Extinction des feux dans plus de la moitié du pays
Au total, 54 départements et 46 millions d'habitants seront samedi soumis au couvre-feu nocturne. Pour les territoires déjà concernés depuis le weekend dernier, la mesure ne touche plus la seule métropole mais l'ensemble du département. "Dès la semaine prochaine, nous réévaluerons le dispositif pour éventuellement le durcir", a prévenu Jean Castex. La ministre de la Culture a annoncé de nouvelles aides pour le spectacle vivant et le cinéma, tandis que le secrétaire d'Etat Cédric 0 a lancé l'application TousAntiCovid et enjoint les Français à s'en saisir.
Changement d'échelle et changement de ton. "La deuxième vague est là", "la situation est grave", "j'en appelle à la solidarité nationale et à une mobilisation sans faille"… La conférence de presse désormais hebdomadaire du gouvernement, emmenée ce 22 octobre en fin de journée par Jean Castex, n'a pas manqué de mots destinés à provoquer un sursaut. De mots et de chiffres. 41.000 cas enregistrés ces dernières 24 heures (soit 15.000 de plus que la veille, un record depuis le lancement des tests à grande échelle), 40% de hausse du taux d'incidence en une semaine, doublement du "taux de reproduction" en deux semaines, lits de réanimation occupés à 44% par des patients covid (et à plus de 50% dans quatre régions)… "Le mois de novembre sera éprouvant" et "le nombre de morts va continuer d'augmenter", a prévenu le Premier ministre.
D'où la décision d'étendre le couvre-feu dès ce samedi à minuit à 38 nouveaux départements et à la Polynésie. Ainsi, au total, 54 départements et 46 millions d'habitants sont désormais soumis au couvre-feu nocturne qui "s'appliquera de 21h à 6h sur l'ensemble du territoire des départements concernés et, normalement, pour une durée de six semaines" ("normalement", car il faut préalablement pour cela que le Parlement vote le nouveau texte de loi sur l'état d'urgence présenté mercredi en conseil des ministres). Les règles "seront les mêmes que pour les métropoles déjà placées en couvre-feu depuis samedi dernier", en l'espèce l'Île-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Rouen, Grenoble, Saint-Etienne, Montpellier et Toulouse : fermeture à 21h de la plupart des établissements recevant du public, contrôles et amendes… Jean Castex a fait savoir à ce sujet que depuis samedi dernier, "les forces de l'ordre ont effectué 32.033 contrôles et prononcé 4.777 verbalisations". En notant bien que pour les métropoles (ou parties de métropoles, comme l'ont précisé certains arrêtés préfectoraux) déjà concernées depuis le weekend dernier, Jean Castex a "demandé aux préfets d'étendre ce couvre-feu à l'ensemble du département". "L'extension de la mesure de couvre-feu à de nombreux autres départements, y compris certains dans lesquels le virus ne circule pas encore autant que dans les grandes métropoles, est une mesure préventive que j'assume", a déclaré le chef du gouvernement.
- Les départements qui étaient déjà concernés, pour tout ou partie : Bouches-du-Rhône, Essonne, Haute-Garonne, Hauts-de-Seine, Hérault, Isère, Loire, Nord, Paris, Rhône, Seine-et-Marne, Seine-Maritime, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d'Oise, Yvelines.
- Les 38 nouveaux départements : Ain, Alpes-Maritimes, Ardèche, Ardennes, Ariège, Aube, Aveyron, Bas-Rhin, Calvados, Corse du Sud, Côte-d'Or, Drôme, Gard, Haute-Corse, Haute-Loire, Haute-Savoie, Haute-Vienne, Hautes-Alpes, Hautes-Pyrénées, Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Jura, Loiret, Lozère, Maine-et-Loire, Marne, Meurthe-et-Moselle, Oise, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Pyrénées-Orientales, Saône-et-Loire, Savoie, Tarn, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse. La Polynésie Française.
S'il est "trop tôt" pour mesurer l'impact du couvre-feu (selon Olivier Véran, il faut pour cela un recul de 15 à 18 jours), dès "la semaine prochaine", en fonction "des résultats obtenus", "nous réévaluerons le dispositif pour éventuellement le durcir", a fait savoir Jean Castex. Le gouvernement n'exclut donc pas "des mesures beaucoup plus dures", alors que plusieurs pays, comme l'Irlande, viennent de décider des reconfinements. "Il est encore temps de l'éviter, mais il ne nous reste plus beaucoup de temps", a-t-il ajouté.
Le maire de Reims (Marne), Arnaud Robinet, a réagi en considérant que "le temps des polémiques n'est pas venu" et que "cette situation de crise exige le rassemblement". Son homologue de Cannes (Alpes-Maritimes), David Lisnard, a en revanche estimé que "le couple maire-préfet, que l'on nous avait tant vanté, n'existe pas". Jean Castex a en tout cas tenu à dire sa "gratitude aux collectivités territoriales impliquées dans la mise en œuvre des mesures de restriction, mais également dans les indispensables actions de communication et de prévention, notamment vis-à-vis des publics vulnérables ou fragiles".
