Le Pays de Fayence fixe un cap ambitieux pour l'eau potable (83)

Deux forages asséchés, des camions-citernes pour approvisionner les habitants en eau à Noël ! En 2021, l'image a marqué à Seillans au sein du pays de Fayence, dans l'arrière-pays cannois. « Ça a été le premier signe évident de sécheresse, note René Ugo, maire de Seillans et président de la communauté de communes du pays de Fayence, qui gère l'eau pour le compte de neuf communes. Face à la pénurie d'eau, nous avons dû être précurseurs pour trouver des solutions. » Ici, seule la source de la Siagnole alimente le secteur en eau potable : elle est rapidement à sec en cas d'absence prolongée de précipitations et le territoire accueille de nombreux touristes l'été, doublant ou triplant sa population à certaines périodes.

« Dès 2022, les élus de nos neuf communes ont pris solidairement des arrêtés municipaux pour limiter la consommation d'eau à 200 litres par jour et par personne, puis 150 et enfin 100 litres », explique Éric Martel, directeur de la régie des eaux. Après ce premier acte politique fort, le suivi des consommations a montré que certains foyers ne respectaient pas ces limites, dont des touristes de passage. « Nous avons donc ciblé les plus gros consommateurs en posant des limitateurs de débit sur leurs compteurs », poursuit le directeur. Avec un tel outil, impossible de prendre sa douche et laver la vaisselle en même temps ! La collectivité n'a finalement installé que 200 à 300 limitateurs bien répartis, le bouche-à-oreille évitant à d'autres la « sentence ». « Dès août 2022, la consommation globale a baissé de 30 % par rapport à août 2021. L'année 2022 s'est terminée sans coupure du réseau. »

Pause dans l'urbanisme

Fin 2022, après ces premières mesures d'urgence, la régie de l'eau a réalisé une étude précise d'adéquation entre besoins et ressources : « C'est un état de lieux indispensable, nous nous sommes rendu compte que nous étions tout juste passés à côté de la coupure grâce aux restrictions, souligne le directeur. D'où l'idée de lancer un Plan Marshall multifacettes, qui permet de faire face à une situation qui va encore s'accentuer avec le réchauffement climatique. » Premier axe de ce plan, la sobriété. Et nouvel acte politique fort : le vote d'une pause de cinq ans dans l'urbanisme, le temps de sécuriser la ressource en eau. Désormais, aucun nouveau permis de construire n'est accordé hors droits acquis, aucune piscine, et 30 m² maximum d'extension sont autorisés. « C'est une révolution : nous sommes un territoire attractif, ce n'est pas toujours facile à faire comprendre », reconnaît le président. Les élus ont aussi remis en chantier leur SCOT : le nouveau devrait être adopté prochainement, il prévoit une croissance de 0,3 % par an à l'issue des cinq ans de pause, contre 1,3 % dans l'ancien SCOT.

Nouvelles pratiques et modernisation du réseau

Entériner de nouvelles manières de faire nécessite des piqûres de rappel régulières. Pour mener un travail de fond pour ce qui concerne la sobriété, le pays de Fayence a embauché un ambassadeur de l'eau. Il s'est pour l'instant attelé à sensibiliser et accompagner les professionnels du tourisme. Grâce à des gestes simples, certains campings ont ainsi réussi à diviser par deux leur consommation. L’ambassadeur de l’eau a également travaillé avec le secteur agricole : « Les agriculteurs ont joué le jeu, en instituant des tours d'eau, note le directeur. Plutôt volontaires, ils travaillent aussi sur un système de goutte à goutte. » La régie a également mis en place un tarif prohibitif pour les plus gros consommateurs (plus de 3 m³ par jour) : 8,39 euros du m³ contre 3 ou 4 euros en moyenne. « Nous travaillons aussi à moderniser notre réseau pour augmenter le taux de rendement, entre eau produite et eau effectivement disponible au robinet », explique le directeur. Lors de la prise de compétence intercommunale en 2020, ce taux était de 63 %. « Grâce à notre programme de renouvellement et de réparation acté pour 15 ans, nous avons déjà réussi à grimper à 76 % en 2023 et nous visons 85 % in fine. »

Sécuriser la ressource sur le long terme

Ces premières mesures fortes ont déjà permis de diminuer de 15 % la consommation d'eau entre 2022 et 2023. La régie travaille désormais à sécuriser sa ressource et mieux interconnecter ses communes : un programme de travaux de 50 millions d'euros débute en 2025 à la source de la Siagnole, avec renouvellement des canalisations et création d'un bassin de stockage. La collectivité étudie également la possibilité de se raccorder au lac de Saint-Cassien, où elle pourra acheter de l'eau à la société du canal de Provence, la stocker l'hiver et la restituer l'été. « Avec ce plan Marshall, on agit sur tous les leviers pour mieux se préparer : c'est essentiel de tracer une ligne pour se projeter dans le temps, c'est une course de fond », souligne le président. « Dans cette course, la gestion intercommunale mutualisée de l'eau est aussi un atout, elle nous permet d'avoir un personnel plus formé, plus pointu », ajoute le directeur.