Déserts médicaux : la "solidarité́ territoriale obligatoire", mesure de la dernière chance avant la régulation de l’installation ?
Avec son plan anti-déserts médicaux dévoilé ce 25 avril dans le Cantal par François Bayrou et quatre de ses ministres, le gouvernement espère emporter l’adhésion des médecins en optant pour une forme légère de régulation : l’obligation pour les médecins de proposer, à hauteur de quelques journées par an, des "consultations avancées" dans les territoires les plus en difficulté. Le Premier ministre promet des effets rapides, même si la disposition devra être adoptée au Parlement. En dehors de cette mesure proprement nouvelle, le plan prévoit un soutien aux stratégies d’attractivité des territoires les plus fragiles et vise à prolonger les efforts en matière de diversification de l’origine géographique des étudiants en médecine et de délégation de compétences aux pharmacies et aux autres professionnels de santé.

© Capture vidéo @gouvernementFR/ François Bayrou
Face à l’opposition massive des médecins à la proposition de loi Garot qui prévoit la régulation de l’installation (voir notre article), le gouvernement entend adresser un message de "confiance" à la communauté médicale tout en affichant sa "détermination" à apporter rapidement des solutions aux territoires les plus dépourvus de professionnels de santé. "Cette voie de la régulation autoritaire ne sera pas celle que nous retiendrons", a affirmé le Premier ministre François Bayrou, venu présenter, ce 25 avril 2025 dans le Cantal, un "Pacte de lutte contre les déserts médicaux". Mais le chef du gouvernement prévient : "ces mesures" sont celles de "la dernière chance" et, en cas d’échec, "nous savons bien que le jour viendra où les principes de ce système fondé sur le choix libre des médecins devront changer".
"Les médecins ont une obligation de fraternité dont l’immense majorité d’entre eux est pleinement conscient", affirme le Premier ministre, qui était accompagné des ministres Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités et Familles), Yannick Neuder (Santé), Philippe Baptiste (Enseignement supérieur) et Françoise Gatel (Ruralité). Alors qu’un appel à la grève et des manifestations anti-régulation des médecins sont lancés pour les 28 et 29 avril, le gouvernement mise sur l’idée selon laquelle il est plus facile de demander une petite contribution à beaucoup de médecins plutôt que de gros efforts à un plus petit nombre de jeunes praticiens.
D’ici un mois, une cartographie des zones rouges à l’échelle de chaque intercommunalité
Pour produire rapidement des effets pour les territoires les plus en difficulté, le gouvernement mise donc sur une mesure phare : un "principe de responsabilité et de solidarité territoriale" de l’ensemble des médecins qui se rendraient, "quelques jours par an, jusqu’à deux jours par mois", dans ces territoires pour des "consultations avancées". Il s’agit donc de généraliser "un dispositif qui peut exister ponctuellement dans certains territoires", précise le gouvernement, qui fait valoir des consultations étendues avec la communauté médicale et les élus locaux notamment.
Au cœur du dispositif : la cartographie des territoires "ultra-prioritaires" qui en bénéficieront. Un diagnostic des besoins sera réalisé à l’échelle de chaque intercommunalité par les ARS, en lien avec les élus locaux et le préfet. Catherine Vautrin énonce les indicateurs qui seront pris en compte : la densité de généralistes, l’âge des généralistes (part des plus de 60 ans), le nombre de patients en affection longue durée, l’âge des patients et l’évolution démographique. 11% des intercommunalités, regroupant 2,2 millions d’habitants, sont "à fort indice de vulnérabilité", est-il indiqué dans le dossier de presse. Cette cartographie des "zones rouges" devra être finalisée en "moins d’un mois", assure le gouvernement, pour qu’une permanence médicale y soit installée le plus rapidement possible.
