Édouard Philippe donne sa lecture du débat et ouvre le temps de la décision
La restitution du Grand Débat national par le gouvernement a eu lieu ce 8 avril à Paris, en présence de quelque 500 personnes. Après la présentation des travaux d'analyse des prestataires, le Premier ministre a donné sa propre lecture des attentes qui se dégageaient à l'issue de cette concertation. Avant d'esquisser les contours de quatre chantiers pour la suite, qui ont trait à la baisse de la fiscalité, au renforcement de la "proximité" et au "rééquilibrage" entre métropoles et petites et moyennes communes, à la réponse à la "défiance" sur le terrain de la "lisibilité" et de la "démocratie délibérative" et, enfin, à l'"urgence climatique".
Présent ce 8 avril 2019 au Grand Palais à Paris avec une partie du gouvernement, le Premier ministre a assisté pendant plusieurs heures à la restitution du Grand Débat national. Comme cela avait été annoncé, cette restitution a eu vocation à rendre compte du caractère "foisonnant" de la démarche de concertation lancée par le président de la République le 15 janvier dernier, suite au mouvement de contestation des gilets jaunes. Des présentations rapides des multiples analyses réalisées par les prestataires se sont enchaînées sur chacun des quatre thèmes définis initialement ainsi que sur quatre thèmes ayant également émergé (voir notre autre article de ce jour), alternant avec des témoignages de personnes ayant à divers titres - élus, citoyens, médiateurs… - et dans différents contextes et territoires - conférences citoyennes, stands mobiles, outre-mer et pays étrangers… - pris part à la démarche.
"Il n'y a pas de lecture officielle du Grand Débat", a insisté Édouard Philippe, répondant à de nombreuses réserves exprimées - récemment mais également depuis le lancement de l'initiative - quant à la possibilité d'une restitution sincère et relativement neutre des résultats par le gouvernement. Le Premier ministre a mis en avant une "méthode innovante, sans doute perfectible, mais honnête", tout en faisant valoir le "regard scrupuleux, exigeant" des cinq garants.
Pour les garants : l'"hypermédiatisation" du président comme limite, la "transparence" comme élément de réussite
Ces derniers, qui remettront tout prochainement leur rapport, s'étaient exprimés plus tôt dans la matinée. Par la voix notamment de Nadia Bellaoui, secrétaire générale de la Ligue de l'enseignement, ils ont exprimé sur la démarche deux "réserves" qu'ils avaient déjà mis en avant : la "formulation excessivement binaire" des questions fermées formulées sur chacun des quatre thèmes et la forte "implication personnelle du président de la République". "Son hypermédiatisation a pu nourrir le doute" et "polariser l'attention" en occultant la richesse des échanges qui avaient lieu parallèlement, ont regretté les garants.
Ces derniers ont à l'inverse salué deux aspects en particulier du Grand Débat. D'une part, les "efforts" réalisés par une diversité d'acteurs pour toucher un large public et y compris les personnes les plus éloignées de la participation. D'autre part, la "transparence" de la démarche, gage de "crédibilité", a été présentée comme un élément de réussite, avec notamment le choix de l'open data qui a suivi une recommandation du collège de garants.
"Un immense besoin de justice et d'équité"
Après de longs remerciements, notamment aux "maires de France sans qui ce débat n'auraient eu de grand que le nom", le chef du gouvernement a donné sa propre lecture du Grand Débat. "Je retiens pour ma part un immense besoin de justice et d'équité", a-t-il posé en préambule, avant de décliner "quatre grands axes, quatre exigences". La concertation aurait permis pour certains chantiers bien connus de "confirmer un certain nombre d'orientations" et pour d'autres exigences "plus nouvelles" de mettre à jour la nécessité de "changer d'approche, de changer de méthode et peut-être même de changer d'échelle".
Sans surprise, le premier chantier a trait à l'"immense exaspération fiscale". "Les débats, je le crois, nous indiquent clairement la direction à prendre : nous devons baisser et baisser plus vite les impôts", a interprété Édouard Philippe. Avant de considérer que les Français avaient "compris avec beaucoup de maturité" que cette baisse allait de pair avec une baisse de la dépense publique.
