Évaluation à mi-parcours des contrats de ville 2014-2022 : l’exemple du référentiel parisien
L'évaluation des 435 contrats de ville à mi-parcours de leur déploiement est prévue cet été 2019, en même temps que leur "rénovation" voulue par le gouvernement. L'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) a construit un référentiel visant à mettre à jour l’état des lieux des quartiers prioritaires, mais aussi à remobiliser les partenaires et à réorienter les interventions. Un outil dont la vocation peut tout à fait franchir le périph'.
Cet été, l'évaluation des contrats de ville à mi-parcours devrait être un peu plus qu'un exercice de style. Cette évaluation, imposée par la loi, intervient au moment de la "rénovation" des contrats de ville voulue par le gouvernement (la circulaire du 22 janvier 2019 du Premier ministre demande aux préfets que la "rénovation" soit "effective avant fin juillet 2019", voir notre article ci-dessous du 1er février 2019).
Pour rappel, cette petite réforme se traduira dans un "protocole d'engagements renforcés et réciproques" qui s'ajoutera au contrat de ville en cours. Sur le fond, le protocole devra se conformer à la nouvelle feuille de route du gouvernement présentée le 18 juillet 2018 en conseil des ministres et au pacte de Dijon signée deux jours plus tôt entre Édouard Philippe, France urbaine et l'ADCF. C'est aussi l'occasion de réorienter des politiques et des actions en fonction des premiers impacts observés, des remontées des partenaires (et notamment celles du conseil de développement) mais aussi de l'évolution de la vie locale.
Un référentiel d'évaluation pour mesurer et remobiliser les partenaires
Dans ce contexte, le gros travail engagé par l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) sur l'évaluation à mi-parcours du contrat de ville de Paris est éclairant. Tout particulièrement son volet 2 de 42 pages sur le référentiel d'évaluation, dont la méthodologie est réplicable au-delà de la problématique parisienne.
Réplicable d'abord en termes d'objectif. L’évaluation à mi-parcours du contrat de ville parisien vise en effet à mettre à jour l’état des lieux des quartiers prioritaires, à remobiliser l’ensemble des partenaires signataires du contrat, à orienter les interventions sur les problématiques "les plus essentielles" et à "se donner les moyens à l’issue du contrat de mesurer les avancées en y associant les habitants".
Le référentiel d’évaluation est organisé en trois thématiques : "Grandir?: éducation, jeunesse et parentalité" ; "Travailler?: emploi et développement économique" ; "Habiter?: cadre de vie et renouvellement urbain". Pour chacune de ces thématiques, sont présentés les objectifs prioritaires qui ont été retenus par les partenaires du contrat de ville, ainsi que les actions associées, les résultats attendus et les indicateurs permettant de mesurer la mise en œuvre de ces actions et leurs effets.
Par exemple, l'objectif de mixité scolaire…
Par exemple, la thématique "Grandir" se décline en neuf objectifs prioritaires. Si l'on s'intéresse à l'un d'eux, "Favoriser la mixité et lutter contre l’évitement scolaire" (objectif partagé par les signataires du contrat de ville et identifié "prioritaire" par le conseil citoyen), celui-ci se décline en quatre sous-objectifs : "Prendre en compte les enjeux de mixité sociale et scolaire dans l’élaboration de la sectorisation" ; " Valoriser l’image des écoles et collèges et favoriser l’excellence scolaire" ; " Ouvrir l’école sur le quartier" ; "Agir de manière ciblée et concertée sur les écoles et collèges prioritaires et apporter des réponses rapides aux besoins des communautés éducatives".
À chaque fois, une ou plusieurs actions sont associées. Concernant l'enjeu de sectorisation, il est notamment prévu que la ville de Paris "développe des actions" dont efficacité sera mesurée via quatre indicateurs (auxquels sont associés - ou pas - les objectifs à atteindre à l'issue du contrat de ville) : Nombre de concertation sur des projets expérimentaux concourant à améliorer la mixité sociale des établissements (objectif pour Paris : mener à bien trois projets, dans des établissements des 12e, 13e et 20e arrondissements) ; part des élèves issus de PCS (1) "défavorisées/favorisées" (objectif : "Rééquilibrer la composition sociale des établissements ayant fait l’objet d’une expérimentation") ; taux de réussite au brevet (pas d'objectif fixé) ; taux d'évitement (pas d'objectif fixé). À noter que la création d'un observatoire de la mixité scolaire, également au programme, devrait permettre de produire ces indicateurs.
Des données de l'ONPV et des données "maison"
Le document de l'Apur définit également une méthode de collecte des données à mettre en place pour mesurer les avancées à la fin du contrat de ville, en insistant sur le fait que "la définition d’outils de mesure est indispensable pour permettre le pilotage des actions mises en œuvre dans les quartiers prioritaires, au titre du droit commun ou des crédits spécifiques de la politique de la ville".
