'octobre dernier avec l'extension du contrat de transition professionnelle à 25 bassins d'emploi dont Châteauroux, Calais, Châtellerault, Douai, l'Etang de Berre et Mulhouse.
GPEC territoriale
De quoi soulager des territoires fragilisés même si le problème de fond reste entier. "Il y a quelque dérives qu'on aurait pu maîtriser, quelques pays font mieux que nous mais on n'anticipe pas, on attend au dernier moment les restructurations", analyse Pierre Ferracci, le PDG du groupe Alpha. Le risque pour l'entreprise est d'être entraîné dans une "spirale de la restructuration".
C'était tout l'enjeu de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Trois ans après, la loi Borloo-Larcher de 2005 ayant rendu obligatoire la négociation au sein de l'entreprise n'a pas obtenu les effets escomptés. "C'est un pétard mouillé, les entreprises et les partenaires sociaux n'ont jamais joué le jeu. Un constat qui tient autant à la faiblesse des syndicats dans les entreprises qu'à la frilosité du patronat", déclare Alain Petitjean, directeur général de Sémaphores, la branche Accompagnement des entreprises et des territoires du groupe Alpha. La "GPEC territoriale", c'est-à-dire l'analyse des besoins à l'échelle d'un territoire, est d'ailleurs l'un des rendez-vous manqué de la négociation sur la formation professionnelle. Or il reste peu de temps pour corriger le tir avant le projet de loi annoncé pour le printemps 2009. Pour Pierre Ferracci, "la GPEC n'a pas été suffisamment liée à la formation. Très vite, les salariés se sont dit que le but était de préparer une restructuration, on a même parlé de GPSE". Autre problème : l'absence de plans de formation au niveau des bassins d'emploi. Exemple avec la filière nucléaire à Chalon-sur-Saône et au Creusot où Areva et ses sous-traitants font face à un grave manque de compétence. "Dans le même temps, il y a de très nombreux bassins d'emploi qui vont dégorger. Or il n'y a aucune mutualisation des plans de formation", regrette Alain Petitjean. La clé réside donc dans un bon dialogue social tel que celui mis en place il y a deux ans par la direction de Thomson qui au moment de se séparer de sa filiale Videoglass a financé un ambitieux plan de reconversion, en partenariat avec les collectivités et l'Etat. L'objectif : permettre à ses 300 salariés de continuer à travailler avec le repreneur espagnol Rioglass. Reste que pour Pierre Ferracci, l'accord sur la formation professionnelle trouvé par les partenaires sociaux le 7 janvier dernier "n'a pas permis de sortir d'un paritarisme de branche un peu sclérosé". "Il ne faudrait pas sortir de cette crise en continuant les mêmes pratiques", juge-t-il.
Michel Tendil
Réforme de la formation : "Il faut que les régions se remettent en jeu"
La réforme de la formation professionnelle est mal engagée pour les régions. Quelques semaines après l'accord trouvé entre syndicats et patronat, le gouvernement doit à présent boucler son projet de loi annoncé pour le printemps 2009. Or, selon Pierre Ferracci, le PDG du groupe Alpha, les régions n'ont pas pris à temps la mesure du risque qui planait sur elles. "Les régions sont les perdantes de la négociation, il faut qu'elles se remettent en jeu. Elles ont été mises de côté et ne font pas partie du pivot du système", explique l'ancien président du groupe multipartite (Etat, régions, partenaires sociaux) dont les conclusions remises en juillet dernier avaient servi de prélude à la réforme. "On n'est pas allé jusqu'au bout de la décentralisation, quoi qu'on en pense. Or, avec la crise, on sent une volonté de remettre l'Etat au pinacle, la tentation de décentraliser se fait de moins en moins forte", analyse-t-il. Pour Pierre Ferracci, les régions "ont loupé le coche" au moment des débats sur la création d'un fonds régional de sécurisation, fonds qui aurait été placé sous le contrôle de l'Etat mais pour lequel elles avaient une carte à jouer. "Elles auraient dû entrer dans la logique plutôt que de craindre de se faire piéger. Résultat : le piège s'est refermé sur elles et on a finalement un fonds national de sécurisation", explique-t-il. L'idée de fonds régionaux avait été proposée par le groupe multipartite avant d'être reprise par la député Françoise Guégot, présidente de la mission d'information à l'Assemblée nationale, dans son rapport du 4 décembre 2008. Finalement, l'accord trouvé le 7 janvier par les partenaires sociaux prévoit la création d'un Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), se substituant à l'actuel Fonds unique de péréquation (FUP).
Tout n'est pas joué d'avance cependant. Selon Pierre Ferracci, "les régions doivent à présent essayer de revenir dans le jeu, ce que font certaines avec des accords de sécurisation conclus avec les partenaires sociaux et l'Etat : le Centre, Paca, l'Ile-de-France ou l'Alsace".
L'une des principales revendications des régions serait de rendre les plans régionaux de développement des formations (PRDF) prescriptifs, comme l'avait proposé le sénateur Jean-Claude Carle dans son rapport il y a deux ans. Mais en la matière, "on a toutes les couleurs de l'arc-en-ciel", estime encore Pierre Ferracci, "certaines régions ont une véritable planification stratégique alors que d'autres se limitent encore à une aimable coordination".
M.T.