Archives

Grand Débat : les attentes et propositions des Français

Une baisse des impôts, plus de justice fiscale, des services publics plus accessibles, davantage d'écologie, des élus exemplaires et à l'écoute… telles sont, entre autres, les grandes tendances et propositions émanant des contributions du site internet dédié, des cahiers citoyens, des réunions d'initiative locale et des conférences citoyennes organisées dans le cadre du Grand Débat national. Les organismes en charge de leur analyse les ont présentées lundi.

 

Fiscalité et dépenses publiques : moins d'impôts, plus de justice

"Ras-le-bol fiscal" : le terme a été rabâché lors de l'exercice de restitution. C'est que cette idée a nettement émergé du Grand Débat. "40% des idées exprimées par les cahiers citoyens et les mails évoquent un nombre et un niveau d'impôts trop importants", a indiqué Frédéric Micheau, de l'institut de sondage Opinion way. D'après les contributions collectives, beaucoup de Français rejettent "l'usine à gaz fiscale". Par ailleurs, ils estiment que l'effort fiscal est "mal réparti" - il pèse en particulier trop sur les classes moyennes –-et demandent donc plus de "justice fiscale".

Le questionnaire en ligne sur les dépenses publiques et la fiscalité est de tous celui qui a reçu le plus de réponses (plus de 400.000). Sur les plus de 186.000 personnes ayant avancé des propositions sur le thème de la fiscalité, près de 16% ont suggéré de "réformer l'impôt sur le revenu", mais seulement 1,4% de "revoir le calcul de la taxe foncière".

Pour réduire le déficit public, trois quarts des personnes pensent qu'il faut avant tout baisser les dépenses, seulement 4% estimant qu'il faut augmenter les impôts. 56% estiment que les dépenses à réduire en priorité sont celles de l'État, mais 18% pensent que ce sont celles des collectivités locales (16% pour les dépenses sociales). La défense (28%) et le logement (22%) sont les deux principaux domaines de dépenses publiques dans lesquels il faudrait selon eux faire des économies.

Les internautes ont jugé que les impôts à baisser en priorité sont la TVA (plus de 28%) et l'impôt sur le revenu (près de 19%). Les impôts locaux arrivent en troisième position (11,6%), en sachant que la suppression de la taxe d'habitation est avancée par plus de 8%. Parmi les domaines prioritaires où notre protection sociale doit être renforcée, les répondants citent en premier lieu la santé (27,8%), devant l'aide aux personnes âgées (16,9%), la lutte contre la pauvreté (8,1%), l'aide à l'enfance (4,1%) arrivant après.

Parmi les contributions individuelles, la taxe d'habitation a fait l'objet de propositions divergentes (suppression pour tous, mais aussi rétablissement). On retiendra aussi la volonté d'une plus grande transparence et d'un contrôle plus grand de l'usage de l'argent public, notamment par le renforcement des pouvoirs de la Cour des comptes. Les conférences citoyennes ont mis en évidence l'importance d'"impliquer les citoyens dans les choix fiscaux et de dépenses" (via un impôt participatif par exemple), a révélé Sophie Guillain, de la société Res publica.

Organisation de l'État et des services publics : une forte demande de proximité, le "millefeuille" décrié

En dépit des réformes de ces dernières années, le "millefeuille" administratif n'a pas disparu aux yeux des Français. Cependant, les participants aux conférences citoyennes n'ont pas su se mettre d'accord sur le niveau d'administration à supprimer. En tout cas, ce ne serait certainement pas la commune : 68% des 375.000 personnes qui ont apporté une contribution sur la plateforme en ligne du Grand Débat ont dit leur attachement à cet échelon, nettement devant la région (38%), le département (35%, avec toutefois un résultat plus élevé en milieu rural) et l'intercommunalité (30%).

52% des contributeurs seulement déclarent avoir accès aux services publics dont ils ont besoin, un résultat qui tombe à 36% pour les participants résidant dans une zone rurale. Parmi les 62.000 personnes ayant déposé une contribution individuelle, 5% insistent sur la nécessité de relancer la décentralisation en renforçant notamment le rôle de la commune et en développant l'autonomie des territoires. La santé et les transports apparaissent comme les missions que l'État doit transférer aux collectivités territoriales.

Constatant que le "service public est peu réactif et de moins au moins au service du public", les participants au Grand Débat ont exprimé le souhait d'être davantage accompagnés et écoutés, la numérisation ne devant pas supprimer le contact humain.

La place du secteur privé dans la mise en œuvre du service public a été "très clivante", selon Judith Ferrando Y Puig, de la société Missions publiques. Pour certains, c'est "une ligne rouge", tandis que pour d'autres, c'est une façon d'obtenir "davantage d'innovation et de croissance", a-t-elle dit. Le Grand Débat a confirmé également l'existence d'un ressentiment très fort contre une haute administration "parisienne" et dont les rémunérations seraient trop élevées.

