État des infrastructures routières : un brouillard difficile à dissiper
L’Observatoire national de la route a publié son troisième rapport annuel, dont il ressort que le diagnostic de l’état des infrastructures routières (voire même leur inventaire) reste toujours difficile à établir. Si les dépenses d’entretien sont à la hausse depuis 2016, elles semblent encore insuffisantes pour avoir un impact positif sur l’état général du patrimoine.
"Les questions soulevées sur l’entretien des ouvrages d’art après le drame du pont de Gênes nous ont montré, s’il en était besoin, l’importance d’une bonne connaissance de l’état de notre patrimoine d’infrastructures routières" avertit Yves Krattinger, président de l’Iddrim, en introduction de la troisième édition du rapport de l’Observatoire national de la route publié… deux jours après l’effondrement du pont de Mirepoix-sur-Tarn et trois jours après que le journal La Repubblica a révélé qu’un rapport de 2015 alertait déjà sur les faiblesses et les dysfonctionnements du pont génois.
Des données partielles et fluctuantes
De cette édition 2019 de ce tout jeune observatoire, né en 2016, on retiendra que le diagnostic reste encore particulièrement difficile à poser, tant le recueil et l’analyse des données sont malaisés. D’abord, ces données sont souvent déclaratives et partielles, émanant de 69 départements volontaires (mais avec des échantillons exploitables pour une cinquantaine seulement), 9 métropoles (mais exploitables pour 3 à 7 d’entre elles suivant les questions) et… 4 EPCI. Ensuite, les échantillons et les données ne sont pas identiques d’une année sur l’autre, sans compter les variations d’autres paramètres, dont celui des prix des travaux, et particulièrement celui du bitume. S’ajoutent enfin les très grandes disparités des réseaux, des trafics (le trafic sur le réseau routier national est en moyenne 23 fois supérieur à celui des collectivités, "sans parler des poids lourds"), des techniques de construction retenues ou encore des contraintes d’exploitation : le coût des travaux de nuit sous circulation sur un périphérique urbain étant sans rapport avec celui de travaux réalisés de jour sur une départementale secondaire dont le trafic a été dévié. Disparités qui expliquent en partie que l’État – et dans une moindre mesure les "très grands départements" (entendre les plus peuplés, et non les plus grands…) – consacre en moyenne 7,6 fois plus de moyens au km que la moyenne des départements.
Une reprise des efforts budgétaires… qui restent insuffisants
L’étude tire toutefois quelques tendances.
• S’agissant des dépenses courantes d’investissement (maintenance des réseaux, équipements de la route, petits travaux d’amélioration), elle estime que l’effort net de l’État pour la régénération de son réseau ne devrait pas suffire à stopper la dégradation du réseau routier national concédé. De même, si les investissements au km des départements sont repartis à la hausse depuis 2016, leurs effets sont atténués par la hausse des prix. Elle relève par ailleurs que si les très grands départements investissent par km trois fois plus que les petits, ces derniers investissent par habitant (près de 70 euros) près du triple des très grands départements (un peu plus de 20 euros). Dit autrement, la part relative des ressources accordées par les départements les plus ruraux à l’entretien des routes est bien plus importante que celle des départements urbains.
La part de ces investissements consacrée à la préservation des ouvrages se situe entre 15 à 20% pour l’État et très grands départements, et entre 12 à 14% pour les petits et moyens départements. Avec là-encore de fortes disparités, la part des réparations des ouvrages pouvant être beaucoup plus élevée du fait de la mise aux normes de tunnels ou de réparations conséquences de grands ouvrages. En outre, l’étude avertit que de faibles moyens consacrés peuvent tout aussi bien signifier que le patrimoine est en excellent état… ou dans un état de sous-entretien manifeste ! De manière générale, l’étude souligne que les dépenses de grosses réparations ont fortement augmenté entre 2016 et 2018.
