Développement de l’agrivoltaïsme : le décret cadre publié
Plusieurs fois remis sur le métier, le nouvel encadrement de l’agrivoltaïsme et du photovoltaïque en zones agricoles, forestières ou naturelles fixé par décret est enfin paru ce 9 avril. La publication intervient au lendemain de la présentation du "plan de bataille" du gouvernement pour muscler la filière, notamment par la libération de foncier et la signature d’un pacte de solidarité industrielle photovoltaïque.
Pris en application de la loi du 10 mars 2023 d’accélération de la production d’énergies renouvelables (Aper), un décret, paru ce 9 avril, définit les conditions de développement de l’agrivoltaïsme et d’implantation des projets photovoltaïques au sol sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers. Un cadre complexe, d’autant qu’il s’agit ici de traiter l’ensemble des régimes mis en place par l’article 54 de la loi : les installations qui répondent aux critères de l’agrivoltaïsme au sens de l’article L. 314-36 du code de l’énergie (qui doivent apporter un service direct à la parcelle agricole) et les installations compatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière et conformes à un "document-cadre" décrit à l'article L. 111-29 du code de l’urbanisme (CU). Et ce, tout en offrant des garanties au monde agricole, la production alimentaire restant prioritaire. Un guide est d’ailleurs attendu pour expliciter cet arsenal réglementaire technique et touffu.
Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, voit dans la parution de ce décret "un élément majeur" du "plan de bataille" au soutien du photovoltaïque et de son industrie présenté ce 5 avril, lors d’un déplacement à Manosque, aux côtés de Roland Lescure, son ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie. Représentants de la filière et gouvernement ont notamment signé à cette occasion un "Pacte solaire" qui liste une série d’engagements pour "booster" l’achat du "made in Europe" - voire "in France" - et la construction d’usines sur le territoire. Les objectifs d’ici 2035 sont ambitieux et prévoient une multiplication par cinq de la puissance installée en photovoltaïque pour atteindre de l’ordre de 100 gigawatts (GW). "C’est à la fois beaucoup mais quand on le rapporte au sujet de l’agrivoltaïsme, ce n’est pas tant que ça. 100 GW c’est 100.000 hectares, et la France compte 25 millions d’hectares de terrains agricoles, donc on pourrait imaginer qu’en couvrant de l’ordre de 3% de la surface agricole de panneaux solaires, on atteigne nos objectifs", explique le cabinet de Roland Lescure, se félicitant du compromis trouvé "pour enclencher la machine sur ce sujet". Le texte n’est toutefois "pas figé", et le bilan en sera fait au bout d’un an.
Définition des critères de qualification de l'installation agrivoltaïque
Cherchant un équilibre entre encouragement de la filière et préservation de la production agricole, l’article L.314-36 du code de l’énergie propose une définition juridique de l’agrivoltaïsme. Est considérée comme une installation agrivoltaïque "une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole". Et par la négative : ne peut pas être considérée comme agrivoltaïque une installation qui "ne permet pas à la production agricole d'être l'activité principale de la parcelle agricole" et/ou "n’est pas réversible".
Le décret vient, dans son article 1er, encadrer les dispositions spécifiques à l’agrivoltaïsme en précisant les termes et les critères de la définition légale. Y est donc précisée la notion de parcelle agricole à considérer, mais surtout le contenu des services (au nombre de quatre) devant être apportés à l’activité agricole par les projets agrivoltaïques : amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas et amélioration du bien-être animal.
Maintenir le rendement agricole
Le texte définit pour ce faire la notion de production agricole significative et de revenu durable en étant issu, ainsi que les modalités garantissant que l’activité agricole reste l’activité principale de la parcelle. Différents indicateurs sont fixés, notamment un taux de couverture maximale à ne pas dépasser (variant selon les technologies envisagées), qui a largement cristallisé les débats. "En pratique, le maintien de la production agricole sera contrôlé et mesuré par différents moyens par les directions départementales des territoires (DDT), dont la comparaison aux rendements observés sur des parcelles témoin", précise le communiqué interministériel. "Une limite de 40% de taux de couverture des sols par les installations agrivoltaïques" est posée pour contenir les risques de baisse des rendements. Le maintien d’une production agricole significative est mesuré, entre autres par la limitation des pertes de rendement agronomique. Dans le cas des cultures par exemple, la production doit être au moins égale à 90% de celle observée dans une parcelle témoin. "Ce critère fera l’objet de contrôles spécifiques auprès des porteurs de projet, et les sanctions en cas de non-respect pourront aller jusqu’au démantèlement de l’installation en question avec remise en état de la parcelle. En cas de fraude avérée, la suspension ou la résiliation du contrat de rachat de l’électricité pourra aussi être mise en œuvre", relèvent les ministères concernés. Dès lors que la démonstration sera faite de la compatibilité entre un type de culture, un type de sol et une technologie, le déploiement de cette technologie "sera facilité". Le texte distingue ainsi les technologies "éprouvées" au niveau national - listées dans un arrêté interministériel, sur proposition de l’Ademe - des autres (non listées), qui devront en principe (sauf dérogations prévues par l’article R.314-115 du code de l’énergie) comporter une zone témoin située à proximité de l'installation agrivoltaïque.
