e-inclusion - Emploi et logement au coeur de la "société numérique solidaire"
"Même si les temps sont durs et les empêchements nombreux, ce cycle d'ateliers, placé sous le signe de la solidarité, veut donner les outils numériques et enseigner leurs usages à ceux qui en ont directement besoin ou à ceux qui les accompagnent", a lancé, avec conviction, la secrétaire d'Etat au développement de l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Moriset, ce 28 mai à Paris. Avec 18 millions d'abonnés au haut débit (essentiellement ADSL) et 65% des foyers connectés, la France se place au 11e rang mondial de la société de l'information. Constat posé, la secrétaire d'Etat a voulu trouver des pistes de solidarité sous le prisme de deux thématiques : l'accompagnement à la recherche d'emploi et l'accès social à internet dans les logements collectifs.
Les EPN en première ligne
"Jusqu'à présent, la maîtrise des technologies de l'information et de la communication était un plus pour trouver un travail. Désormais, c'est indispensable !", a défendu Bernard Benhamou, délégué aux usages de l'internet (DUI). La délégation place son action sur deux axes : d'une part, la formation à la maîtrise des outils, et, d'autre part, l'aide à la conception de ressources et de plateformes numériques plus ergonomiques, donc davantage accessibles au plus grand nombre.
Dans ce double objectif, les espaces publics numériques (EPN) jouent un rôle clé. Le constat de la fréquentation importante de ces cyber-lieux par les chercheurs d'emploi n'est pas nouveau. Dès 2001, ces espaces multimédias, initiés par les ministères (Espace culture multimédia ou Point Cyb de la Jeunesse et des sports) ou les collectivités (Cybercommunes en Bretagne, Cyberespace en Nord-Pas-de-Calais, Eric en Paca, EPNE en Essonne ou Papi à Brest), ont lancé des ateliers de formation dédiés aux chômeurs. En 2004, plus du tiers du public des EPN était des demandeurs d'emploi. "Avec un manque de ressources, de partenariat local, et avec des animateurs spécialistes des TIC et non de l'aide à la recherche d'emploi, les EPN ont atteint leurs limites : ils ne peuvent pas faire plus, ils doivent donc faire mieux", a témoigné Marie-Hélène Féron, chargée de mission accès public à internet de l'agence régionale Artesi-Ile-de-France et membre du réseau associatif CRéATIF. La Caisse des Dépôts constate elle aussi un vrai besoin, par la voix de son directeur financier, Alain Quinet : 831 Cyberbases sont déployées sur le territoire national, dont 137 dédiées à l'emploi. Une quinzaine d'autres sont en projet. Des formations spécifiques, un guide, des ressources mutualisées sur un portail commun et une rencontre thématique en mai 2007 ont déjà été proposés pour aider les 317 animateurs des Cyberbases emploi.
Site collaboratif sur l'emploi
Pour faire des 4.000 EPN nationaux de "véritables tremplins vers l'emploi", Nathalie Kosciusko-Morizet a annoncé un projet de formation spécifique à l'attention des médiateurs des EPN et des professionnels de l'emploi. La DUI, en partenariat avec la Caisse des Dépôts et l'association CRéATIF, va regrouper sur un site portail l'ensemble des informations, ressources et services utiles à la recherche d'emploi sur internet. Pour valoriser les bonnes pratiques développées sur le terrain, cet outil est conçu sous une forme participative.
La secrétaire d'Etat a aussi annoncé la refonte du Passeport pour Internet et le Multimédia (PIM) afin d'être au plus près des besoins des demandeurs d'emploi débutant sur internet et d'être plus en phase avec les nouveaux usages numériques (réseaux sociaux, optimisation de la remontée ciblée des offres via l'utilisation des flux RSS...).