Sur le modèle de la permanence des soins, des plannings seraient définis en avance "pour assurer une continuité d’exercice en médecine de premier recours dans ces zones", avec "pragmatisme et bon sens" selon le Premier ministre, grâce à la mobilisation de médecins des territoires voisins. Quid du vivier de médecins qui pourront se rendre disponibles malgré les files d’attente dans leur propre territoire ? Il est rappelé que 87% du territoire est classé en désert médical. Si la mesure est bien présentée dans le dossier de presse comme une "mission de solidarité obligatoire", François Bayrou se veut rassurant : "Il s’agit, dans un premier temps, d’une proposition et d’une incitation. Les préfets et les agences régionales de santé n’interviendraient qu’en l’absence de réponses locales". Des gratifications financières seront prévues, mais également des pénalités en cas de refus.
"Cette mission de solidarité sera étendue, secondairement, à l’ensemble des zones sous-denses, au-delà des territoires prioritaires et du premier recours", indique par ailleurs le gouvernement.
Aides à l’installation : un soutien de l’État et davantage de coordination
En matière de solidarité et de développement de l’offre de soins dans les "territoires les plus critiques", le plan gouvernemental contient d’autres mesures : un nouveau statut de "praticien territorial de médecine ambulatoire" pour les jeunes médecins souhaitant s’installer dans ces "zones rouges", des "consultations hors les murs", portées par les établissements de santé, de médecins spécialistes dans les territoires en tension et des dérogations pour faciliter l’ouverture de pharmacies dans les communes de moins de 2.500 habitants où la dernière pharmacie a fermé.
Le plan prévoit trois autres volets qui portent sur la formation et le recrutement, la poursuite des délégations de compétences (aux pharmacies, assistants dentaires, infirmiers et infirmiers en pratique avancée, déploiement des assistants médicaux, etc.) et le soutien aux élus locaux et aux territoires qui cherchent à attirer des professionnels et étudiants de santé.
Pour ce dernier volet, le gouvernement annonce notamment la mise en place d’un "guichet numérique unique d’aide à l’installation" coordonné par l’ARS, qui pourrait être décliné au niveau intra régional. Le gouvernement précise qu’il s’agit de concentrer l’action de l’État sur des zones prioritaires et de tenter de "mettre fin aux concurrences" entre territoires, concurrences suscitées par un "foisonnement d’aides". Un soutien au développement des internats ruraux et des hébergements proposés aux étudiants en santé sera également proposé.
Les décrets sur les "docteurs juniors" avant l’été
En matière de formation, deux chiffres sont répétés : "50% des médecins généralistes formés exercent à moins de 85 km de leur lieu de naissance" et "une installation sur deux est située à moins de 43 km de l’université d’internat". Le gouvernement veut donc, dans la continuité de la réforme de l’accès aux études de santé, ouvrir une première année d’accès aux études de santé dans les 24 départements qui n’en sont pas encore pourvus, tout en harmonisant à l’échelle nationale le nouveau système critiqué pour sa complexité (voir notre article). Il prévoit de déployer dans toutes les régions des "options santé" dans les lycées, espérant ainsi susciter des vocations et "diversifier l’origine sociale et géographique" des étudiants en médecine.
Concernant les 3.700 "docteurs juniors" (étudiants en quatrième année d’internat de médecine générale) qui seront déployés, à partir de novembre 2026, dans les territoires, le ministre de la Santé promet des décrets "avant l’été" et une bonne répartition sur tout le territoire. Le gouvernement annonce par ailleurs qu’il rendra "obligatoires des stages en dehors des grandes villes et des CHU dès la rentrée 2026", pour permettre à tous les étudiants de deuxième et troisième année de découvrir cette pratique et un territoire en particulier.
Ce plan représenterait "un potentiel de 50 millions de consultations supplémentaires par an pour les zones sous-dotées", dont 30 millions du fait du mécanisme de solidarité territoriale et 15 millions du fait des docteurs juniors, selon le gouvernement. Ce dernier entend faire passer ses mesures par le biais des différentes propositions de loi portées actuellement à l’Assemblée nationale et au Sénat (les PPL Garot et Mouiller, mais aussi la PPL Pradal sur la sécurité des professionnels de santé et la PPL Dubré-Chirat sur la profession d’infirmier), ainsi que dans le cadre des prochaines lois de finances. Il promet enfin une évaluation d’impact régulière de ce plan à travers le suivi trimestriel d’indicateurs à l’échelle départementale.