• S’agissant des dépenses de fonctionnement hors personnel (curage de fossés, traitement des nids de poule, fauchage, viabilité hivernale…), la tendance, tous gestionnaires confondus, "est à une baisse plus ou moins marquée, traduisant la poursuite de l’effort de maîtrise des dépenses lié à la nécessité de contenir les déficits publics". Elles atteignent environ 22.000 euros par km pour le réseau routier national (RNN) et en moyenne près de 2.000 euros par km pour les départements (en nette hausse pour les plus petits d’entre eux). L’étude estime que le plancher tourne "autour de 1.000 euros par km par an, et qu’il parait difficile de le comprimer en-deçà". Là-encore, l’effort par habitant est nettement supérieur pour les "petits et moyens" départements.
Hors frais de personnel, la part consacrée aux investissements est nettement plus élevée que celle consacrée au fonctionnement pour l’État et les départements. À l’inverse, pour les métropoles, la part des dépenses de fonctionnement représente plus de la moitié des dépenses consacrées à la voirie, avec toutefois de fortes disparités au sein du panel.
Situation contrastée pour les réseaux départementaux, dégradation constante pour le RNN
Plus de 80% du réseau est ausculté par les départements en moyenne tous les 3 à 4 ans (tous les 3 à 5 ans pour les métropoles), avec des méthodes automatisées majoritaires pour les réseaux les plus structurants et une auscultation majoritairement visuelle pour les moins structurants. Les couches de roulement y ont 12,9 ans de moyenne d’âge. Elles sont plus fréquemment renouvelées sur les réseaux les plus structurants, pour lesquels on constate une légère amélioration... et à l’inverse une légère détérioration des réseaux locaux. Dans les métropoles, les couches de roulement ont un âge moyen de 10,7 ans. Leur réseau est toutefois en moins bon état que celui de l’État ou des départements, avec en outre un réseau structurant cette fois en moins bon état que le réseau local. Le réseau routier national non concédé est renouvelé tous les 20 à 25 ans en moyenne. Il se dégrade de façon "lente mais constante".
Des ponts en plus mauvais état et visités de manière très variable
L’état global du patrimoine des ponts est moins bon en 2018 qu’en 2017, que ce soit pour l’État ou pour les départements. Pour ces derniers, l’augmentation du nombre d’ouvrages évalués par les collectivités de l’échantillon pourrait expliquer cette évolution. Cependant, on estime encore la proportion de ponts non évalués à moins de 4,5% pour l’État en 2018 et… entre 9 et 10% pour les départements. 50% des départements répondants indiquent effectuer une visite chaque année, au minimum, sur leurs ouvrages en mauvais état ou de type particulier. La seconde moitié le ferait dans le cadre de visite d’évaluation ou d’inspection détaillée tous les 2 à… 9 ans. Les métropoles évoquent une inspection visuelle chaque année, complétée d’une inspection détaillée effectuée en moyenne tous les 6 ans. Côté État, on relève des contrôles annuels, des visites d’évaluation de leur état tous les 3 ans en moyenne, et des inspections détaillées périodiques tous les 6 ans en moyenne.
La répartition des ouvrages est très différente selon le type de gestionnaires, avec une dominance des ouvrages en béton armé et précontraint pour l’État et les métropoles tandis que la maçonnerie est largement représentée en nombre dans les départements. Les ouvrages en béton précontraint, en métal et mixtes sont des ouvrages de dimensions importantes, tandis que les ouvrages en maçonnerie apparaissent légèrement plus petits que la moyenne.
Des murs de soutènement délaissés
Concernant les murs de soutènement, les méthodes de gestion sont sous-appliquées, tant par les départements que par les métropoles. Moins de 25% des départements indiquent clairement les visiter chaque année et près de 38% les visitent en moyenne tous les 3 à 9 ans. Et "un nombre de murs non évalués peut être relativement important selon les métropoles".
La grande majorité des murs de soutènement des départements (les murs les moins bien notés étant les plus grands) sont des murs poids, qui restent aussi majoritaires dans le patrimoine de l’État, même s’il est plus diversifié, avec une plus grande présence de murs encastrés ou de sols renforcés. Les ouvrages en maçonnerie (majoritaire dans les départements), béton ou éléments préfabriqués présentent un état global relativement similaire ; les murs en terre armée semblent en meilleur état.