Reste que s'il est possible de mutualiser des informations et des outils, il est beaucoup moins évident de mettre en commun des animateurs et des lieux équipés... "Ces EPN n'étaient, au départ, pas prévus pour durer. Pourtant, aujourd'hui, ils assument des tâches de plus en plus complexes", a convenu Karen Le Chenadec, responsable du département développement numérique de la Caisse des Dépôts. Depuis l'extinction du dispositif emplois-jeunes, "ce sont les collectivités qui supportent à la fois leur mise en place et leur fonctionnement", a-t-elle poursuivi. Plusieurs pistes de réflexions sont en cours pour trouver un modèle économique à ces EPN : s'appuyer sur les relais de services publics, par exemple, ou encore profiter de la possibilité d'utilisation des chèques emploi services pour le volet des actions de sensibilisation en direction du grand public. "Parce qu'on ne peut quand même pas faire de la lutte contre la précarité avec de la précarité", s'est enflammé un animateur d'un EPN du 18e arrondissement parisien.
Logement social numérique
"Si les services publics se développent avec plus d'efficience sur le net dans les domaines de l'emploi, de la santé ou de l'éducation, nous estimons de notre devoir d'accompagner nos locataires qui n'ont pas accès à ces nouveaux outils", a justifié Eric Lamoulen, directeur général de l'OPHLM Le Toit Angevin. Ce bailleur social est l'un des rares, avec Dunkerque ou Moulins Habitat, à avoir mis en place, à Angers, une stratégie numérique globale d'équipements, de formations et de nouveaux services dans 600 logements. Résultat : les habitants bénéficient d'une offre triple play collective pour un supplément de loyer de seulement 2 euros par mois. Le câblo-opérateur numéricable est d'ailleurs venu détailler son offre baptisée "SUN" : 2 Mbits/s pour internet, accès aux chaînes de la TNT et 40 chaînes étrangères et à une trentaine de radios, ligne téléphonique fixe comprise (avec appel vers seulement quelques numériques d'urgence). Les autres opérateurs télécoms n'ont pas voulu rester sur la touche d'un marché potentiel de 4,2 millions de logements sociaux. Orange, SFR et Free ont présenté leurs offres allant de 20 euros mensuels jusqu'à la gratuité. Celles-ci ne sont pas encore toutes disponibles (France télécom prévoit son lancement début juillet). Et pour celles qui le sont déjà, elles le sont le plus souvent uniquement sur quelques zones urbaines et fibrées (comme l'offre SFR de Paris Habitat).
Pour accélérer le mouvement, la ministre du Logement, Christine Boutin, lance son "Logement social numérique". Objectif : "inciter les bailleurs à jouer pleinement leur rôle d'intermédiaire vis-à-vis des opérateurs afin de garantir aux locataires une offre de services numériques à prix modéré", a-t-elle expliqué. Ce label portera sur l'équipement, les usages et les services. Il sera attribué au bailleur pour l'ensemble de son parc. Les financements de l'Etat dépendront de la qualité de cet environnement numérique. En fonction des critères de performance, il est prévu d'établir un classement à trois niveaux du type : un clic, deux clics, trois clics. Pour chaque catégorie, un financement majoré pourrait être attribué aux bailleurs pour 20 opérations pilotes sur les deux années à venir.
"A part numéricable qui a l'avantage historique de son réseau câblé, aucun opérateur n'a réellement envie de faire des offres collectives. Ils préfèrent engranger des abonnements individuels à raison d'un million d'abonnés supplémentaires par an", a confié un responsable de l'Union sociale pour l'habitat. Alors plutôt qu'un, deux ou trois clics, l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) qui étudie les offres concurrentes devra-t-elle mettre une grande claque ? "En tout cas, je ne veux pas qu'on instrumentalise la fragilité !", a déjà lancé Christine Boutin, avec tact, en direction des opérateurs.
Le prochain atelier de la société numérique solidaire devrait se tenir, probablement en septembre, sur le thème de l'équipement personnel du foyer. Il devrait permettre de faire le point sur les offres d'ordinateurs recyclés dans le cadre de l'opération Ordi 2.0.
Luc Derriano / EVS