Finances locales - Et si la responsabilité des élus était dépénalisée ?...

La dépénalisation de la responsabilité financière des élus, en débat depuis plusieurs années, pourrait bénéficier d'un "climat propice". Les chambres régionales des comptes, qui font l'objet d'un projet de réforme, pourraient-elles en tirer profit ?

En matière de gestion financière, le débat sur la dépénalisation de la responsabilité des élus n'est pas nouvelle : en avril 2005, à l'occasion d'un colloque intitulé "Finances publiques et responsabilité - L'autre réforme", le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, déclarait : "Je sais à quel point le sujet de la responsabilité des ordonnateurs suscite des réticences en particulier chez les élus locaux. Mais je crois qu'il est indispensable d'y réfléchir dès à présent de façon lucide et sereine." L'idée développée à l'occasion de cette rencontre reposait sur le fait "qu'entre le rien et le tout-pénal, il y a une place pour les juridictions administratives". Un serpent de mer ? Le sujet, à l'heure où une réforme des chambres régionales des comptes (CRC) est à l'étude à Matignon, pourrait trouver une nouvelle acuité, "encore faut-il que le législateur soit prêt à passer le pas", commente Marc Chabert, président du Syndicat des juridictions financières. Les propositions de Philippe Seguin sur les CRC viseraient notamment à réduire leur nombre en créant des structures interrégionales et à revoir leur compétence en matière de contrôle financier des collectivités.

Une responsabilité nouvelle des élus ?

En donnant à la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) - institution indépendante et associée à la Cour des comptes - de nouvelles compétences en matière de contrôle de la gestion des élus, les chambres régionales des comptes pourraient alors trouver une nouvelle jeunesse. "Aujourd'hui, des élus se trouvent devant le juge pénal notamment pour des affaires de marchés publics alors qu'il n'y a ni enrichissement ni comportement favorisant tel ou tel fournisseur mais seulement un défaut de surveillance", illustre Marc Chabert. Une plus grande justiciabilité des élus devant la CDBF permettrait donc d'éviter de les exposer excessivement au risque pénal. Créée en 1948, la CDBF est une juridiction administrative spécialisée chargée de sanctionner les atteintes aux règles régissant les finances publiques commises par toute personne intervenant dans la gestion publique. Or les ordonnateurs élus locaux ne sont pas justiciables de la CDBF lorsqu'ils agissent dans le cadre de leurs fonctions. L'engagement de la responsabilité des gestionnaires locaux s'appuyant sur la jurisprudence de la CDBF concernerait le défaut d'organisation d'un service, le défaut de surveillance, la violation des principes non écrits de gestion et la faute grave de gestion.

Un faisceau d'indices et une ouverture du côté des marchés publics

En février dernier, le premier président de la Cour des comptes précise en présentant le rapport annuel de la CDBF qu'un groupe de travail composé de juges administratifs et de juges du pénal s'est déclaré favorable à "l'atténuation voire à la suppression du principe de non-justiciabilité des élus locaux devant la cour de discipline". Il a formulé une proposition visant à transférer le délit de favoritisme - dès lors que l'on relève une violation formelle des règles budgétaires et financières et en l'absence de mauvaise foi - au profit de la CDBF afin qu'une partie du contentieux répressif lié à l'achat public soit dépénalisé. Le projet de réforme de la CDBF "s'inscrivant dans le cadre d'une réforme globale des régimes de responsabilité des gestionnaires publics" va dans le bon sens car le président de la République en "a approuvé les principes et les grandes lignes" en novembre 2007.

Quelques semaines plus tard, lors du dernier Congrès des maires, la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a confirmé la position du gouvernement, se déclarant favorable à l'allégement des risques pénaux des élus. Elle a proposé une application en matière de commande publique. Le délit de favoritisme serait déclassé en contravention pour les marchés inférieurs à 210.000 euros "quand les élus sont de bonne foi et qu'il s'agit d'une simple erreur matérielle ou procédurale". Le gouvernement, saisi du projet de réforme de la CDBF, s'est pour le moment limité à ces déclarations d'intention.

Le rapport récent sur l'accès des PME aux marchés publics de Lionel Stoléru apporte sa contribution avec la proposition visant à l'abrogation pure et simple du délit de favoritisme du Code pénal, "car il tétanise les acheteurs et cette dérogation doit s'inscrire dans la dépénalisation de la vie des affaires voulue par le chef de l'Etat". La dépénalisation, comme l'a illustré le rapport axé sur la vie des affaires de Jean-Marie Coulon remis en février, est donc dans l'air du temps.

Une juridiction administrative de sanction renforcée ?

Actuellement sur la sellette, les chambres régionales des comptes trouveraient-elles leur place si la réforme visant à transférer une partie du contentieux à la CDBF était entérinée ? Philippe Seguin, en présentant le rapport annuel de la CDBF, a acté un glissement des interventions du juge estimant que la sanction a posteriori s'impose d'autant plus que les contrôles a priori se réduisent. "Pour le gestionnaire libre, sans entrave juridique majeure pesant sur lui a priori, il sera donc obligatoire de créer un contrôle interne pour prévenir une décision de condamnation par la CDBF."

Marc Chabert préfère penser que "si la réforme visant à dépénaliser la responsabilité des élus venait à se concrétiser, elle imposerait une nouvelle configuration de la CDBF. Il faudrait plusieurs niveaux d'instances : un niveau régional avec la CRC (ou interrégional si les CRC sont regroupées), un niveau d'appel avec la CDBF et une cassation avec le Conseil d'Etat (ce niveau existe déjà)". On assisterait alors à une montée en puissance du contrôle juridictionnel des CRC et donc de la sanction au détriment du contrôle de la gestion établi par un rapport d'observation.

Cette proposition ancienne du Syndicat des juridictions financières serait un plaidoyer de taille en faveur du renforcement des CRC, mais qu'en est-il du contrôle de gestion de proximité des collectivités ? "Aujourd'hui, après avoir été reçus à Matignon et à l'Elysée, nous n'avons rien appris. Nous n'avons aucune lisibilité sur le calendrier des suites qui vont être données aux propositions de Philippe Seguin sur la réforme des chambres régionales. Le risque serait que les arbitrages de l'exécutif ne nous soient justement pas communiquées", conclut le président du Syndicat des juridictions financières.

 

Clémence Villedieu