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Être jeune et maire : l'équation impossible ?

Qui sont les jeunes élus locaux et, en particulier, les jeunes maires ? Comment en sont-ils arrivés là et rencontrent-ils des difficultés spécifiques au cours de leur mandat ? Pourquoi les moins de 35 ou 40 ans sont-ils si peu nombreux à exercer cette fonction ? Au travers d'une enquête à la fois quantitative et qualitative, l'Injep s'est attaché à trouver quelques réponses. Une étude présentée le 5 février, en présence de deux maires élus à 30 et 32 ans, qui ont plaidé en faveur de plus de soutien de l'État et de reconnaissance de la fonction. 

Les jeunes maires sont peu nombreux : parmi les maires qui ont été élus en 2014, 518 étaient âgés de 18 à 35 ans. Et ils seraient même en voie de disparition, puisque la part des maires de moins de 40 ans est passée de 12% en 1983 à 4% en 2014. À la "crise des vocations" observée plus globalement parmi les citoyens et liée à des raisons diverses – complexification des mandats et impacts des réformes, contexte de défiance… -, s'ajouteraient des difficultés propres à un âge de la vie "marqué par une succession de franchissements statutaires liés à la fin des études" – insertion professionnelle, mise en couple ou encore parentalité.

Qu'est-ce qui motive malgré tout de jeunes hommes et femmes à se lancer dans la course à l'élection municipale ? Qui sont ces jeunes maires et comment ont-ils franchi les différents obstacles qui se dressaient devant eux ? Ce sont les questions qui ont guidé l'étude de l'Institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire (Injep) intitulée "Y a-t-il un âge en politique ? Parcours de jeunes maires en France". Présenté le 5 février 2020 à Paris, dans les locaux de l'Association des maires de France (AMF), ce travail a donné lieu à une enquête quantitative auprès d'élus locaux âgés de 18 à 35 ans au moment de l'élection de 2014 (quelque 5.000 réponses) et à des entretiens avec 36 jeunes maires âgés de 32 ans en moyenne (29 hommes et 7 femmes).

Culture politique familiale et engagement associatif

Premier constat : ces jeunes maires ne sont pas arrivés à leur fonction par hasard. Beaucoup d'entre eux ont connu une "surexposition familiale à la politique", a expliqué Laurent Lardeux, chargé de recherche à l'Injep et co-auteur de l'étude. Et 34% des maires de 18 à 35 ans élus en 2014 ont un père et/ou une mère ayant eu une expérience d'élu municipal. "Mes parents étaient très investis dans les associations locales et se sont présentés aux élections locales, sans être élus. On parlait beaucoup politique à la maison", a témoigné Aurélie Corbineau, maire de Verdun-sur-Garonne (Tarn-et-Garonne), ce 5 février.

L'engagement associatif est également un trait commun dans le parcours des jeunes élus, qui sont "deux fois plus nombreux que les Français du même âge à avoir été membres d'une association", selon Laurent Lardeux. Cet engagement serait un "sas d'entrée incontournable vers un mandat municipal", permettant en particulier de "combler des carences en termes de notoriété".

Les jeunes élus municipaux sont également plus diplômés que les jeunes Français en général (72% de niveau au moins bac+2, contre 43%), et sont davantage des cadres supérieurs que l'ensemble des élus (26% contre 16%). Les études et professions exercées sont souvent "très orientées vers le politique", dont par exemple 22% d'anciens collaborateurs politiques parmi les jeunes élus de communes de plus de 50.000 habitants.

Des contraintes familiales et financières accrues pour les jeunes élus

Les auteurs observent ainsi "des logiques de sur-sélection des jeunes élus". Mais à ces "prédispositions au mandat politique local", s'ajoutent des "opportunités conjoncturelles", dont l'appui indispensable de personnes clé. Attaqués sur leur jeune âge par des adversaires politiques, les jeunes prétendants à l'élection sont amenés à devoir "rassurer l'électorat", notamment en "survalorisant leurs compétences techniques" et en constituant des listes diversifiées, a estimé Laurent Lardeux.

