DGF : la Cour des comptes plaide pour une réforme "systémique"

Dans un rapport, la Rue Cambon passe au crible la dotation globale de fonctionnement (DGF), une ressource de 27 milliards d'euros en 2024 pour le bloc communal et les départements. Ses sévères constats (notamment quant à une répartition injuste) débouchent sur des propositions d'amélioration dans le cadre actuel de la dotation. Mais aussi sur une piste plus radicale prévoyant une refonte complète, avec notamment une attribution de la DGF aux seules intercommunalités.

Les dernières réformes qui la concernent et la croissance de la part dédiée à la péréquation n'y ont rien changé : entre des collectivités aux caractéristiques proches, la dotation globale de fonctionnement (DGF) reste inégalement répartie. Son attribution en fonction de multiples indicateurs parfois mal renseignés demeure quant à elle d'une redoutable complexité. Mieux vaudrait donc réformer en profondeur ce prélèvement sur les recettes de l'État finançant le bloc communal (pour 70%) et les départements (pour 30%), plaide la Cour des comptes dans un rapport d'une grande technicité publié ce 9 octobre, au lendemain des annonces du gouvernement concernant sa volonté d'encadrer les recettes des collectivités locales (voir notre article).

La nouvelle DGF imaginée par la Rue Cambon serait attribuée en fonction du niveau des ressources des collectivités, permettant d'aider les moins favorisées d'entre elles à exercer leurs compétences. Une partie de la ressource tiendrait compte "des besoins de financement" liés aux caractéristiques de la population et du territoire de chaque collectivité. Les charges de centralité de certaines communes seraient également prises en compte. En nombre plus limité qu'aujourd'hui, les critères de répartition de la DGF seraient fondés uniquement sur des données récentes - et non historiques - et celles-ci seraient "authentifiées par un tiers de confiance".

Attribution aux intercommunalités 

Cette DGF modernisée pourrait être recentrée sur le seul bloc communal, selon les magistrats. Jugeant en effet qu'elle n'est pas adaptée au financement des compétences des départements - de même d'ailleurs que les ressources actuelles de ces derniers dans leur ensemble –, ils prévoient que les départements n'en soient plus des bénéficiaires. À charge bien sûr de leur trouver des recettes nouvelles en compensation. 

La dotation serait par ailleurs attribuée uniquement aux intercommunalités, celles-ci ayant alors pour rôle de la répartir entre les communes selon des critères définis localement. Les relations financières entre les intercommunalités et les communes ne peuvent, comme c'est en grande partie le cas aujourd'hui, être ignorées dans le calcul de la DGF, fait remarquer la Cour. Qui met aussi en avant l'intérêt d'une "adaptation des montants versés au plus près des besoins". 

L'instauration de cette "DGF territoriale" par les intercommunalités est possible depuis 2010 - selon des conditions strictes - mais aucune n'a encore franchi le pas. 

La Cour propose de "favoriser le développement de cette solution" par des incitations financières aux intercommunalités qui en feraient le choix, et non plus de "la rendre obligatoire", comme dans son rapport sur l'intercommunalité d'octobre 2022 (voir notre article).

À l'époque, la recommandation de la Cour des comptes avait divisé les associations d'élus locaux. Intercommunalités de France déclarait en approuver "pleinement" le principe et France urbaine lui trouvait des avantages. À l'opposé, Villes de France exprimait ses "réserves" et l'Association des maires de France (AMF) disait qu'elle ne partageait "absolument pas" la conclusion des magistrats, celle-ci conduisant à "la rupture de toute relation financière entre l'État et les communes".

Lissage dans le temps

Avec son lot de "perdants" à compenser, la réforme "systémique" pourrait toutefois être coûteuse. La Cour n'oublie pas non plus la demande exprimée par les associations d'élus locaux en faveur d'une "réindexation" de la DGF sur l'inflation. Elle propose donc un lissage dans le temps des effets de la réforme et un financement non pas sur les deniers de l'État, mais sur ceux des collectivités (par exemple par une réduction de la croissance de la TVA qui leur est affectée).

Les inégalités décriées depuis de nombreuses années dans la répartition de la DGF demeurent aujourd'hui, même si elles ont été atténuées au cours des dix dernières années - par la réduction des dotations "forfaitaires" (qui sont calculées selon des critères anciens) et, dans une moindre mesure, par la croissance des dotations de péréquation. Ainsi, dans la catégorie des villes de plus de 300.000 habitants, Nantes bénéficie de 205 euros par habitant de DGF, soit plus que Strasbourg (165 euros par habitant) qui dispose pourtant d'un revenu par habitant plus faible. 

Selon la Cour, les inégalités sont "pour partie surmontables", en continuant d'augmenter les dotations de péréquation (ce qui se fait au détriment des dotations forfaitaires) et "en rendant plus efficace la péréquation". Cette dernière est actuellement "loin d’être cohérente et efficace", dénonce la Rue Cambon. Certaines des dotations dites péréquatrices (comme la part "péréquation" de la dotation de solidarité rurale, ou DSR) sont "saupoudrées entre un nombre excessif de collectivités". "Dans le cadre de l’architecture actuelle de la DGF, la péréquation doit donc être impérativement améliorée", souligne l'institution. Qui prône par exemple une suppression de la fraction "péréquation" de la DSR et une réattribution de son montant à la fraction "cible" (dont bénéficient les 10.000 communes rurales les moins favorisées). 

"Erreurs déclaratives"

La DGF actuelle comporte d'autres défauts comme "des paramètres de calcul pour partie incomplets ou imprécis", ou des critères de mesure de la richesse oubliant d'importantes recettes locales, critiquent les magistrats. Qui pointent aussi "les erreurs déclaratives" des collectivités concernant la longueur de leur voirie.

Après une tentative avortée de refonte de la DGF sous la présidence de François Hollande, l'actuel président, Emmanuel Macron, s'était engagé en novembre 2023 à remettre le sujet sur la table, afin d'aboutir à un système "plus juste, plus clair et plus lisible". Mais la dissolution de l'Assemblée nationale a stoppé net les travaux du gouvernement sortant.

Libre d'emploi, la DGF s'élevait à 27,2 milliards d'euros en 2024. "Une masse financière considérable", souligne la Cour des comptes. Mais après les réductions opérées sous le quinquennat de François Hollande (11,5 milliards d'euros) suivies par un gel en valeur durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, la DGF de 2024 ne représente plus, en euros et à périmètre constants, que 64% de celle de 2013 (41,5 milliards d'euros).