Duralex : "Sans les collectivités, l'usine était fermée"

François Marciano, directeur général de Duralex, a expliqué ce 23 octobre devant la commission des Affaires économiques du Sénat, combien le rôle des collectivités (région et métropole) avait été crucial dans la réussite du projet de Scop validé par le tribunal d'Orléans cet été. Il a également relevé les écueils rencontrés dans ce type d'opérations.

"Quand j'étais à la barre du tribunal, à ma droite, j'avais le président de la métropole - vous connaissez sa tendance – et à ma gauche j'avais le président de région – vous connaissez sa tendance. (…) Sans eux, l'usine était fermée." Auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat, mercredi 23 octobre, le directeur général de Duralex est longuement revenu sur le feuilleton qui a connu un dénouement heureux cet été avec la reprise de l'entreprise sous forme de Scop (société coopérative et participative).  L'industriel d'une soixantaine d'années, arrivé chez Duralex en 2016, a indiqué avoir reçu le 24 avril un coup de fil du groupe Maison française du verre (qui avait racheté Duralex en 2021 et qui possède également le concurrent Pyrex) lui déclarant : "Demain on te dépose au tribunal." 

"Duralex va rester en France pour les 30/40 ans à venir"

Ayant frôlé la faillite à plusieurs reprises depuis le début des années 2000, c'est la flambée des prix de l'énergie découlant de la guerre en Ukraine qui a failli emporter la mythique verrerie française réputée pour ses verres incassables, a rappelé la présidente LR de la commission Dominique Estrosi Sassone. Alors que les six dépôts de bilan précédents se sont traduits par autant de "pillages" de la part des repreneurs, François Marciano a décidé de porter ce projet de Scop avec une majorité des salariés. Le 26 juillet, le tribunal de commerce d’Orléans a retenu le projet de Scop qui permettait de sauvegarder les 226 emplois alors que deux offres concurrentes prévoyaient des licenciements. Heureusement que "le territoire était là", a-t-il souligné. La région Centre-Val de Loire et la métropole d'Orléans "nous ont écoutés, ils ont analysé le projet industriel" et ont vu l'intérêt pour le territoire. La Scop va permettre de "figer la marque en France, et de ne plus pouvoir la délocaliser". "Duralex va rester en France pour les 30/40 ans à venir", a assuré le chef d'entreprise. 

Concrètement, la région a mobilisé un fonds de garantie commun avec Bpifrance, une aide à la restructuration de capital avec un contrat d’appui au projet, à hauteur de 59.850 euros, et un prêt pour le soutien à l'investissement d'un million d'euros. La métropole, elle, s'est proposée de racheter les 14 hectares de l'usine de la Chapelle-Saint-Mesmin pour 5,5 millions d'euros que l'entreprise remboursera sur 15 ans.  "C'est le seul moyen de financer la Scop", a insisté François Marciano. 

"C'est extrêmement compliqué quand vous n'avez pas quarante ans de métier"

C'est cette mobilisation des collectivités qui a convaincu le tribunal et a rassuré d'autres partenaires : les banques qui rechignaient à porter le projet – finalement le Crédit agricole et la Caisse d'Epargne se sont associées - de même que France active et la Socoden (une société de financement dédiée aux coopératives). Soit un total de 9,780 millions d'euros. L'Etat, lui, a apporté une garantie bancaire de 3 millions d'euros et 683.800 euros de prêts… mais au taux de 10,7%. Plus du double de ceux pratiqués par les banques et la région. Le dirigeant a fait part de son "étonnement". L'Etat a formulé trois offres différentes en fonction des trois candidatures, dont une de 7 millions d'euros à une banque d'investissement qui envisageait des licenciements… Pourquoi l'Etat ne verse-t-il pas cette somme directement au tribunal, s'est-il interrogé, regrettant également l'absence "d'avances remboursables". Il a aussi souligné les difficultés rencontrées dans une telle procédure. "Trouver des fonds pour reprendre une entreprise, c'est extrêmement compliqué quand vous n'avez pas quarante ans de métier (…) J'ai sorti de ma poche 30.000 euros", a-t-il expliqué, indiquant que son "prochain combat" serait justement d'instaurer "un fonds de soutien" pour que les jeunes puissent démarrer notamment dans des "petites structures".  

Même si, comme l'a rappelé la sénatrice Amel Gacquerre (Pas-de-Calais, Union centriste), la pérennité à cinq ans des Scop est supérieure aux autres entreprises (80% contre 60%), "la solution Scop n'est pas miraculeuse", a tenu à nuancer le chef d'entreprise. Une centaine de salariés n'a pas voulu rentrer dans la Scop. Certains (une vingtaine) pour raisons personnelles, d'autres pour des questions financières sachant que le ticket d'entrée pour être associé est de 500 euros. "L'objectif est d'amener 100% des salariés", a assuré le directeur ouvert à des solutions. Seulement, "dans les quatre ans qui viennent les salariés n'auront aucun dividende, ils ne vont rien toucher, ils le savent. Tout l'argent que Duralex va gagner va être investi dans l'usine", a-t-il souligné, précisant que 7 millions d'euros seront nécessaires pour la modernisation des machines . "Quand je suis arrivé en 2016, j'ai trouvé une usine dans un état lamentable."

Des premiers mois encourageants

François Marciano a enfin listé des freins au développement de l'entreprise. Tout d'abord la commande publique qui ne permet pas de promouvoir la proximité. Tous ses fournisseurs et matériaux se situent dans un rayon de 550 km, à commencer par la silice issue des sablières de Fontainebleau. Le coût de l'énergie est un autre "gros souci". L'entreprise a investi "plus de deux millions" dans l'achat d'un filtre. "Ensuite, on vous dit, il faut quand même payer la taxe carbone. Et après, que l’énergie va augmenter. Vous ne pouvez plus faire face à ça", s'est-il agacé, expliquant que pour des raisons de qualité, l'usine fonctionne à 90% au gaz. "On ne peut pas se permettre de changer la technologie", a-t-il développé, même si l'entreprise réfléchit à d'autres pistes comme l'hydrogène.

Toutefois, les premiers mois de fonctionnement sont plutôt encourageants. "En quarante jours, on a fait sur internet autant de chiffre d'affaires que les prédécesseurs en un an", a indiqué François Marciano, sachant que 80% de son chiffre se fait à l'export.

Et l'entreprise se met en ordre de marche pour reconquérir des parts de marché. Elle ne représente aujourd'hui que 0,2% à l'échelle mondiale. "On est tout petit. On sait que si on va chercher 0,1% [de part de marché] de plus, on va monter à 40 millions d'euros et 12% d'EPE (excédent brut d'exploitation)", d'ici quatre ans. A ce moment, la Scop sera capable de "s'autofinancer", escompte-t-il.

Un directeur du marketing a été recruté et une vingtaine de postes vont être créés dans ce service. Début septembre, une campagne baptisée "Allons enfants de la cantine" a été lancée avec le Slip français, autre étendard du Made in France qui traverse actuellement une période difficile. Un partenariat a aussi été noué avec La Poste. A la mi-décembre, Duralex souhaite aussi se lancer dans le "B2B", en proposant par exemple des verres à moutarde… Une marque premium sera créée en 2025, année des quatre-vingts ans de l'entreprise. Pour marquer l'événement, le prochain verre de la marque sera dessiné par les Français eux-mêmes, dans le cadre d'un concours.