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Crise financière - Faut-il réformer le Code des marchés publics ?

Le Code des marchés publics laisse une très grande liberté aux acheteurs locaux pour faire appel au marché financier. Au regard de la crise des produits complexes, faut-il, comme le promeut Olivier Régis, délégué général du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, formaliser les procédures et interdire certains produits ?

"Il faut réformer le processus d'achat, par les collectivités, de produits financiers." Pour Olivier Régis, délégué général du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales (SFL-Forum), le Code des marchés publics n'est pas assez contraignant. L'article 3-5° du CMP prévoit que les dispositions du code ne s'appliquent pas aux "accords-cadres et marchés de services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers et à des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs".

 

Une question juridique d'actualité

La collectivité peut en effet gérer librement ses relations avec son cocontractant, sans avoir à organiser, sous quelque forme que ce soit, une procédure de publicité et de mise en concurrence. Cette exclusion se justifie par la spécificité de ce type de prestations. Il est communément admis que le respect des délais prévus par les procédures de marchés publics risquerait de priver les collectivités publiques de la réactivité nécessaire pour gérer leurs contrats d'emprunts et que le respect de ces délais peut être problématique lorsqu'il s'agit de couvrir des besoins financiers à court terme.
La question de la soumission ou non de ces prestations au CMP reste néanmoins d'actualité. En 2005, le litige qui opposait la Commission européenne à l'Etat français, au sujet du CMP de 2004, avait conduit le Conseil d'Etat, dans un arrêt, à annuler cette disposition, confirmant ainsi l'illégalité de l'exclusion des contrats d'emprunts du champ d'application des procédures de marchés publics. Le CMP de 2006 ne devrait plus poser de difficultés puisqu'il reprend, en les clarifiant, les termes de la directive de 2004. Néanmoins, la position de la Commission européenne et, a fortiori, celle du Conseil d'Etat, ne permet pas de garantir que l'attribution d'un contrat d'emprunt "hors procédure du Code des marchés publics" ne puisse pas être contestée, et ce avec succès, devant le juge compétent.

 

Une procédure plus contraignante ...

Il peut être opportun, surtout lorsque le montant de l'emprunt envisagé est supérieur aux seuils européens, d'appliquer les règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le code à l'article 40 pour les marchés de services. Cette solution est contraignante puisque la collectivité doit non seulement publier un avis d'appel à la concurrence (au Boamp mais également dans le Journal officiel de l'Union européenne si le montant du contrat dépasse les seuils) et engager une procédure d'appel d'offres mais elle offre une garantie contre tout risque de contentieux et peut permettre en outre de bénéficier de conditions financières plus favorables grâce à la mise en concurrence des prestataires.
Pour le délégué général du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, le Code des marchés publics doit aussi interdire certains produits : "Comment justifier des emprunts indexés sur le franc suisse ou sur le yen ? Les produits financiers doivent être en euros et accolés à des produits en lien avec l'activité des collectivités." "Il faut aussi, ajoute Olivier Régis, s'interroger sur les produits qui offrent pendant un certain délai des taux fixes mais qui ensuite sont à taux variable. Un élu qui souscrit à ces produits ne sera plus responsable de son évolution attendue et le poids en retombera sur ses successeurs." 

 

... et une responsablité confortée

Avec des règles de mise en concurrence et l'interdiction de certains produits, un véritable contrôle de légalité par le préfet et un contrôle des chambres régionales des comptes deviendrait, pour Olivier Régis, enfin possible. Pour autant, tous les produits financiers ne doivent pas être condamnés a priori : "Pendant 10 ans, la période était à la baisse des taux et les marges financières des collectivités étaient réelles. De plus, la part de produits indexés sur n'importe quoi est minime." Le gestionnaire local doit garder une part de liberté et donc de responsabilité.
Enfin, sur la proposition actuelle visant à créer une agence centralisée intervenant pour les collectivités sur les marchés, Olivier Régis est formel : "Une telle initiative aurait pour effet de menacer la décentralisation. De tels groupements imposerait à terme une tutelle de l'Etat et donc une perte d'autonomie pour les gestionnaires locaux. Ne revenons pas en arrière avec la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL)", qui il y a quarante ans, finançait le développement local. A l'inverse, le délégué général de SFL-Forum est favorable à une obligation qui pourrait être prévue dans le Code des marchés et qui viserait à obliger les banques d'investissement à fournir chaque mois un point sur la valorisation des produits complexes.

 

Clémence Villedieu et l'Apasp

 

 

Références :  directive 2004-18 du 31 mars 2004 ; Arrêt CE, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics et autres, 23 février 2005.

 

Non-application de la dérogation de l'article 3-5° du CMP

Attention, l'exclusion de l'article 3-5°) ne s'applique pas aux contrats de services financiers conclus en relation avec des contrats ayant pour objet l'acquisition ou la location de terrains, bâtiments ou autres biens immeubles (ex : contrats de crédit-bail). L'article 3-3°) dispose en effet que ces contrats de services financiers restent soumis au Code des marchés publics et selon les mêmes règles de procédure et de publicité que les marchés de services.

Voir expérience de Localtis : "Contrats d'emprunt : Montmagny (95) a lancé un marché à procédure adaptée, 13 avril 2005"