Grand Débat : les sénateurs ont auditionné Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon
Conférences citoyennes, prise en compte des différents canaux de participation et représentativité du matériau recueilli, données géographiques et sociologiques sur les participants, suites pour les élus locaux, coût de la démarche… autant de points ayant donné lieu à des précisions et échanges sur le Grand Débat national ce 4 avril au Sénat, lors d'une audition des deux ministres en charge de l'animation de la consultation. Cela à la veille des premiers résultats, qui seront présentés par le Premier ministre le 8 avril.
Alors que les députés ont débattu les 2 et 3 avril des thèmes de la consultation et que le chef de l'État effectuait ce jour son dernier déplacement lié au Grand Débat en Corse, les sénateurs ont entendu ce 4 avril les deux ministres "animateurs" de la démarche gouvernementale, Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon, à la demande de son président Gérard Larcher. Le thème de l'audition : la méthodologie. Alors que la première restitution du Grand Débat aura lieu lundi 8 avril, autour du Premier ministre et d'une partie du gouvernement, des sénateurs ont déploré que cet échange n'ait pas eu lieu avant. Mais finalement, la méthodologie s'étant construite au fil de l'eau, c'est au terme de la démarche que les deux membres du gouvernement ont pu apporter le plus de précisions... et les sénateurs en ont profité pour mettre l'accent sur plusieurs enjeux pour la suite, notamment sur la poursuite de la décentralisation.
- Qui a participé aux conférences citoyennes régionales et comment s'est déroulé le processus de sélection ?
21 conférences citoyennes – 13 dans les régions métropolitaines, 7 dans des départements et territoires d'outre-mer, une dédiée à la jeunesse – ont eu lieu les 15-16 et 22-23 mars. Selon Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, 1.424 personnes tirées au sort y ont participé - soit 68 personnes par conférence en moyenne.
Sur recommandation des garants, les listes téléphoniques ont été utilisées pour réaliser le tirage au sort, notamment pour ouvrir l'exercice à des personnes non-inscrites sur les listes électorales. Le prestataire Harris interactive a ensuite redressé le panel pour assurer un équilibre selon différents critères (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, lieu de résidence à l'intérieur de la région). Seules 1 à 2% des personnes appelées ont accepté de participer, un taux "très similaire à ce qu'on trouve dans ce type d'opération", a nuancé Emmanuelle Wargon.
Les comptes-rendus des conférences citoyennes n'ont à ce stade pas été publiés sur le site du Grand Débat.
- Que vont devenir les réponses aux questions fermées recueillies sur la plateforme ? Et les comptes-rendus de réunions locales ?
Les questionnaires à questions fermées ont fait l'objet de critiques depuis le lancement du processus, particulièrement en raison de formulations orientées. "De nombreux biais les rendent presque inexploitables", a souligné Eric Kerrouche (Socialiste, Landes).
À la demande des garants, l'importance de ces questions fermées a été rapidement minimisée. "Ne leur donnons pas plus de place qu'elles n'en méritent", a confirmé Sébastien Lecornu. Ces questions destinées surtout à "amorcer le débat" n'auront selon lui que "très peu de place" dans la restitution qui sera effectuée lundi 8 avril. À l'inverse, "on accorde énormément d'importance à la matière notamment qui remonte des réunions d'initiative locale puisque c'est là où la parole s'est transformée fondamentalement en compte-rendu", a-t-il ajouté.
À noter que nombre de réunions d'initiative locale n'ont pas fait l'objet de compte-rendu et n'ont donc pas pu intégrer l'analyse ; une absence d'exhaustivité sur ces réunions que les garants avaient déploré dès mi-février. Autre point d'interrogation : les comptes-rendus disponibles fournissent-ils une information relativement homogène à même de permettre des analyses cohérentes ?
- "D'où" les participants au Grand Débat ont-ils parlé ? Des données et des inconnues
Pour la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat (LR, Lot-et-Garonne), "le succès n'est pas au rendez-vous" notamment parce que ces réunions d'initiative locale présentées comme décisives dans ce Grand Débat ont été "concentrées dans les zones urbaines", avec selon elle "près de 1.000 réunions" dans des départements tels que Paris, le Nord, le Rhône" et "très peu dans les territoires ruraux à l'origine de la colère".
L'expression a été "essentiellement rurale", ont contredit les deux co-animateurs du Grand Débat. "En moyenne, il y a eu 20% de plus [par rapport à quoi ? ndlr] de réunions d'initiative locale dans les zones de revitalisation rurale", fait valoir Sébastien Lecornu. ?Les chiffres restent à préciser, mais c'est a priori la contribution des plus de 16.000 cahiers citoyens qui pourrait faire pencher la balance en faveur du monde rural…
Des 500.633 contributeurs individuels à la plateforme numérique, on ne connaît que le code postal déclaré ; cette donnée, même déclarative, a-t-elle été exploitée ou la protection des données personnelles va-t-elle être mise en avant ?
