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Commerce - Drives : les mesures d'encadrement vont-elles arriver trop tard ?

Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) prévoit des mesures d'encadrement pour les drives. Après un fort développement, certains spécialistes, comme Procos, estiment que la loi arrive un peu tard et qu'il faudrait déjà commencer à penser à l'après drive.

Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a été voté par les députés mardi 17 septembre 2013 (voir ci-contre nos articles du jour). Il comporte des dispositions pour mieux encadrer les drives, qui échappent pour le moment à toute législation commerciale.
Depuis quelques années, ces entrepôts se sont fortement développés. Nouveaux concepts commerciaux, ils permettent aux clients de commander et de payer leurs courses par internet et de venir par la suite retirer leurs commandes sur une aire de livraison située à proximité d'une surface de stockage. La vente étant considérée comme réalisée chez le client, les drives ne nécessitent pas d'autorisation commerciale ce que la loi veut corriger. Appréhendant le changement,  les enseignes se pressent alors d'en ouvrir davantage. A tel point que certains se demandent si la loi ne va pas intervenir trop tard. "Le réseau sera quasiment constitué avant l'application de la loi", explique ainsi Caroline Rigaud, directrice des études de Procos, la fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé.
Le concept, né au début des années 2000, avec le "Volume Express" d'Auchan à Leers (59), a mis du temps à s'installer. Mais à partir du milieu des années 2000, les drives se sont multipliés, à un rythme très rapide. Au premier semestre 2013, on en dénombrait 2.321. "Trois drives se créent chaque jour", détaille Caroline Rigaud. D'après les estimations de Procos, en 2012, ces drives étaient au nombre de 1.800 pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros (de 0,8 à 1,2 million d'euros en moyenne). Ils ont séduit en 2012 quelque 2,9 millions de consommateurs. Ces clients apprécient particulièrement la facilité d'utilisation de ces nouveaux concepts commerciaux, et notamment le gain de temps réalisé. Grâce à ce système, ils évitent les files d'attente, le stress, et la foule en magasins. Les clients estiment aussi que les drives sont moins tentants que les commerces traditionnels et permettent d'éviter les achats d'impulsion. Au rang des points négatifs : le caractère déshumanisé et la limitation dans le choix des produits proposés. Mais malgré ces inconvénients ressentis par les clients, Procos estime que les drives vont continuer leur percée. En 2015, leur nombre pourrait doubler à 3.600 et leur chiffre d'affaires tripler pour atteindre 6 milliards d'euros (entre 1,4 et 1,8 million d'euros). "Notre estimation est peut-être un peu élevée, il faut la prendre avec précaution car les opérateurs ne communiquent pas leur chiffre d'affaires", précise toutefois Caroline Rigaud.

Principalement installés dans le Nord et l'Ouest de la France

Si ces nouveaux modes commerciaux satisfont les clients, ils ne sont pas sans impact sur les territoires sur lesquels ils s'implantent. Ils génèrent des flux de transport importants et se situent parfois dans des zones qui n'ont pas nécessairement de vocation commerciale dans les plans locaux d'urbanisme (PLU). Ils ne s'inscrivent pas toujours dans la planification territoriale de l'urbanisme et ils peuvent bouleverser les équilibres des territoires. Mais ce mode de consommation, qui perce particulièrement en France, est toutefois devenu incontournable. Un Français sur cinq y aurait déjà eu recours. Les enseignes alimentaires ont bien saisi l'enjeu de ce nouveau concept et chacune d'entre elles, à son rythme, crée des drives un peu partout sur le territoire français. "Ne pas avoir de drives représente maintenant un facteur discriminant pour les enseignes commerciales, il faut que chaque enseigne ait son drive", explique Caroline Rigaud. Côté marque, si Auchan s'est lancé en premier à Leers en 2000, c'est Intermarché et Système U qui ont ensuite pris les devants, s'appuyant sur leur maillage local puissant. Viennent ensuite Leclerc et Auchan. Carrefour, qui a démarré plus tard, est en train de rattraper son retard. C'est l'enseigne qui ouvre le plus de drives actuellement.
Les drives sont majoritairement situés dans le Nord et l'Ouest de la France. "Cela correspond à la concentration de population et au maillage des supermarchés, explique Caroline Rigaud, or les régions les plus maillées sont le Nord-Pas-de-Calais, les Pays de la Loire, Bretagne, et plus particulièrement les départements du Finistère, de la Loire-Atlantique et de la Gironde." Ainsi en 2012, Nantes comptait déjà vingt-quatre drives qui ont réalisé plus de 50 millions de chiffre d'affaires. Procos considère que 1 à 2% du flux de clients est détourné en faveur des drives dans cette ville.