En l'occurrence, l’analyse des spécificités des QPV parisiens, réunie dans le cahier 1, a mobilisé les données hyper précises produites par l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). L’analyse des tendances récentes (cahier 2) et l’analyse des quartiers en difficulté situés en dehors de la géographie prioritaire (cahier 3) ont quant à elles mobilisé les données de l’Observatoire des quartiers prioritaires parisiens, mis en œuvre depuis 2006 par l'Apur. Cet observatoire "maison" est composé de plus de 150 indicateurs, alimentés par plusieurs sources de données (Insee, CAF de Paris, Rectorat de Paris, Pôle emploi, Cnam, DREES, Ville de Paris, BDCOM, etc.)
Plus de personnes âgées, plus d'étrangers, plus de disparités de revenus
Et pour ceux qui s'intéressent aux spécificités des 20 QPV et 21 QVA (quartiers de veille active, sortis du zonage de la politique de la ville avec la réforme de 2014), concernant 367.000 habitants (soit 17% des parisiens) et 1.276 hectares (12% du territoire parisien), voici quelques particularités.
La proportion de personnes âgées est plus élevée dans les QPV parisiens (17 % contre 14 % dans les autres QPV français), ainsi que celle des étrangers (22 % contre 18% dans les autres QPV français, mais 25% dans les QPV d'Île-de-France). Le taux de pauvreté est plus faible en moyenne (36 % contre 43 % dans les QPV en France) ce "qui s’explique notamment par une meilleure insertion professionnelle des habitants", note l'Apur.
Au sein même des quartiers prioritaires parisiens, les disparités sont plus marquées qu’ailleurs : les 10 % les plus aisés ont en moyenne un niveau de vie presque quatre fois supérieur aux 10 % les plus pauvres (contre trois fois dans l’ensemble des QPV de France).
Sans-abrisme, prostitution, toxicomanie : des phénomènes connus mais non mesurés aujourd'hui
L'Apur reconnait plusieurs enjeux remontés des échanges avec les acteurs locaux qui ne se sont pas pris en compte dans ses statistiques : enjeux liés à l’occupation de l’espace public, enjeux de prévention et de tranquillité publique, enjeux de manque de propreté, de prostitution et de toxicomanie. La montée de la grande pauvreté et du sans-abrisme est également évoquée. Elle concerne plus fortement certains secteurs, du nord-est, et les quartiers situés autour des gares.
Le non recours des habitants aux dispositifs d’accès à l’offre de santé physique et mentale est également remonté comme un enjeu dans les QPV parisiens.
Des quartiers en voie de boboïsation, d'autres de paupérisation
Enfin, les statistiques sur les quartiers de veille active (QVA, quartiers sortis du zonage "politique de la ville" avec la réforme de 2014)?peuvent se lire comme un marqueur de la gentrification, les bobos ayant pour caractéristique de bien vouloir se loger dans les quartiers populaires à condition d'y trouver une certaine qualité de vie (logement moins cher, qualité du bâti, proximité des métros et des commerces, sécurité…)
Ce sont les quartiers où la démographie "évolue" vers "moins de jeunes, moins d’habitants de nationalité étrangère et de personnes sans diplôme et plus de personnes âgées". L'Apur note aussi que "le mal-logement recule fortement dans les QVA, plus rapidement qu’à Paris ou qu’en moyenne dans les quartiers prioritaires".
Sept quartiers en particulier, volontiers qualifiés de "bobos" par les Parisiens, voient les écarts socio-démographiques diminuer par rapport à l'ensemble de la capitale : les Portes Ouest (10e), Buisson Saint-Louis Sainte-Marthe (10e), Grange-aux-Belles (10e), Fontaine-au-Roi (11e), Amiraux – Simplon (18e), le 140 Ménilmontant (20e) et Saint-Blaise (20e).
Neuf quartiers connaissent une amélioration générale mais "conservent des enjeux particuliers" (2). Quatre QVA (3) penchent vers un rebasculement en QPV. Ils affichent un faible taux d’activité, une faible présence des CSP supérieures parmi les actifs, une forte part de personnes sans diplôme et une hausse des habitants de nationalité étrangère.
(1) PCS : professions et catégories socio-professionnelles.
(2) Masséna (13e), Kellermann (13e), Oudiné – Chevaleret (13e), Cité de l’Eure (14e), Porte de Clichy – Porte de Saint-Ouen (17e), Porte de Saint-Ouen – Bernard Dimey (18e), Goutte d’or (18e), la Chapelle Sud (18e) et Belleville Amandiers (20e).
(3) Nationale (13e), Plaisance (14e), la Chapelle Nord (18e) et Flandre (19e).