Une autre inconnue largement mise en avant concerne les données sociologiques. "Est-ce que le Grand Débat a, oui ou non, donné la parole à ceux qui ne la prennent pas ?", interroge Philippe Bonnecarrère (centriste, Tarn), qui dit n'avoir pas réussi à se faire une idée au cours des réunions auxquelles il a assisté.
"60% des participants aux conférences citoyennes n'avaient pas participé aux autres modalités du Grand Débat", lui a répondu Emmanuelle Wargon, estimant que cet exercice inédit de tirage au sort à grande échelle a pu faire bouger les lignes.
- Les "paroles" prononcées par le président de la République au cours de ses déplacements font-elles partie du matériau analysé ?
"Le président de la République a beaucoup parlé, (…) il a pris un certain nombre d'engagements, (…) ces ouvertures, comment allez-vous les analyser, comment allez-vous en tenir compte ?", a questionné avec une certaine malice Michel Raison (LR, Haute-Saône). "Nous reprenons l'ensemble des échanges", lui a répondu Sébastien Lecornu. "L'ensemble des dossiers locaux" auraient été "listés" et seraient désormais suivis par le groupe de travail interministériel dédié "pour s'assurer d'un suivi précis de tout ce qui a été évoqué avec le président de la République".
- Après avoir largement contribué à la mise en œuvre du Grand Débat, les élus locaux vont-ils en voir les fruits ?
Saluant cette contribution des élus locaux - qui ont organisé 5.000 réunions locales et recueilli 16.132 cahiers citoyens -, le ministre en charge des collectivités territoriales assure que le débat avec les maires va permettre d'"avancer le dossier de la décentralisation". Au-delà des ajustements annoncés sur la loi Notr ou encore la péréquation, le gouvernement est-il "prêt" à un "acte 3 de la décentralisation" ? La question a été posée par Philippe Pemezec (LR, Hauts-de-Seine).
Concernant les rencontres entre le chef de l'État et les élus locaux, elles "vont continuer" a assuré Sébastien Lecornu, soulignant à maintes reprises son statut d'élu local et sa capacité à comprendre les enjeux des maires.
- Combien le Grand Débat a-t-il coûté ?
Déplacements présidentiels et ministériels, bâtiments et infrastructures mobilisées, temps des fonctionnaires, prestataires… quel sera le "coût réel" du Grand Débat ? a interrogé Philippe Dominati (LR, Paris). "On avait estimé le coût global entre 10 et 15 millions d'euros, on va être globalement à 12 millions d'euros", lui a répondu Sébastien Lecornu. Sans détailler par poste, le ministre a expliqué que cette dépense était notamment répartie entre "6,2 millions d'euros pour le ministère de la Transition écologique et solidaire, 3,1 millions d'euros pour les services du Premier ministre, le SIG (service d'information du gouvernement, ndlr), et 1,7 million d'euros pour le ministère de l'Économie". "Douze millions d'euros, c'est le coût de la démocratie", a-t-il ajouté, soulignant qu'"une présidentielle, c'est 250 millions d'euros".
- Expression citoyenne, rigueur de la méthode et de l'exploitation, représentativité… à quoi sert le Grand Débat ?
Plusieurs sénateurs ont souligné le manque de rigueur de la méthode choisie et du manque de représentativité des résultats qui allaient en découler. Politologue, le sénateur Eric Kerrouche a notamment interrogé : "Pour les questionnaires, il a été mis en avant qu'il ne s'agissait pas d'une enquête d'opinion mais d'une consultation. (…) Pourquoi avez-vous fait le choix d'une démarche non-scientifique, qui donne des données chiffrées peu ou pas exploitables ?"
"Un grand débat, ce n'est pas une enquête d'opinion", a martelé Sébastien Lecornu, "c'est donner la parole aux Français, c'est permettre de les écouter, de les considérer et, à un moment donné, de donner une photographie de ce qui s'est dit, non pas pour légitimer ou pas, d'ailleurs une décision politique, mais aussi pour trouver des solutions et les entendre en la matière".
Exit, donc, la question de la "représentativité" ? "C'est la masse significative de paroles dans des canaux très différents qui nous permettra de lutter contre les biais inhérents de chacun des canaux", précise quant à elle Emmanuelle Wargon.
"Le risque est de ne trouver que ce que l'on cherche", a alerté Jean-Marie Mizzon (centriste, Moselle), l'argument de l'absence de représentativité pouvant être utilisé – ou non – selon ce qui arrange l'exécutif…
Concernant le processus démocratique, "le Grand Débat national a échoué à atteindre son objectif premier politique : calmer le mouvement des gilets jaunes", a jugé Christine Bonfanti-Dossat. Oui il y a bien "une crise de la démocratie et de la représentation en général", que le Grand Débat n'a pas pu résoudre "en l'espace de deux mois", a admis Sébastien Lecornu, qui estime toutefois que ce processus qui a eu lieu pour la première fois est "extrêmement encourageant et intéressant".