Face au risque de disparition, la TNT fait valoir son universalité
En 2030, la TNT pourrait disparaître pour répondre aux besoins en fréquences des opérateurs mobiles. Face à ce risque, les acteurs du secteur font valoir les atouts de la technologie hertzienne en termes d’aménagement du territoire, d’accessibilité du service, voire de sobriété numérique.
Face à la croissance exponentielle des usages de l’internet mobile, les opérateurs réclament de longue date de nouvelles fréquences avec des vues sur celles occupées par la télévision numérique terrestre (TNT). En 2018, l’Arcep avait suggéré d’arrêter cette technologie (voir notre article 26 juin 2018) avant de lancer une consultation publique montrant l’attachement des territoires à la TNT. "Certains ont voulu enterrer un peu trop vite la TNT, estime la députée Aurore Berger, alors que c’est un moyen essentiel pour permettre à l’ensemble des Français d’accéder à des informations, services et divertissements."
Divergences européennes sur le devenir des fréquences
L'élue des Yvelines avait du reste porté le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique en 2019 avant qu’il ne soit stoppé net par la crise sanitaire. Son successeur, la loi relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique a revu ses ambitions à la baisse sur la grande refonte envisagée du paysage audiovisuel. Il a néanmoins été décidé de sanctuariser les fréquences UHF 470-694 Mhz occupées par la TNT jusqu’à 2030 et de lancer une modernisation de la TNT. Au-delà de 2030, comme l’a rappelé Gilles Brégant, directeur général de l’ANFR à un colloque organisé à Paris le 15 novembre, "le sort de la TNT est entre les mains de la conférence mondiale de télécommunications. Or si La France, l’Italie ou l’Espagne défendent l’antenne râteau, l’Allemagne, la Suède ou encore la Finlande plaident pour l’introduction des réseaux mobiles dans cette bande UHF". Les discussions doivent démarrer en 2023, le sort de la TNT devant être tranché par l’Europe à partir de 2025.
Un service essentiel pour des millions de Français
Les raisons de préserver la TNT ne manquent pas. L’observatoire de l’Arcom, publié en juin 2022, souligne que "la TNT constitue toujours l’unique mode de réception pour 20,5% des foyers équipés en téléviseur(s), parmi lesquels sont surreprésentés les foyers d’une seule personne, ceux dont la personne de référence a plus de 50 ans ou est inactive, et ceux habitant dans des petites agglomérations. La TNT, reçue par 12 millions de foyers, demeure de ce fait essentiel pour plus de 5 millions d’entre eux". Et si l’érosion de la pénétration de la TNT est réelle face à la percée de la fibre elle reste la technologie qui couvre la totalité du territoire sans exception, soit par son réseau d’antennes soit par le satellite auquel accèdent quelques 2 millions de personnes. "La TNT est universelle et moins énergivore que les autres plateformes", souligne Olivier Huart, PDG de TDF, le principal diffuseur de la TNT. En outre, son modèle économique préserve la création culturelle – via les quotas de création auxquels sont soumis les chaines de télévision et auxquels échappent largement les géants du Net – et serait moins intrusive que l’IPTV (télévision par internet) qui tend à tracer les comportements des téléspectateurs à des fins publicitaires.
Moderniser l’ensemble de la chaîne de diffusion
Pour survivre, la TNT va cependant devoir proposer des services interactifs (mode pause, replay…) et améliorer la qualité des images. Le passage à la 4K, ou ultrahaute définition (UHDTV) exige cependant que toute la chaine de diffusion de la TNT investisse. Pour le moment, la 4K fait surtout l’objet de démonstrations, comme celles menées par Fransat (satellite, filiale d’Eutelsat) autour de grands évènements sportifs comme Roland Garros, avec en ligne de mire les JO de 2024. Le point de blocage majeur est celui des terminaux : "On compte 15 millions de foyers équipés en 4K, soit la moitié des Français", estime Stella Morabito, déléguée générale de l’Afnum, qui fédère les industries du numérique. Si ce chiffre est assez modeste comparé à l’équipement en smartphone - les TVHD sont pourtant commercialisées depuis 2013 - la filière espère que les JO de 2024 feront grimper ce chiffre à 75%. On ajoutera que ce sujet "terminaux" relativise fortement la sobriété écologique de la diffusion de la TNT, l’essentiel de l’empreinte carbone du numérique venant justement des écrans (voir notre article du 19 janvier 2022). Se posent également la question de l’adaptation à la 4K des logements sociaux, des copropriétés ou des Ephad au moment même où on pousse ces acteurs à accélérer sur la fibre et donc l’IPTV (Internet Protocol TeleVision, est le fait d'accéder à des canaux de télévision avec internet). Autre point sensible : la mise à disposition d’un multiplex dédié à la 4K en France pour élargir l’offre de programmes. Il suppose de réaménager les multiplexes existants pour faire de la place, les télévisions locales faisant partie des chaines qui pourraient être les premières à sauter. Et il ne faut pas non plus que les grands groupes, Canal+ ou TF1 en tête (voir notre article du 13 septembre 2022), quittent le navire TNT comme il en a été question ces derniers mois.
La 5G pour sauver la TNT ?
La pérennité de la TNT pourrait cependant venir… de la 5G. Les smartphones 5G sont en effet susceptibles de recevoir la TNT sans passer par internet (et le forfait data qui va avec). La technologie existe depuis 2017 et a fait l’objet d’expérimentations par le diffuseur TowerCast. Il reste que les terminaux compatibles avec la "5G broadcast" sont encore très peu nombreux, cette fonctionnalité passant par le bon vouloir des fabricants de smartphones. Cette avancée technologique ouvrirait la voie à un regain d’intérêt des jeunes générations pour la TNT et à des usages en mobilité. Elle n’assèche pas pour autant la question de la répartition des fréquences entre mobile et TNT. Les JO de 2024 devraient à cet égard faire figure de test, la coexistence 5G /4K s’annonçant "problématique en Île-de-France" au dire de l’ANFR.