Emmanuelle Cosse : 10 à 20.000 logements sociaux vont manquer à l'appel en 2020
Interrogée par l'AFP, la nouvelle présidente de l'Union sociale pour l'habitat estime qu'"on a beaucoup de retard" et que les chiffres de la production de logements sociaux ne seront vraisemblablement pas à la hauteur des objectifs. Outre la crise sanitaire et le confinement, elle y voit des raisons financières, politiques, le fruit du report du deuxième tour des municipales... et des "raidissements" de la part de certains élus locaux.
A peine élue présidente de l'Union sociale pour l'habitat (voir notre article ci-dessous du 5 novembre 2020), Emmanuelle Cosse donnait une interview à "Actualités Habitat", le magazine de l'USH. L'ancienne ministre du Logement s'y montrait – prudemment – optimiste : "A très court terme, je souhaite que nous parvenions à tenir, d'ici la fin de l'année, nos objectifs de production, notamment dans le très social, et de rénovation. Les collectivités territoriales doivent être naturellement partenaires de cette ambition. Aucun responsable politique, national ou local, ne peut ou ne doit ignorer la demande d'un logement abordable qui émane d'une partie toujours plus nombreuse de la population, qu'il s'agisse de locataires ou d'accédants à la propriété".
"L'année 2020 ne va pas être bonne, on a des difficultés partout"
Mais ce relatif optimisme s'est vite heurté à la réalité de la situation, encore aggravée par le rebond de la pandémie et la mise en œuvre du deuxième confinement (même si celui-ci épargne largement le secteur du bâtiment). L'engagement de production de 110.000 logements sociaux, pris dans le cadre de l'accord avec le gouvernement, semble désormais clairement inatteignable. Dans une interview à l'AFP du 29 novembre, Emmanuelle Cosse reconnaît ainsi qu'"on a beaucoup de retard" et que "l'année 2020 ne va pas être bonne, on a des difficultés partout" en France. Non seulement l'engagement de 110.000 logements neufs ne sera pas tenu, mais la présidente de l'USH reconnaît même qu'""on n'est pas certains de faire 100.000 logements".
Au-delà des effets – bien réels – de la pandémie et du confinement, et tout particulièrement du premier d'entre eux, il est donc nécessaire de rechercher les causes de cette situation. Dans un communiqué du 16 novembre, l'USH estimait d'ailleurs déjà que "le gouvernement doit poursuivre l'analyse des causes de la baisse de la production de logements". Pour Emmanuelle Cosse, "il y a d'abord des raisons financières car, depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron, le gouvernement demande au secteur de faire d'importantes économies". Dans le dernier numéro de sa revue d'études "Perspectives", consacré à la situation financière des bailleurs sociaux, la Banque des Territoires évoquait toutefois "un secteur résilient face à la crise grâce à des revenus basés sur les loyers et à l'environnement de taux durablement bas" et concluait plutôt, tout en reconnaissant l'impact de la réforme des APL et celui de la crise sanitaire, que le secteur du logement social "serait en mesure de faire face à la crise sanitaire et économique si celle-ci reste temporaire" (voir notre article ci-dessous du 15 septembre 2020).
Un problème politique... et écologique ?
Mais la présidente de l'USH évoque également un problème politique. Selon elle, "il n'y a jamais d'affichage politique très fort". Pour Emmanuelle Cosse, "ça fait trois ans qu'on encaisse [...] une absence de discours sur le logement", pointant également le fait que le monde HLM a fait l'objet d'une "stigmatisation" dans les premiers temps du quinquennat. Tout en reconnaissant que les relations avec le gouvernement se sont améliorées depuis la signature avec l'État du "pacte d'investissement pour le logement social" en avril 2019, et en jugeant que la nouvelle ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, fait preuve de bonne volonté avec les bailleurs sociaux, la présidente de l'USH estime que "si elle ne porte pas un discours fort sur la production de logements et le logement abordable, on n'y arrivera pas".
La remarque vise notamment l'action de conviction à mener auprès des élus locaux et renvoie aux échanges aigres-doux sur les retards, voire les blocages, dans l'instruction et la délivrance des permis de construire par les collectivités (voir notre article ci-dessous du 4 novembre 2020). Emmanuelle Cosse explique ainsi avoir "des retours d'un peu partout sur des raidissements. Ça met les organismes HLM dans une grande difficulté". Des retards qui s'expliqueraient notamment par le décalage de plusieurs mois du second tour des élections municipales et, dans de nombreuses villes, par l'arrivée de nouvelles équipes.
Enfin, dans le prolongement de la question des municipales, Emmanuelle Cosse dit craindre "que l'argument de l'artificialisation [des sols, ndlr] soit utilisé comme cache-sexe pour ne pas faire du logement social". Bien que la présidente de l'USH a occupé les fonctions de secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts (EELV) entre 2013 et 2016, la remarque semble viser, entre autres, les nouveaux maires écologistes de plusieurs grandes villes.