Cour des comptes - Didier Migaud : "Faire mieux avec moins est possible"
"Priorité absolue" aux économies : la Cour des comptes a décerné ce mardi 12 février ses désormais traditionnels avertissements sur la mauvaise gestion de l'argent public, appelant le gouvernement à maîtriser strictement les dépenses… même si elle juge en réalité hors d'atteinte l'objectif d'un déficit à 3% du PIB en 2013. En présentant son rapport public annuel à la presse, le premier président de la Cour, Didier Migaud, l'a en effet clairement constaté : "L'objectif de déficit effectif de 3%", pourtant pris par la France auprès de ses partenaires européens, "n'a que peu de chances d'être atteint, en raison notamment d'un niveau de croissance vraisemblablement inférieur aux prévisions", qui sont "trop optimistes". Le président François Hollande a aussitôt affirmé qu'un ajustement de la prévision de croissance de 0,8% pour 2013 interviendrait "dans les prochains jours si nécessaire". Dans sa réponse écrite à la juridiction financière, Bercy "maintient" néanmoins "ses objectifs de finances publiques".
Au lieu d'appeler l'exécutif à respecter coûte que coûte l'engagement des 3%, la Cour a préféré insister sur la réduction du déficit "structurel", c'est-à-dire hors aléas de la conjoncture. Or, cet effort structurel "sans précédent" - qui représente 38 milliards d'euros de hausses d'impôts et économies en 2013 – peut, lui, être réalisé, estiment les magistrats financiers. A condition de faire de nouvelles économies, jugées "indispensables" pour cette année.
De manière générale, après les hausses d'impôts décidées par la droite puis la gauche, "la priorité absolue" doit être donnée aux économies de dépenses, affirme la Cour, qui exhorte le gouvernement à engager "sans tarder" les "réformes nécessaires dans l'ensemble des administrations publiques" : l'Etat et ses opérateurs, les entreprises qu'il contrôle, la sécurité sociale… et les collectivités territoriales.
Le volumineux rapport de la Cour comptabilise trois tomes et pas moins de 600 pages, articulées autour de 45 thèmes ; traque une fois de plus gaspillages et "ciblages défectueux" dans les aides et politiques publiques. "Le rapport entend convaincre les citoyens comme les pouvoirs publics que faire mieux avec moins est possible", a résumé Didier Migaud.
Un exemple flagrant cité par le premier président concerne les aides publiques versées aux buralistes depuis 2004 pour compenser l'augmentation du prix du tabac : "La rémunération moyenne des buralistes a progressé fortement et les aides ont entraîné des effets d'aubaine massifs", a-t-il regretté. De même, selon la Cour, la réforme du médecin traitant a manqué sa cible et privilégié les spécialistes.
Si tous les échelons publics sont visés, les magistrats s'attardent cette année sur la situation financière dégradée des départements (voir notre article consacré à ce volet du rapport) et jettent un regard critique sur le rôle selon elle pas toujours justifié ni rationnel des collectivités territoriales en tant financeurs publics…
Ainsi, par exemple, la participation financière des collectivités à la ligne grande vitesse Est a donné lieu à "des contreparties douteuses", estime la rue Cambon, qui recommande par ailleurs d'engager la responsabilité des maires devant la Cour de discipline budgétaire et financière afin de lutter contre tout dysfonctionnement flagrant de gestion (voir encadré ci-dessous).
Autre exemple : le rapport critique vertement les communes de Corbeil-Essonne et Evry qui ont construit deux stations d'épuration des eaux usées contiguës faute de s'entendre. Il se penche par ailleurs sur la fonction immobilière des collectivités, considérant qu'"une meilleure connaissance de leur patrimoine, et une gestion plus active et plus professionnelle de celui-ci permettraient de réaliser de significatives économies". De même, "une attention particulière doit entourer les projets d’investissement touristiques, sportifs et culturels", a déclaré Didier Migaud, citant le cas désormais célèbre du complexe Cap’Découverte dans le Tarn.
Le premier président a fait état de la "croissance soutenue" des dépenses publiques locales depuis 2002. "En euros constants et hors transferts de compétences, elles ont augmenté entre 2002 et 2011 de 16 milliards d'euros pour le bloc communal, de 13 milliards d'euros pour les départements et de 7 milliards d'euros pour les régions", a-t-il détaillé. Ceci pour insister une fois de plus sur la "pleine participation du secteur local aux efforts de maîtrise de la dépense" – des propos qui prennent un relief particulier le jour où le gouvernement vient d'annoncer une baisse accrue des dotations de l'Etat aux collectivités pour 2014 et 2015… (voir notre article de ce jour).
Engager la responsabilité des maires
Les "graves manquements" dans la gestion budgétaire de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) ont amené la Cour des comptes à recommander dans son rapport annuel d'engager la responsabilité des maires devant la Cour de discipline budgétaire et financière.
Les maires ne sont soumis qu'exceptionnellement à la Cour de discipline budgétaire et financière, chargée de réprimer les infractions commises en matière de finances publiques. La Cour des comptes recommande d'engager désormais leur responsabilité en cas de "manquement grave dans l'exécution d'une procédure de redressement budgétaire". Déjà évoquée en 2007, la "situation fragile" de Bussy-Saint-Georges est étudiée par la Cour, qui met en évidence la "gestion toujours aussi peu rigoureuse" de cette ville nouvelle de 22.000 habitants, marquée par "de graves manquements aux règles budgétaires et comptables" et "une absence de maîtrise des dépenses". Elle pointe également la volonté du maire de contourner les avis budgétaires rendus par la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, qui a pourtant été "appelée à formuler régulièrement des propositions de redressement budgétaire". "La Chambre occulte tout à fait ce qui caractérise en premier lieu Bussy-Saint-Georges : son explosion démographique", explique le maire dans sa réponse publiée en annexe, la ville étant passée selon l'Insee de 1.500 à 22.000 habitants entre 1990 et 2009.
"Dans un premier temps, le conseil municipal adopte les mesures de rétablissement proposées (...) Mais souvent, il vote dans un second temps des décisions modificatives qui rétablissent les inscriptions budgétaires d'origine", explique la Cour.
Sa recommandation, qui nécessiterait la modification du Code général des collectivités territoriales, est destinée à "faire obstacle" à cette pratique.