Logement / Urbanisme - Emmanuelle Cosse s'installe avec Alur

Quelle ministre du Logement sera Emmanuelle Cosse ? Sa première grande conférence de presse, organisée le 23 mars, en donne peut-être un aperçu. Car ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard de calendrier si elle a attendu cette date anniversaire de la loi Alur (2 ans déjà) pour démontrer tout le bien qu'elle pense de ce texte, plutôt que d'insister sur la relance de la construction par exemple. C'était aussi l'occasion de présenter ses trois priorités en toute cohérence : justice sociale, priorité environnementale, priorité de solidarité. Et de montrer sa détermination à défendre le volet logement du futur projet de loi Egalité et Citoyenneté.

"Mon objectif est de mener au bout la mise en application de la loi Alur : qu'elle soit bien appliquée et bien appropriée par tous les acteurs du logement." Le 23 mars, Emmanuelle Cosse avait placé sa première grande conférence de presse sous le signe anniversaire des 2 ans de la loi Alur. La nouvelle ministre du Logement et de l'Habitat durable s'est ainsi située dans la continuité de cette loi-monument promulguée le 24 mars 2014 et conduite par sa prédécesseure Cécile Duflot, répondant brièvement aux questions sur le dispositif "Pinel" ou le PTZ présentés comme hors sujet ce jour-là.
Elle a énoncé ses priorités : la justice sociale "pour que chacun puisse choisir où il souhaite habiter" (l'enjeu du volet logement du futur projet de loi Egalité et Citoyenneté) ; la priorité environnementale avec le plan de rénovation thermique ; la priorité de solidarité (elle se félicite que la politique d'hébergement ait "rompu avec la gestion au thermomètre" et entend poursuivre dans cette voie). L'enjeu économique n'est pas oublié "car tout ce que nous faisons dans le logement a des conséquences sur l'économie et l'emploi", a-t-elle souligné.

Remettre l'égalité et la citoyenneté au coeur des politiques publiques

Dans son nouveau costume de ministre, l'ex-élue au logement et à l'action foncière de la région Ile-de-France ne s'interdit pas un petit coup de colère à l'encontre des élus locaux ayant mené des politiques de peuplement volontairement ségrégatives. Elle évoque ainsi sans tabou ces "territoires ségrégués parce qu’on a utilisé la politique du logement pour le faire". Et de pointer les communes "qui refusent dans les commissions d'attribution d'accueillir les plus pauvres" ou celles "qui attribuent des logements sociaux aux plus pauvres en périphérie de la ville alors qu'il existe un parc social dans leur centre", sans compter celles qui, "par des moyens légaux, détournent la loi". C'est ainsi qu'elle justifie la nécessité du futur projet de loi Egalité et Citoyenneté dont elle a hérité du volumineux volet logement (voir notre article du 15 mars 2016) et qu'elle devra défendre à partir de juin au Parlement.
Un texte qui, explique-t-elle, "vise à remettre l’égalité et la citoyenneté au cœur des politiques publiques". Et elle est prête à l'expliquer aux associations d'élus qui se plaindraient de ce texte "de plus", au motif que les collectivités ne se seraient pas encore appropriées les nombreux dispositifs créés par les lois Alur et Lamy (voir notre article du 15 mars).

90% des textes d'application publiés avant la fin de l'été

Pourtant, Emmanuelle Cosse elle-même convient que l'un des enjeux d'Alur n'est pas tant la publication des textes d'application, mais bien son appropriation par les acteurs du logement. Sur les 75 mesures qui nécessitaient un texte d'application, 48 sont d'ores et déjà publiées (voir notre dossier "Alur" ci-contre) et 20 seraient en si bonne voie que la ministre a promis que 90% seront sorties "d'ici à la fin de l'été". De quoi afficher un pourcentage honorable dans le rapport que présenteront à l'automne les parlementaires rapporteurs de la loi.
Le député Daniel Goldberg, corapporteur à l'Assemblée nationale pour les titres 1 et 2, a déjà son sous-titre : "Cette loi a fière Alur". Il estime que les mesures de la première partie de la loi "ne font aujourd'hui plus débat et ont été appropriées par la plupart des acteurs", confiant sur le fait que "la loi va se renforcer au fur et à mesure de son application".

Observer avant d'encadrer

Tout juste sent-on un doute au sujet de l'encadrement des loyers. La déclaration de Manuel Valls en juillet 2014, annonçant que ce dispositif serait désormais uniquement "appliqué à titre expérimental à Paris" et ne serait pas "étendu aux autres agglomérations concernées tant qu'un bilan sur sa mise en œuvre n'aura pas été réalisé" (voir notre article du 29 août 2014) n'est toujours pas passée. Ce n'est pas ce que dit la loi, rappelle aujourd'hui Daniel Goldberg, même s'il convient que le Premier ministre ne se trompait pas quand il indiquait que "les conditions techniques ne sont pas réunies, et ne le seront pas avant des mois, voire des années", notamment en ce qui concerne "la collecte des données des loyers". Mais le gouvernement peut dire ce qu'il veut, la mise en place de l'encadrement des loyers dans 28 agglomérations en zone tendue est gravée dans la loi. Cela prendra du temps, voilà tout. Et puis, temporise Emmanuelle Cosse, le plus important c'est de pouvoir observer les marchés du logement y compris dans des zones non tendues, car c'est là, selon elle, "la clé d'une meilleure régulation". Elle se réjouit ainsi que d'ores et déjà, 30 observatoires soient installés sur le territoire, ce qui ne signifie pas qu'ils opteront pour l'encadrement.
Paris est pour l'heure la seule à avoir franchi le cap (voir notre article du 29 juin 2015), Lille serait prête pour la fin 2016, Grenoble "qui débute seulement son travail d'observation" l'envisage à deux ans et il y a débat dans l'agglomération parisienne au moins sur la nécessité de disposer d'un observatoire des loyers.