Le rééquilibrage entre métropoles et petites et moyennes communes, "c'est possible"
Deuxième axe mis en avant : une "exigence de fraternité, de proximité, de lien quotidien". Évoquant le sentiment d'abandon d'une partie de la population et la fermeture de services publics, le chef du gouvernement a estimé que "la réponse à ce profond malaise consiste probablement à rétablir l'équilibre entre les métropoles et les communes qui se trouvent à l'extérieur des logiques métropolitaines". "La bonne nouvelle c'est que je crois que c'est possible", a-t-il poursuivi. Après avoir relevé le défi du rééquilibrage entre Paris-province qui se posait "il y a 20 ans, 30 ans" et favorisé la création de "puissantes métropoles qui rayonnent en Europe", l'heure serait désormais au "rééquilibrage entre ces métropoles et les communes petites ou moyennes".
Parmi les solutions évoquées : la lutte contre l'étalement urbain via une évolution des règles d'urbanisme, des investissements au profit des "transports du quotidien", un retour à des services publics "de contact, pas uniquement numériques, humains", le développement d'une "culture de la simplicité". Il s'agira de viser "une production beaucoup moins importante de normes et beaucoup plus importante de solutions, où le service aux usagers doit primer", a formulé Édouard Philippe en se tournant vers les directeurs d'administration centrale conviés pour l'occasion. "C'est assez facile à formuler, c'est assez délicat à accomplir", a-t-il reconnu.
Plus de lisibilité sur le "qui fait quoi" et de nouveaux "outils d'une démocratie plus délibérative"
Abordant le troisième chantier relatif à l'"exigence démocratique", le Premier ministre a évoqué, prenant l'exemple des 80 km/h, la difficulté à "gouverner" dans un contexte de défiance permanente. Avant d'interpréter plusieurs attentes des Français : la nécessité de "mieux identifier qui fait quoi dans le millefeuille actuel", la construction d'"outils d'une démocratie plus délibérative". Considérant que cette démocratie délibérative se développait au niveau local mais restait encore "largement à inventer au niveau de l'État", Édouard Philippe a jugé que "des structures qui étaient prévues à cet effet n'ont pas permis d'organiser le Grand Débat et qu’il a donc fallu en imaginer d’autres" – référence laissant planer un certain doute sur l'avenir de la Commission nationale du débat public qui, en l'occurrence, n'était pas "prévue" pour organiser une telle démarche de concertation jamais menée auparavant. "Le Grand Débat se termine mais l'exigence de participation demeure", a-t-il continué. Restant flou sur les modalités qui pourraient être renforcées, le chef du gouvernement a toutefois considéré que les Français souhaitaient avant tout "une démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace et une exemplarité encore renforcée".
Dernier axe : celui de l'"urgence climatique". "Les Français, à la différence de nombreux autres peuples, ne sont pas climato-sceptiques", a salué Édouard Philippe. "En revanche, ils ne veulent plus que des taxes leur dictent ce qu’ils doivent faire et dans les cas où ils peuvent l'envisager, ils veulent que leurs produits financent des dispositifs d'accompagnement", a-t-il simplement évoqué.
Quid de la restitution du Grand Débat qui a eu lieu entre le chef de l'État et les élus locaux ?
Repassant la main à la "démocratie représentative", le Premier ministre a estimé qu'il s'agissait désormais de transformer "ces éléments de consensus" en "compromis démocratiques pour atteindre ces objectifs". Mardi devant les députés et mercredi devant les sénateurs, il pourrait préciser davantage les contours de ces chantiers - fiscalité, services publics, décentralisation, démocratie et réforme constitutionnelle… - et leur calendrier, même si les premières annonces du chef de l'État ne sont attendues que pour mi-avril.
On retiendra des annonces du Premier ministre que le mot "décentralisation" n'a pas été prononcé et que les enjeux des collectivités ont été évoqués à travers les deux "exigences" de proximité et de démocratie. Autre point à noter : le "Grand Débat national des élus locaux", qui a eu lieu à travers de multiples rencontres avec le chef de l'État, n'a ce jour pas fait l'objet d'une restitution en tant que telle. Auditionné le 4 avril au Sénat avec l'autre "animatrice" du Grand Débat Emmanuelle Wargon (voir notre article du même jour), le ministre Sébastien Lecornu avait garanti que tous ces échanges avaient fait l'objet d'un suivi précis et étaient repris dans le cadre d'un groupe de travail interministériel dédié. Mais, au titre de la "lisibilité" souhaitée pour l'avenir, il aurait pu être intéressant que la restitution destinée aux Français fasse également état de ces heures de débat pendant lesquelles les élus locaux ont évoqué leurs préoccupations.