En Auvergne-Rhône-Alpes, des Cordées de la réussite en butte à des difficultés structurelles
Une analyse des Cordées de la réussite en Auvergne-Rhône-Alpes laisse apparaître les limites d'un dispositif parfois victime de son succès. Le manque de moyens humains est le premier des griefs cités.
Un dispositif qui "vivote depuis quinze ans" sans faire "l'objet de discours politique fort" malgré des effets sur certains élèves "plus que positifs", c'est ainsi qu'apparaissent les Cordées de la réussite dans une analyse commandée par la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) d'Auvergne-Rhône-Alpes et réalisée par Labo Cités, le centre de ressources pour la politique de la ville dans cette région.
Créées en 2008, les Cordées de la réussite visent à renforcer l'accompagnement des élèves de la quatrième à la terminale issus de milieux défavorisés dans leur orientation, notamment vers l'enseignement supérieur. Elles prennent la forme d'un partenariat entre, d'une part, des collèges et lycées en zones d'éducation prioritaire urbaines ou en zones rurales et, d'autre part, des établissements d'enseignement supérieur, dénommés "têtes de cordée". L'élément central du dispositif tient dans le tutorat assuré par des étudiants volontaires auprès des élèves du secondaire. Sur l'année scolaire 2022-2023, on recensait en France 915 cordées animées par 22.000 étudiants tuteurs au bénéfice de 160.000 élèves issus de 3.500 établissements secondaires.
Un dispositif proche de la saturation
La première difficulté recensée par Labo Cités en Auvergne-Rhône-Alpes tient au "contexte de demandes d'encordement croissantes" de la part des collèges et lycées auxquelles il est difficile de répondre. D'abord, parce que certains établissements d'enseignement supérieur ne désirent pas entrer dans le dispositif. Ensuite, en raison de "l'insuffisance des moyens financiers et humains des têtes de cordée pour accepter chaque demande d'encordement dans des conditions satisfaisantes".
À titre d'exemple, Labo Cités cite la cordée de l'Insa Lyon qui comprenait en 2023-2024 quatorze lycées de l'académie de Lyon et l'ensemble des lycées des départements et régions d'outre-mer, contre seulement six lycées de l'académie en 2008. Résultat : "Victime de son succès, la cordée Cap' Insa a besoin de nouvelles ressources humaines pour pérenniser les actuels partenariats en garantissant la qualité des actions menées."
D'après les témoignages recueillis, Labo Cités estime que "la situation n'est pas encore bloquée mais reste tout de même une préoccupation pour aller développer de nouvelles cordées et sensibiliser les établissements de l'enseignement supérieur à la politique d'égalité des chances dans l'accès aux études supérieures".
"Gestion complexe et chronophage"
Si le dispositif est proche de la saturation du côté des établissements d'enseignement supérieur, l'attitude de certains établissements secondaires est parfois problématique pour une tout autre raison : "Il arrive que les directions d'établissement voient le dispositif comme une 'vache à lait, d'où ils peuvent récupérer des financements pour des actions mais sans réelle volonté de faire un partenariat'." D'autres têtes de cordée "constatent des établissements 'fantômes', avec lesquels ils ont peu, voire aucun lien, et donc ne mettent en place que peu d'actions".
Quand le partenariat ne connaît pas ce type d'écueil, il pâtit souvent d'une "gestion administrative complexe et chronophage". Le dispositif implique en effet de monter des dossiers de conventions avec chaque établissement partenaire, mais aussi d'élaborer des dossiers de subventions ou encore d'établir des bilans des actions. Tâches d'autant plus lourdes que pour une même cordée il n'est pas rare de mener des actions différenciées pour chaque collège ou lycée partenaire, ce qui multiplie les lignes du bilan ou les montages de dossiers de financement à réaliser.
La "logistique" des actions n'est pas en reste parmi les préoccupations des personnes impliquées dans les Cordées de la réussite. Accueillir les élèves au sein d'un établissement supérieur nécessite en effet "la mobilisation de plusieurs personnes pour recevoir les collégiens ou lycéens, organiser un parcours, tenir un horaire, faire un atelier dans un laboratoire..." Il en va de même pour l'organisation d'un atelier au sein d'un collège ou d'un lycée. Or, pointe Labo Cités, "la plupart des cordées ont peu de moyens humains et pour certaines personnes interrogées, cela devient un véritable 'frein pour s'engager'".
"Dissemblances de culture"
La dernière série de difficultés réside dans les "dissemblances de culture éducative" entre établissements supérieurs et établissements secondaires. Selon un témoignage, "si l'équipe des collèges et lycées n'est pas à fond et dans le même état d'esprit pour structurer ce partenariat, ça peut être un frein". Cette situation est par ailleurs aggravée en cas de changements dans les effectifs enseignants, qui amènent parfois à "reprendre presque à zéro la construction du dialogue", ou d'orientation politique d'un collège ou lycée à l'arrivée d'une nouvelle direction.
Enfin, Labo Cités révèle que si l'accompagnement individuel, "clé de voûte de la réussite éducative", est présent dans toutes les cordées mises en avant dans son analyse, tous les élèves n'en bénéficient pas, notamment en raison, une nouvelle fois, du manque de moyens humains, mais aussi d'un engagement des élèves "encordés" pas toujours aussi fort que nécessaire.
Un guide pour les référents
Pour améliorer le dispositif, Labo Cités avance plusieurs pistes. Par exemple, encorder les collèges, lycées et établissements d'enseignement supérieur d'un même secteur afin de créer un projet éducatif territorialisé, en s'appuyant le cas échéant sur une cité éducative. Ou encore, construire dès le départ une culture de travail commune.
Pour construire une cordée dans les règles de l'art, on pourra également se reporter au Guide des référents "Cordées de la réussite" que vient de publier l'Onisep. Ce document fait le point sur l'organisation des cordées et leur financement et donne des conseils aux référents chargés de coconstruire les actions avec la tête de cordée et les étudiants tuteurs, de suivre les élèves et de rédiger les rapports de suivi.