L’Ile-de-France, caricature des inégalités françaises
La région la plus riche de France est aussi la plus inégalitaire, selon une enquête de l'IAU qui détaille par le menu le phénomène d'embourgeoisement de pans entiers du territoire où l'envolée de l'immobilier cultive l'entre-soi. Si l'arrivée de cadres déborde dans quelques arrondissements ou communes mixtes proches de la capitale, elle ne parvient généralement pas à contrebalancer la paupérisation de la proche banlieue. Dans 44 communes concentrant 15% de la population, les revenus ont continué de baisser entre 2001 et 2015. En grande couronne, quelques communes ont réussi à inverser la tendance grâce à leur programme de construction. Un phénomène qualifié de "moyennisation".
Il a beaucoup été dit que la crise des gilets jaunes était la manifestation d’une fracture territoriale autant que sociale. Pour en avoir le cœur net, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) d’Ile-de-France s’est plongé dans la région la plus riche de France, l’Ile-de-France (qui produit 30,5% des richesses et concentre 22,3% des emplois en 2015). Et son constat est sans équivoque : la région capitale est aussi le territoire le plus inégalitaire de France. Au fil des ans, les inégalités se creusent avec une frange aisée concentrée dans l’Ouest de Paris et de la région qui continue de s’embourgeoiser et, d'autre part, une banlieue (essentiellement la Seine-Saint Denis), qui s’appauvrit et continue de "canaliser la progression des ménages immigrés".
Intitulée "Gentrification et paupérisation au coeur de l'Île-de-France", cette enquête de 82 pages conduite par la géographe Mariette Sagot détaille par le menu les forces à l’oeuvre dans le territoire, en se basant sur les revenus des habitants entre 2001 et 2015. "On assiste d’une part à une consolidation des espaces aisés par enrichissement et diffusion de la richesse (…) et d’autre part, à une paupérisation absolue de secteurs urbains entiers", constate-t-elle.
"L'entre-soi plus marqué dans les espaces aisés"
La richesse se concentre essentiellement à l'ouest de la région : 13 communes se détachent tout particulièrement. Toutes sont situées dans l’Ouest parisien (6e, 7e, 8e, 16e) et débordent sur les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Mais dans les 44 communes les plus pauvres où vivent 15% des Franciliens, les revenus ont continué de baisser entre 2011 et 2015. Et les cadres sont toujours aussi peu nombreux s’y installer.
Pour l'auteur, le logement est un "marqueur social de plus en plus fort". "La richesse apparaît plus concentrée que la pauvreté et l’entre-soi plus marqué dans les espaces aisés", souligne l'enquête. Le marché immobilier produit un effet d’éviction. "L’enchérissement des prix de l’immobilier et des loyers exclut progressivement les catégories modestes du parc locatif privé ou en propriété de la capitale et des secteurs valorisés du centre."
Ce phénomène d’embourgeoisement ou de "gentrification" s’étend avec l’arrivée de cadres dans certains quartiers "mixtes" du Nord parisien, les 10e et 11e arrondissements et, de plus en plus, dans les 18, 19 et 20e arrondissements, ou dans certains communes proches de la capitale comme Colombes, Malakoff ou Les Lilas. Cette gentrification touche quelques rares quartiers de villes comme Saint-Ouen, Alfortville ou Clichy.
Dans de nombreuses villes de la petite couronne, l’arrivée de quelques cadres ne parvient pas cependant à contrebalancer la paupérisation de la population ; c’est le cas à Cachan ou Arcueil par exemple.
A l’inverse, la pauvreté s’accroît très fortement dans huit communes déjà très pauvres : Grigny, Villiers-le-Bel, Pierrefitte-sur-Seine, La Courneuve, Clichy-sous-Bois, Stains, Aubervilliers, Bobigny.
"Moyennisation" en grande couronne
Au-delà de Paris et de la petite couronne se pose la question de la "périphérie", celle qui a cristallisé le débat depuis la crise des gilets jaunes. La géographe montre que quelques communes de la grande couronne où la disponibilité foncière permet de construire plus facilement sont en situation de "rattrapage". C’est le cas Chanteloup-les-Vignes et Saint-Ouen-l’Aumône, qui en "constituent les exemples les plus spectaculaires". Ces deux communes ont beaucoup construit et étendu le parc de logement privé ; ce qui s’est traduit par un recul des employés et ouvriers au profit de cadres, de professions intermédiaires ou de retraités. Le revenu médian s’y est accru "bien au-delà de la moyenne régionale entre 2001 et 2015 (respectivement +26% et +14%)".
C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, de Meaux, de Mantes la Jolie ou de Persan, bénéficiaires du programme de renouvellement urbain qui s’est traduit par la démolition d’une partie du parc social. Pour l’auteur, on assiste ainsi à une "moyennisation" d’une partie du périurbain. "La dimension territoriale a aussi été largement mise en avant, et souvent de façon caricaturale, opposant deux France, celle des métropoles qui 'gagnent' et celle de la périphérie qui 'perd', sans considérer l’hétérogénéité de ces dits territoires et la diversité des espaces qui les constituent", en conclut l'enquête.