"Il y a une pression supplémentaire du fait de leur jeune âge", a ajouté Isabelle Lacroix, chercheuse CNRS Printemps / INJEP et co-auteur de l'étude, décrivant des débuts de mandat "semés d'embûches" entre passations quasi inexistantes de la part du prédécesseur et menaces de bienvenue… L'occasion pour l'Injep de souligner l'importance de la formation des élus, jugée actuellement largement insuffisante, avec l'idée d'allonger le temps entre l'élection et la prise de fonction du maire pour permettre à ce dernier de suivre une "formation intensive".

L'étude met par ailleurs en avant la difficulté pour ces jeunes de concilier leur mandat avec leur vie professionnelle – quand ils maintiennent une activité – et leur vie personnelle. La fonction, très chronophage et exigeante, "fragilise les plus jeunes" : elle suscite des difficultés financières, des burn-out, des divorces… Le fait d'être "jeune" et "femme" peut être aussi un "double handicap dans l'exercice des fonctions", suggèrent les auteurs, rappelant qu'il n'y a que 17% de femmes parmi les maires et 29% parmi les adjoints (selon la direction générale des collectivités locales). Dans l'enquête de l'Injep, l'écart de sexe au sein des fonctions exécutives serait surtout marqué dans les communes de plus de 50.000 habitants (32% de femmes seulement), de 10.000 à 50.000 habitants (43% de femmes) et de moins de 500 habitants (42% de femmes).

Une loi Engagement et proximité insuffisante pour susciter des vocations

Malgré ces difficultés, au sein de l'échantillon de l'enquête Injep, 79% des jeunes maires et 69% des adjoints souhaitaient poursuivre lors d'un mandat supplémentaire, pour mener à bien des projets de long terme. À noter que ce taux est supérieur dans les communes de plus de 10.000 habitants (84%) et inférieur dans les communes de moins de 3.500 habitants (57%). Parmi les raisons évoqués par les maires qui jettent l'éponge, on trouve d'abord la vie personnelle et familiale (95%), avant le fait d'avoir "rempli son devoir civique" (61%), le niveau d'exigence des administrés (57%), le manque de moyens financiers pour poursuivre (52%) et le manque de personnels (47%).

"Je touche 1.830 euros par mois et je n'ai pas le droit à la prime pour l'emploi", a déploré Aurélie Corbineau, qui a deux enfants. "J'ai grillé toutes mes économies personnelles en étant maire. Financièrement, je ne peux plus", a-t-elle poursuivi, expliquant qu'elle souhaitait évoluer professionnellement et qu'elle ne digérait par ailleurs pas la "non-réponse de l'État" lorsqu'elle a été confrontée à des menaces de mort. "On est en permanence obligé de faire le grand écart entre un État absent qui ne vous aide en rien et, sur le terrain, des administrés de plus en plus exigeants qui, eux, ne vous loupent pas", a témoigné de son côté Pierre-Emmanuel Bégny, maire de Saâcy-sur-Marne (Seine-et-Marne) et auteur du livre "Chers administrés, si vous saviez…".

Pour l'élu de 35 ans qui ne se représente pas, la loi Engagement et proximité est "un bon début mais ne va pas du tout assez loin", sur la question des indemnités notamment. Il estime que le manque de reconnaissance et de valorisation du mandat de maire – y compris dans le secteur privé, pour la suite des parcours professionnels – ne permet pas de "renouveler le paysage politique". Pourtant, il y aurait tout à gagner à avoir davantage de jeunes élus, qui apportent leur "énergie" et leur aptitude à la "gestion de projet", estime Aurélie Corbineau. Pierre-Emmanuel Bégny, qui ne cache pas d'autres ambitions politiques pour 2022, ajoute que le mandat de maire est la meilleure des écoles : "Pour accéder à d'autres fonctions comme celle de député, il faudrait obligatoirement être passé par la case maire."