Surfaces identifiées dans un document cadre
Déjà particulièrement dense, le décret y superpose (dans son article 2) des éléments afférents aux "installations compatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière". Avec là encore un certain nombre de garde-fous… Les projets photovoltaïques au sol ne pourront se déployer que sur des terrains réputés incultes (notion définie par le décret) ou inexploités depuis au moins dix ans (durée fixée par le décret). Pour rappel, les surfaces agricoles et forestières ouvertes à un projet d’installation seront identifiées à l’échelle départementale dans un document-cadre pris sur proposition de la chambre d’agriculture et après consultation de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), des organisations professionnelles et des collectivités concernées. "À l'expiration d'un délai de deux mois à compter de leur saisine, leur avis est réputé favorable", précise le décret. Pour en faciliter l’élaboration, le décret prévoit en outre l’inscription d’office dans ce document-cadre de plusieurs types de terrains réputés propices à l’accueil de tels projets, notamment les carrières, friches industrielles, délaissés routiers, fluvial et portuaire, anciens aérodromes etc. (R. 111-58 du CU). Parallèlement à ces inscriptions automatiques, le texte exclut certains terrains du recensement par le document-cadre (R. 111-59). Concernant la mise à jour, il est indiqué que "le document-cadre est révisé au moins tous les cinq ans.
Procédures d’autorisation, de suivi et de contrôle
Le décret (art.3) précise par ailleurs les conditions de demande et d’octroi de l’autorisation d’urbanisme, et ce pour les deux régimes : installations agrivoltaïques au sens de l’article L.314-36 du code de l’énergie et installations photovoltaïques visées par le document cadre de l’article L.111-29 du CU. À noter, le délai à l'issue duquel la CDPENAF est réputée avoir émis un avis favorable (sur la demande de permis ou la déclaration préalable) est alors de deux mois. Les procédures d’instruction d’une demande de permis sont précisées par le nouvel article R.431-27 du CU, qui détaille en particulier les documents ou informations que le pétitionnaire doit fournir à l’appui de sa demande pour justifier que son projet répond à chaque critère et condition de l’agrivoltaïsme. Notons aussi que le décret modifie les règles en matière de compétence (R.422-2) : les demandes relatives à une installation agrivoltaïque, qui relèvent parfois de la compétence de droit commun (à savoir le maire au nom de la commune si cette dernière dispose d’un document d’urbanisme), seront toutes instruites par les services de l’État et délivrées par le préfet. Une réforme contestée par France Agrivoltaïsme qui aurait préféré que l’instruction des projets d'une puissance inférieure à 10 MW, comme l’ensemble des projets nécessaires à l’exploitation agricole, relève de la compétence du maire "pour favoriser l'appropriation locale des projet".
Lorsque la demande porte sur une installation mentionnée à l'article L.111-29, le dossier de demande de permis de construire ou celui qui est joint à la déclaration préalable devra comporter des éléments permettant d’apprécier le respect des conditions de compatibilité prévues à l’article R.111-20-1 pour exempter les installations du décompte ZAN. Le dossier de déclaration préalable devra aussi comprendre la description de l’état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants.
Des spécifications sur les contrôles à compléter
Le décret (art.4) détermine en outre les conditions liées à la durée d’autorisation - au maximum 40 ans -, ainsi qu’à l’obligation de démantèlement et de remise en état après exploitation. Une réversibilité des installations est prévue ainsi que la constitution de garanties financières pour couvrir ces opérations. Le texte (art. 6 et 7) fixe, enfin, les modalités de suivi et de contrôle des installations ainsi que les sanctions en cas de manquement. Un arrêté complémentaire, dont la consultation publique vient tout juste de s’achever, est également attendu dans les prochaines semaines notamment pour spécifier ces mesures de contrôles (voir notre article du 19 mars 2024).
La question du partage de la valeur générée par les projets agrivoltaïques, entre l'exploitant agricole, le producteur d'électricité et le propriétaire du terrain est quant à elle toujours en cours de réflexion, et pourrait être renvoyée à un véhicule législatif.
Référence : décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, JO du 9 avril 2024, texte n°2. |