Démocratie locale et citoyenneté : pour des élus exemplaires

La défiance à l'égard des élus est apparue très grande. Les contributions individuelles ont mis en évidence notamment une demande forte d'exemplarité à leur égard. Les Français veulent également être écoutés avant que les décisions soient prises.

À la question "En qui a-t-on encore confiance pour se faire représenter dans la société ?", 27% des 380.000 internautes ayant rempli le questionnaire en ligne ont répondu en priorité "les élus locaux", au premier rang desquels il faut mentionner les maires (23%). Près des deux tiers des participants considèrent que le non-cumul instauré en 2017 entre un mandat parlementaire et des fonctions électives locales est "une bonne chose".

Pour renouer le lien entre les citoyens et les élus, les participants ont privilégié trois grandes pistes. La première est le renforcement de l'exemplarité des élus (25%). 57% des personnes ayant mis en avant cette option pensent qu'il serait souhaitable de "réduire le nombre des élus autres que les parlementaires". La seconde proposition consiste dans la modification des règles électorales et des modes de représentation (16%). Enfin, l'écoute des citoyens est mise en avant par 8,3% des personnes. Le référendum d'initiative citoyenne constitue l'une des modalités possibles dans ce cadre (7% des choix).

Lors des réunions d'initiative locale, les citoyens ont fait émerger une foule de propositions, notamment la création d'assemblées citoyennes, de jurys citoyens tirés au sort, ou encore de collèges citoyens. Insérés dans les instances existantes, ces derniers donneraient leur avis et vérifieraient que les décisions sont réellement appliquées.

Agir vite pour l'environnement

L'analyse des contributions du site internet dédié, des cahiers citoyens, des réunions d'initiative locale et des conférences citoyennes régionales fait apparaître un consensus autour de l'urgence climatique. 62% des contributeurs à la plateforme affirment que leur vie quotidienne est déjà touchée par le changement climatique, avec des conséquences concrètes (canicules, sécheresse, événements climatiques plus nombreux...). Les dérèglements climatiques sont le problème jugé le plus important dans le domaine de l'environnement (29% de citations), suivis par la biodiversité et la disparition de certaines espèces (22%) et la pollution de l'air (20%). Comme solutions, les évolutions des modes de transport (amélioration des transports publics, développement du ferroutage, encouragement à utiliser des moyens de transport plus propres) sont les plus citées sur la plateforme pour répondre au problème des dérèglements climatiques (23,5% des contributions) et de la pollution de l'air (43%). Pour contrer les menaces sur la biodiversité, les participants ont cité en priorité la réduction de l'usage des pesticides (26,1%) et le changement du modèle agricole (21,5%).

Au niveau individuel, 86% des répondants pensent pouvoir contribuer à protéger l'environnement. Comme actions individuelles, 47,8% d'entre eux citent d'abord la gestion des déchets (tri et limitation des déchets, recyclage), 37,5% les transports et 18,5% la consommation d'énergie.

77% des répondants pensent que leurs actions en faveur de l'environnement peuvent leur permettre de faire des économies. 52% estiment ainsi qu'il existe des solutions alternatives plus écologiques à leur mode de chauffage actuel. Par contre, ils ne sont que 37% à déclarer pouvoir recourir à d'autres solutions de mobilité que la voiture individuelle alors que 32% affirment ne pas pouvoir le faire. Dans les cahiers citoyens et les réunions d'initiative locale, l'insuffisance de l'offre de transports publics et multimodale a été fréquemment citée.

Parmi les incitations à changer de comportements en faveur de la transition écologique, 22% des contributeurs à la plateforme attendent un soutien financier dans les domaines de l'habitat, de la mobilité et de la consommation mais seuls 42% des répondants ont connaissance des aides et dispositifs existants pour l'isolation et le chauffage des logements et pour les déplacements.

En revanche, 55% des participants à la plateforme ne pensent pas que les taxes sur le diesel et l'essence peuvent permettre de modifier les comportements des utilisateurs et 58% sont opposés à l'idée de payer un impôt encourageant un comportement bénéfique. Moins de 1% des contributions des cahiers citoyens proposent le retour de la taxe carbone supprimée en 2019. Une taxation sur les gros pollueurs ou une taxe carbone sur les produits importés sont en revanche proposées. Les recettes de ces taxes doivent aux yeux des Français bien servir à les accompagner dans la transition écologique et à financer les investissements pour le climat. Par exemple, pour encourager les circuits courts dans le domaine alimentaire, ils proposent une taxation plus faible sur les produits locaux et bio et plus élevée sur les produits importés.