Drive solo ou accolé

Bien que récents, ces nouveaux concepts ont déjà des typologies variées. Il y a particulièrement deux types de drive : les drives "déportés" ou "solo" et les drives "accolés". Dans le premier cas, le distributeur décide de se munir d'un entrepôt construit sur un site dédié sans qu'il n'y ait dans cette zone un hypermarché ou un supermarché de la marque. Leclerc mise en majorité sur ce modèle. L'objectif principal de ces drives est d'aller chercher de la clientèle à des endroits géographiquement stratégiques. Mais ce modèle nécessite des investissements de départ importants. D'après l'institut Nielsen, une unité de ce type génère en moyenne annuellement un chiffre d'affaires de 5,3 millions d'euros.
Autre modèle : le drive accolé. Le drive est installé à côté du magasin de l'enseigne et dispose le plus souvent d'une zone de stockage dédiée au sein du magasin. Il s'approvisionne en produits depuis cet espace dédié, ou en cas de rupture ou de commandes de produits frais directement dans les rayons du magasin. On parle dans ce cas de "picking". Carrefour, Système U et Intermarché ont développé ce genre de drives, rapides à installer sur un point de vente déjà existant. Seuls risques impliqués par ce mode de drive : les ruptures temporaires de produits au sein même du point de vente et le risque de cannibalisation des ventes du magasin. C'est ce modèle de drive accolé qui génère le plus de chiffre d'affaires : 5,7 millions d'euros en moyenne par unité par an.
Cela dit, les rendements de ces nouveaux entrepôts sont difficiles à estimer. "On a peu de visibilité sur les rendements. Les chiffres vont de 500.00 euros à 30 millions d'euros, c'est une fourchette assez large, détaille Caroline Rigaud, les drives se sont développés de manière effrénée, certains ne vont pas trouver leur rentabilité. Il va falloir réfléchir à ce qu'on va faire de ces entrepôts s'ils ferment."
Pour Procos, la question n'est plus de les réglementer, puisque la plupart seront déjà ouverts avant l'application de la loi, mais bien d'anticiper les éventuelles fermetures qui auront lieu dans les années qui viennent. "Il y a quelques mois, il y a eu la première fermeture d'un drive ; au-delà de l'intervention pour légiférer tout à fait justifiée, il faut penser au coup d'après, à ce qu'on pourra faire de ces entrepôts", estime Caroline Rigaud.

Emilie Zapalski

Référence : projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur).

 

Drives : les mesures du projet de loi Alur

Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) voté le 17 septembre 2013 par l'Assemblée nationale comporte des mesures pour mieux encadrer les drives. Objectif : les soumettre à la même législation que les autres surfaces commerciales. Le projet de loi impose ainsi une autorisation d'exploitation commerciale à ces points de retrait, dans le cadre du code du commerce, au même titre que la création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de 1.000 mètres carrés ou que l'extension d'une telle surface. L'autorisation "est accordée par piste de ravitaillement et par mètre carré d'emprise au sol des surfaces, bâties ou non, affectées au retrait des marchandises", signale ainsi le texte. En revanche, les points de retrait qui sont intégrés à un magasin de détail ouvert avant la loi et qui n'emportent pas la création d'une surface de plancher de plus de 20 mètres carrés ne sont pas soumis à autorisation d'exploitation commerciale.