Interrogé par la presse sur la raison ayant incité l'exécutif à ne pas imposer de couvre-feu sur tout le territoire national, Jean Castex a rappelé qu'une telle mesure, parce qu'elle "porte atteinte à notre liberté d'aller et venir", se devait d'être "parfaitement justifiée" – y compris le cas échéant "devant le juge" – en fonction de la situation de chaque territoire. C'est "le principe de différenciation territoriale", a abondé Olivier Véran, soulignant que le fait de prendre les mêmes mesures à Saint-Etienne ou à Belfort "n'aurait pas de sens". L'extension du couvre-feu à l'ensemble d'un département au lieu de la seule métropole permettrait quant à lui de "créer de la cohérence territoriale"…
"Les contraintes que nous devons collectivement nous imposer sont importantes", a reconnu Jean Castex, mais "l’État, toutes les collectivités publiques et les services publics" sont "mobilisés" dans cette crise "appelée à durer sans doute plusieurs mois encore". Olivier Véran a notamment détaillé ce qui était à l'œuvre pour "faire de la place" en réanimation : "libérer de la place dans les services de médecine dans les hôpitaux et les cliniques", déprogrammer des opérations…
Sur le terrain économique, les mesures de soutien annoncées jeudi dernier par Bruno Le Maire seront bien étendues "à l’ensemble des départements basculant sur le régime du couvre-feu" : renforcement du fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales, prolongement des prêts garantis, dispositifs d’activité partielle. Et le gouvernement compte "continuer à améliorer" les dispositifs.
115 millions pour spectacle vivant et cinéma
Parmi les secteurs les plus touchés par le couvre-feu… la culture. "Dans les territoires concernés, le couvre-feu a de lourdes conséquences sur le maintien de l'activité. Les structures adaptent les horaires, mais évidemment elles ne rencontrent pas forcément leur public. Et donc leurs ressources vont diminuer. Notre objectif, c'est à la fois de sauvegarder les programmations et les salles en permettant de jouer même à jauge extrêmement réduite", a expliqué la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, indiquant avoir échangé avec les professionnels mais aussi les élus locaux. A ce titre, on saura qu'elle réunira mardi les associations d'élus locaux dans le cadre du Conseil national des territoires pour la culture.
Après avoir souligné que les mesures annoncées la semaine dernière par le ministre de l'Economie s'appliquaient bien au secteur de la culture, Roselyne Bachelot a énuméré une série de mesures spécifiques.
En faveur du spectacle vivant tout d'abord, pour un total de 85 millions d'euros :
- Pour le "spectacle vivant musical" (secteur privé comme subventionné) : le fonds de sauvegarde et le fonds de compensation seront dotés de 55 millions d’euros complémentaires, dont 3 millions destinés aux auteurs, via le Centre national de la musique.
- Prolongation de l’exonération de la taxe sur les spectacles au premier semestre 2021 pour alléger les charges des entreprises du secteur.
- Autres champs du spectacle vivant, notamment le théâtre (privé et subventionné) : enveloppe complémentaire de 20 millions d'euros.
- Doublement du "fonds d'urgence spécifique et temporaire de solidarité" destiné aux "artistes et techniciens du spectacle qui n'entrent dans aucun autre dispositif".
En faveur du cinéma (sachant que les deux séances du soir supprimées par le couvre-feu "représentent la moitié du chiffre d'affaires" des salles), pour un total de 30 millions d'euros :
- Création d'un "complément de prix sur chaque billet en zone de couvre-feu pris en charge par l'État et reversé aux distributeurs".
- Bonus renforcé du soutien automatique généré par les distributeurs pendant les semaines de couvre-feu.
- Doublement du barème normal du soutien automatique pour les producteurs sur cette même période, jusqu'à 1,5 million d'entrées.
- Réabondement du fonds de compensation des pertes des exploitants.
StopCovid devient TousAntiCovid
L'application de traçage de contact StopCovid, très peu utilisée depuis sa sortie le 2 juin, a comme prévu été relancée ce jeudi sous une nouvelle forme. Rebaptisée TousAntiCovid, l'application garde strictement "le même moteur", selon ses promoteurs. Sa fonction reste bien d'avertir ses utilisateurs lorsque ceux-ci ont croisé dans les deux dernières semaines, à moins d'un mètre et pendant plus de 15 minutes, un autre utilisateur contaminé par le coronavirus (et qui l'a déclaré dans le système). En revanche, l'application a fait l'objet d'améliorations de forme et de contenu éditorial, pour être rendue plus attractive. Elle propose ainsi en temps réel un fil d'actualités sur l'épidémie, des chiffres (qui "seront adaptés à la ville de chacun dans les jours qui viennent"), un lien vers la carte recensant les laboratoires pour se faire tester... "Ses premières fonctionnalités seront enrichies toutes les deux semaines", a affirmé Cédric O, notamment avec l'intégration de l'attestation de sortie ou des "cahiers de rappel" des restaurants.
"Si nous sommes suffisamment nombreux à télécharger et à activer cette application, cet outil peut être extrêmement utile dans la lutte contre l’épidémie. Suffisamment, cela veut dire que nous devons être plusieurs millions à le faire", a insisté le secrétaire d'Etat : " Téléchargez-la et activez-la dès que vous vous rendez dans un lieu recevant du public". Dans la soirée, le téléchargement de l'application rencontrait des difficultés: "#TousAntiCovid est vraisemblablement victime de très (trop) nombreuses tentatives d'activation simultanées. Nous sommes en train de régler le problème. La mobilisation continue", a écrit Cédric O dans un Tweet.