De manière plus générale, 59% des contributeurs de la plateforme estiment que la transition écologique doit être financée à la fois par le budget général de l'État et la fiscalité écologique et 69% pensent que ce financement doit concerner tout le monde - entreprises, administrations et particuliers.

Autres thèmes : le pouvoir d'achat en tête

Parmi les autres thèmes abordés lors de ce Grand Débat, le pouvoir d'achat est celui qui a été le plus évoqué. Avec plusieurs propositions à la clé, dont un groupe qui consiste à investir massivement dans le logement social.

D'autres propositions en matière de santé et de solidarité ont été faites, notamment : augmenter le personnel hospitalier et dans les établissements pour personnes âgées, développer les centres et maisons de santé accessibles à tous, ou encore revaloriser l'allocation adulte handicapé.

Autre donnée instructive pour les collectivités locales : 52 % des participants souhaitent que soient instaurées des contreparties aux allocations individuelles de solidarité (travaux d'intérêt général, participation à une association). Les Français ont aussi mis en avant le besoin que soit trouvée une solution pour les SDF, ou que la lutte contre la fraude aux aides sociales soit renforcée.

"Trois valeurs cardinales"

De l'ensemble des contributions déposées à l'occasion du grand débat, il ressort trois valeurs "transverses" et "cardinales", selon Franck Escoubès, de la société Bluenove. D'abord, la citoyenneté, qui correspond à l'aspiration à "plus d'implication dans la démocratie". Ensuite, la solidarité, qui signifie le besoin de "plus de protection". Enfin, la proximité, qui est synonyme d'une attente de "plus de local". Ce triptyque forme "le socle commun de toutes les autres valeurs", il constitue les "racines profondes du vivre-ensemble", a estimé l'expert.

Restitution du Grand Débat : quelques chiffres et éléments de méthode

La restitution du Grand Débat national a eu lieu au Grand Palais à Paris ce 8 avril. Les synthèses présentées à cette occasion sont de trois types : celles des contributions en ligne réalisées par OpinionWay, celles des contributions libres - cahiers citoyens, comptes-rendus des réunions d'initiative locale, courriers et emails - réalisées par le consortium Roland Berger-Bluenove-Cognito et, enfin, les synthèses des conférences citoyennes régionales.

Rédigées par Missions publiques et Res publica, les prestataires ayant organisé ces conférences citoyennes, ces synthèses n'avaient jusque-là pas été publiées sur le site, à l'inverse de celles qui ont trait aux conférences nationales thématiques. 21 conférences ont eu lieu en tout, dont 13 en régions métropolitaines, 7 en outre-mer et une dédiée à la jeunesse. La synthèse met en avant des éléments de diagnostic, des points de débat et l'ensemble des propositions retenues sur chacun des thèmes.

Selon le consortium piloté par Roland Berger, les contributions libres sur lesquelles l'analyse a porté sont les suivantes :

-        18.647 cahiers citoyens ;
-        16.874 courriers et emails ;
-        9.454 réunions d'initiative locale.  

Dans son rapport, le consortium indique que 380.000 pages avaient été numérisées par la Bibliothèque nationale de France au 8 avril 2019 et traitées dans l'analyse, correspondant quelque 14.000 cahiers citoyens, 5.000 comptes-rendus de réunions et 5.000 autres contributions libres. La méthode consiste à identifier des propositions et préoccupations à partir d'une cartographie lexicale d'un échantillon, puis d'associer la masse de contributions aux propositions via un algorithme, avant de restituer sous forme d'un arbre les points de convergence et les points de divergence.

Au total, la plateforme numérique a recueilli quelque 1,36 million de réponses aux questions fermées et 569.000 contributions dans la rubrique "Propositions". Le total de participants via cette plateforme est de 506.000 personnes, avec 411.000 répondants uniques aux questions fermées et 255.000 répondants uniques aux propositions.

Sur chacune des quatre thématiques mises initialement au débat par le président de la République, voici quelques chiffres de la participation ici arrondis au millier :

-       Transition écologique : 505.000 contributions sur la plateforme (réponses aux questions fermées et propositions) et 134.000 répondants uniques aux propositions ;
-       Fiscalité et dépenses publiques : 530.000 contributions sur la plateforme et 152.000 répondants uniques aux propositions ;
-       Démocratie et citoyenneté : 452.000 contributions sur la plateforme et 102.000 répondants uniques aux propositions ;
-       Organisation de l'État et des services publics : 446.000 contributions et 96.000 répondants uniques aux propositions.

La méthode de traitement d'OpinionWay a consisté à réaliser des pourcentages sans pondération pour les réponses aux questions fermées et à traiter le verbatim selon une méthode associant intelligence artificielle et intelligence humaine.

Caroline Megglé