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Commande publique - Directive sur les concessions : pas de bouleversements à attendre pour les acheteurs français

La directive sur les concessions qui achève son parcours législatif ne devrait pas bouleverser les habitudes des acheteurs publics français, comme l'a montré un débat organisé le mardi 25 septembre à Paris, par Euractiv, auquel a participé le commissaire européen Michel Barnier. Mais la nécesité d'un texte fait l'unanimité afin d'aboutir à une harmonisation des pratiques en Europe.

Dans une économie européenne atone, le contrat de concession peut être un outil efficace de relance, estime le commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, Michel Barnier. C'est pourquoi "le marché intérieur ne doit pas être divisé, fractionné sous peine de décourager les initiatives, qu'elles soient publiques ou privées", a-t-il déclaré mardi 25 septembre, au cours d'un débat organisé par Euractiv.fr à la Maison de l'Europe, à Paris. Faciliter l'accès des pouvoirs publics et des PME au marché commun en garantissant la libre concurrence : c'est l'enjeu de la directive sur les concessions présentée par le commissaire l'an dernier et amendée depuis par les députés.
La nécessité d'un texte fait l'unanimité car l'absence de réglementation au niveau européen est source d'insécurité juridique. Si les concessions de travaux relèvent des dispositions de la directive 2004/18 CE sur les marchés publics, aucun texte européen en effet ne régit les concessions de services. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a ainsi rendu plusieurs décisions pour pallier ce vide juridique. Le rapporteur du texte de la directive amendée, le député européen Philippe Juvin, a souligné l'importance d'un travail législatif en la matière, alors que chaque pays a son propre mécanisme.
Dans ses travaux, la Commission s'est inspirée du modèle français. Michel Barnier considère en effet, que "la France est la fille aînée des concessions en Europe" dans la mesure où son expérience en la matière est l'une des plus abouties. Actuellement, la France compte près de 10.000 concessions en cours d'exécution, pour un montant de 80 milliards d'euros. Malgré tout, la diversité de chaque Etat membre ne doit pas être négligée et une harmonisation a été recherchée.
Finalement, la nouvelle mouture de la directive issue du rapport de juillet dernier a assoupli les contraintes que voulait imposer Bruxelles en donnant plus de marges de manoeuvre aux autorités locales au moment de la passation des contrats.

"Ce sont les pouvoirs publics qui ont la main"

La pratique française des acheteurs publics ne va pas être bouleversée pour autant. Comme l'a souligné le chef de service des marchés publics de la direction générale Marché intérieur et Services de la Commission européenne, Joanna Szychowska, "il n'y aura pas de grande différence par rapport à la situation présente" pour les pouvoirs adjudicateurs français. En effet, l'arsenal juridique est complet avec les lois Barnier et Sapin ainsi que la jurisprudence du Conseil d'Etat qui s'avère plus restrictive que celle de la CJUE.
En revanche, la réglementation communautaire est destinée à s'appliquer plus largement aux concessions de services et aux concessions de travaux. Michel Barnier a rappelé qu'en droit français, seuls les services publics peuvent faire l'objet d'une concession et d'une délégation de service public. La définition retenue par la proposition de directive doit être plus large et doit couvrir "tous les cas où le risque d'exploitation est pour l'essentiel transféré au tiers".
La France est dotée d'un "modèle concessif bien plus souple que celui des marchés publics", a insisté Estelle Grelier, la vice-présidente de l'Assocation des communautés de France (ADCF). Le niveau d'encadrement des délégataires est d'ailleurs différent de celui des soumissionnaires à un marché. Cette distinction fondamentale justifie la rédaction de deux textes européens différents (l'un portant sur les marchés publics et l'autre sur les contrats de concessions).
Le remaniement de la directive sur les concessions a permis d'octroyer une marge de manœuvre plus grande à la personne publique. Pour Philippe Juvin, "ce sont les personnes publiques qui ont la main". Cette liberté se retrouve lors du choix du mode de gestion "le plus approprié pour exécuter les travaux et fournir les services" dont la personne publique a la responsabilité (article 1 bis de la directive). Les élus français restent d'ailleurs particulièrement attachés au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Dans ce cadre, les administrations doivent demeurer libres d'organiser leurs compétences en interne. La coopération entre les pouvoirs publics doit perdurer en dehors du droit des concessions. Ainsi, la directive exclut de son champ d'application, la "coopération public-public" destinée à la réalisation "des missions de services publics dans un but d'intérêt public" déterminé (amendement 12). Bien plus, la "coopération horizontale", telle qu'un transfert de compétence d'une ville vers une intercommunalité est un acte d'"organisation du service public qui relève des décisions du bloc local", selon les termes d'Estelle Grelier. Le nouvel article 15.4 de la directive a été rédigé pour exclure cette forme d'organisation du régime des concessions.
Afin d'accorder encore plus de souplesse au pouvoir adjudicateur, la dernière version de la directive simplifie également les règles d'attribution du contrat de concession. La directive se limite à encadrer les règles relatives à la publication d'avis de concession en début de procédure, et à la publication d'avis d'attribution en fin de procédure. Entre ces deux étapes, la place est laissée à la négociation dans le respect des principes de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats (amendement 18). Le Commissaire européen rappelle toutefois qu'il est utile de poser des critères de participation et d'attribution objectifs en lien avec l'objet du marché. Il est également judicieux d'assurer la traçabilité des négociations afin de prévenir d'éventuels litiges.

Renégociation des contrats

Puisque le contrat de concession s'inscrit dans le temps, son évolution doit être encadrée tout en préservant une certaine flexibilité. Si dans certains cas, la renégociation des contrats de concession s'avère indispensable dans un souci d'adaptation, dans d'autres cas, la renégociation est anticipée par les opérateurs économiques et n'est justifiée que par une attitude opportuniste qui s'avère néfaste, comme l'a souligné le professeur Stéphane Saussier. Le nouvel article 42 paragraphe 2bis de la directive permet une modification soit lorsqu'elle est prévue par une clause du contrat, soit lorsqu'elle entraîne moins de 5% d'augmentation de la valeur initiale du contrat.
Si la nouvelle mouture de la directive a été globalement bien accueillie par l'assemblée du 25 septembre 2012, certaines distorsions persistent. Les notions d'entités et d'autorités adjudicatrices restent obscures tandis que "l'entreprise liée" et les "secteurs exclus" sont insuffisamment définis. La question de savoir si le maintien des exemptions n'est pas de nature à fragmenter le régime des concessions plutôt qu'à l'unifier reste entière. Selon Philippe Juvin, la Commission a essayé de trouver un "juste équilibre", une voie médiane entre ce qui existe déjà et l'ouverture de nouvelles activités à la concurrence. Il considère que le texte de loi est justement là "pour accompagner la longue maturation des esprits", nécessaire pour faire avancer la politique. La refonte du droit communautaire des concessions n'en est donc qu'à son début. Reste à trouver un compromis avec le Conseil européen, espéré pour le premier semestre 2013.

L'Apasp

Références : Projet de rapport sur la proposition de directive sur l'attribution de contrats de concession, Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, rapporteur M. Philippe Juvin, 5 juillet 2012 ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'attribution des contrats de concession, COM(2011) 897, 20 décembre 2011.