Eau et assainissement en outre-mer : la Cour des comptes alerte sur des difficultés persistantes
Dans un rapport publié ce 12 mars, la Cour des comptes dresse un bilan mitigé du plan destiné à améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement dans les outre-mer (Pedom). Huit ans après le lancement de ce plan, elle souligne des "difficultés persistantes" et appelle à un pilotage national renforcé.

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"Le droit à des services fiables d’assainissement et d’approvisionnement en eau potable est un enjeu vital pour l’ensemble des populations, qui se pose avec une acuité particulière dans les outre-mer", ce droit y étant "très inégalement respecté", souligne d’emblée la Cour des comptes dans son rapport sur la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en outre-mer publié ce 12 mars. Dans un contexte déjà exposé aux catastrophes climatiques et à des crises sociales récurrentes, la crise de l'eau dans ces territoires est ancienne, marquée par des "coupures d'eau plus d'un jour sur deux" dans certains secteurs depuis les années 2010, rappellent les magistrats financiers. Pour pallier des décennies de sous-investissement, le plan "Eau Dom" (Pedom), lancé en 2016, visait à mobiliser l'État, les collectivités et les organismes de financement dans une "démarche coordonnée".
Répartition inégale des financements
Depuis huit ans, 889 millions d'euros ont été mobilisés dans six collectivités (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin) sous forme de subventions et de prêts, mais leur répartition reste "inégale selon les territoires", pointe la Cour. Elle relève plusieurs limites dans l'application du Pedom, qui repose sur des "contrats de progrès" conditionnant les financements à la réalisation d'engagements précis. Leur mise en oeuvre est "inaboutie", juge-t-elle, soulignant que "le versement des aides reste trop souvent décorrélé du respect des engagements pris". La Cour recommande donc de rendre la conditionnalité "plus stratégique et objectivable", en simplifiant des indicateurs de suivi jugés "trop nombreux et peu renseignés".
Priorité au renforcement de l'ingénierie locale
La gouvernance locale est aussi un facteur de blocage, marquée par des "conflits et des crises récurrentes". Face à ces constats, la Cour des comptes appelle à "renforcer le contrôle des entités délégataires de services publics" et à mieux associer les citoyens au suivi et à la gouvernance des services. Elle souligne également que le renforcement de l’ingénierie locale, dont l’insuffisance avait déjà été constatée lors du lancement du Pedom, doit désormais constituer "une priorité majeure".
Mieux accompagner les collectivités sur la tarification et le recouvrement
Le rapport relève aussi que les coûts de l'eau et de l'assainissement sont particulièrement élevés dans les Outre-mer. "À Mayotte, la facture d'eau peut représenter jusqu'à 25% du revenu des foyers les plus modestes", indique la Cour. Elle recommande une "mobilisation accrue du Pedom" pour accompagner les collectivités sur la tarification et le recouvrement, tout en adaptant les politiques de l'eau aux spécificités ultramarines.
Un rapport publié ce même 12 mars par les sénateurs de Guyane Georges Patient et de La Réunion Stéphane Fouassin rejoint les constats de la Cour des comptes. Il recommande d'intégrer un volet sur la tarification et les impayés dans le Pedom, afin d'améliorer le recouvrement des factures et de simplifier les feuilles de route signées avec les collectivités.
Vétusté des infrastructures
Les sénateurs alertent sur la vétusté des infrastructures et les crises récurrentes d'accès à l'eau en Outre-mer. À Mayotte, près de 30% de la population n'a pas d'accès direct à l'eau potable. En Guadeloupe, les "tours d'eau" sont fréquents, avec un rendement du réseau limité à 32%, contre 83% en Hexagone, rappellent-ils.
L'eau est un sujet de tension récurrent en Outre-mer. À Mayotte, une sécheresse historique et des infrastructures vétustes ont conduit les autorités à imposer des coupures d'eau allant jusqu'à deux jours sur trois fin 2023-début 2024 tandis que le vieillissant réseau guadeloupéen et sa gestion contestée ont multiplié les pénuries.
› Guadeloupe : le syndicat des eaux doit se réformer "d'ici au 30 juin", demande Manuel VallsPlan de départs volontaires, mise à plat des contrats, règlement du conflit sur les mutuelles : le syndicat des eaux de Guadeloupe doit avoir réglé ces questions sociales "d'ici au 30 juin", a averti ce 16 mars le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, en visite dans l'archipel. La Guadeloupe fait face depuis des années à une grave crise de l'eau, aggravée par des difficultés financières et politiques affectant le syndicat mixte de gestion des eaux et de l'assainissement de la Guadeloupe (SMGEAG). Une partie des agents de ce syndicat ont fait grève il y a quelques semaines, pour des revendications portant sur leur complémentaire santé et leur prévoyance. Cette grève, suspendue pour l'heure sans avoir abouti à un accord, avait conduit à de nombreuses coupures pour les usagers et des dépôts de plaintes. En février, des actes de malveillance, commis en marge du mouvement social, avaient entravé l'alimentation en eau de toute une partie de l'archipel. Manuel Valls "veut que l'opérateur réduise ses charges et fasse les réformes nécessaires d'ici la fin juin", a précisé à l'AFP l'entourage du ministre des Outre-mer. "Ce sera difficile mais il faut que les élus prennent leurs responsabilités", fait-on valoir de même source. La date du 30 juin a été proposée par le président du département, Guy Losbar, a confirmé ce dernier à l'AFP, en marge de la visite, une date en amont de la période des élections municipales. Une fois ces réformes engagées, les investissements seront facilités sur le réseau d'eau potable, selon des sources proches du dossier. Depuis plusieurs années, l'État, la région, le département et le syndicat mixte travaillent de concert sur la question de l'eau. Le SMGEAG, chargé de produire et distribuer l'eau potable aux habitants, compte près de 500 agents, certains régis par des contrats de droit public, d'autres de droit privé aux acquis différents. La masse salariale y a augmenté en 2024, selon un document interne qui relève aussi des montants d'heures supplémentaires, de frais d'essence et de flotte de véhicules exorbitants, dépassant plusieurs millions d'euros chaque années. Le tout avec un taux de recouvrement des factures d'environ 38%. En début d'année, le président du SMGEAG, Ferdy Louisy, avait alerté sur la mort certaine du syndicat si aucun changement n'était mis en oeuvre. |