La Visale "plus opérationnelle" que la GUL

Emmanuelle Cosse n'a pas exprimé de regret quant à la décision du gouvernement d'avoir abandonné la garantie universelle des loyers (GUL), autre mesure-phare d'Alur, pour la garantie locative Visale. Elle juge le nouveau dispositif "plus opérationnel" et ciblé sur "les ménages qui en ont réellement besoin : salariés précaires et jeunes ménages".
La ministre a annoncé la publication au second trimestre 2016 de décrets visant à lutter contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil, avec la création de la "déclaration de louer" (une commune pourra l'exiger sur des périmètres définis ou dans le diffus identifié comme susceptible d'accueillir de l'habitat indigne), l'"autorisation de louer" (qui donnera à la commune la possibilité de refuser un bail s'il s'avère qu'il relève d'un marchand de sommeil), et le "permis de diviser" (qui donnera à la commune la possibilité de s'opposer à la division de pavillons, voir notre article 'Quand les marchands de sommeil investissent les cités pavillonnaires'). Pour rappel, l'interdiction pour les marchands de sommeil d'acheter des lots de copropriété avait fait l'objet d'une application immédiate à la promulgation de la loi.

"Le PLUi est un succès"

Sur le volet urbanisme, "le PLUi est un succès", se félicite Emmanuelle Cosse avec Audrey Linkenheld qui, en tant que corapporteur à l'Assemblée sur les titres 3 et 4, a dû longuement argumenter en séance parlementaire. "Plus de 300 PLUi sont en cours d'élaboration", a indiqué la ministre (voir aussi notre encadré ci-dessous), qui ne doute pas que cet outil constitue "une réponse précise dans le cadre des regroupements des EPCI". La députée du Nord, élue au logement à Lille Métropole, estime elle aussi que les décrets d'application sont une chose mais que "l'essentiel c'est que ça prenne sur le terrain" aussi bien pour les PLUI que pour les Scot dont le rôle intégrateur a été renforcé par Alur.
Concernant les outils permettant la dissociation du foncier et du bâti, comme la création de l'"organisme foncier solidaire" prévu par la loi Alur, mais aussi celle du "bail réel solidaire" prévu par la loi Macron, deux textes seraient en cours d'examen et devraient paraître "fin juin", selon Audrey Linkenheld. Là encore, un gros travail d'appropriation en perspective si l'on en croit l'analyse du très sceptique CGEDD (voir notre article du 14 décembre 2015).

Valérie Liquet

Les PLU intercommunaux "en fort développement", selon l'AdCF
A la date du 11 mars 2016, 548 communautés rassemblant plus de 11.000 communes étaient titulaires de la compétence de réalisation des plans locaux d'urbanisme (PLU), selon un recensement effectué par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) en lien avec l'Assemblée des communautés de France (ADCF).
Selon cette dernière, plus de 200 communautés ont pris la compétence en 2015 et de nouvelles délibérations sont en cours sans attendre l'échéance de 2017 prévue par l'article 136 de la loi Alur. Ce texte prévoit en effet à cet horizon le transfert automatique de la compétence en matière de PLU au niveau intercommunal sauf opposition d'au moins 25% des communes représentant au moins 20% de la population. Les 548 communautés ayant aujourd'hui cette compétence représentent 27% des communautés de communes et 26% des communautés à statut urbain (agglomérations et métropoles), relève l'ADCF qui souligne aussi que les démarches de PLU intercommunaux (PLUi) sont engagées dans les milieux ruraux comme dans les espaces urbains et métropolitains.
L'ADCF, qui va diffuser des "supports pédagogiques réalisés à partir de témoignages locaux" pour "prolonger l'effort de persuasion et de valorisation engagé sur le PLU intercommunal depuis le Grenelle de l'environnement" se félicite dans un communiqué de cet "essor très rapide qui devrait sensiblement s'accélérer au cours des prochains mois". De plus, indique l'ADCF, "le projet de loi Egalité et Citoyenneté devrait également apporter des transitions souples pour que la compétence PLUi ne soit pas un facteur de blocage des nombreuses fusions de communautés en préparation". L'un des articles de l'avant-projet de loi habilite effectivement le gouvernement à prendre une ordonnance pour accompagner les fusions d'EPCI, de manière à ce que ni les PLUi ni les schémas de cohérence territoriale (Scot) existants ne soient bloqués en attendant leur élaboration à l'échelle du nouveau périmètre.
Enfin, rappelle l'ADCF, "l'urbanisme intercommunal repose sur un 'faire ensemble' entre les communes et non sur un rapport de force. Dans les faits, les PLUi sont le plus souvent arrêtés à l'unanimité du conseil communautaire". Cela explique selon elle le fait qu'elle n'a recensé "aucun contentieux spécifiquement lié au caractère intercommunal de l'urbanisme".
A.L.

 

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