Dépenses sociales 2019-2020 des départements : après le printemps, l'hiver
L'Observatoire national de l'action sociale (Odas) a présenté ce 17 décembre son analyse annuelle des dépenses sociales des départements. Sur 2019, ces dépenses ont été relativement maîtrisées - du moins côté RSA et personnes âgées, le handicap et l'aide sociale à l'enfance ayant affiché une hausse sensible. En revanche, les résultats 2020 s'annoncent évidemment "très dégradés". Notamment sur le front du RSA, dont l'Odas recommande la recentralisation.
L'Observatoire national de l'action sociale (Odas) a présenté, lors d'une visioconférence de presse le 17 décembre, son analyse annuelle des dépenses sociales des départements. Cet exercice récurrent a toutefois été bousculé, cette année, par la crise sanitaire. Traditionnellement, la présentation des résultats intervient en mars sur les dépenses de l'année précédente. Mais pour Jean-Louis Sanchez, le fondateur et délégué général de l'Odas, il ne pouvait être question de présenter les résultats 2019 à cette date, alors que la pandémie du Covid-19 allait manifestement tout bouleverser. La présentation a donc revêtu un aspect un peu schizophrène : d'un côté, de bons résultats 2019 avec des dépenses sociales – relativement – maîtrisées et des recettes dynamiques pour les départements ; de l'autre, une année 2020 qui porte les premiers stigmates de la crise sanitaire, avant que la crise économique vienne accroître encore des difficultés qui devraient culminer vers 2022.
2019 : 38,6 milliards de dépenses nettes, 30,3 milliards pour la charge nette
Pour Claudine Padieu, la directrice scientifique de l'Odas, l'année 2019, dont les résultats sont reconstitués à partir d'un échantillon permanent de 43 départements, se caractérise par "des dépenses maîtrisées". La dépense nette d'action sociale atteint ainsi un total de 38,6 milliards d'euros (France métropolitaine), en hausse de 1,9% par rapport à 2018. Plus représentative, la charge nette – déduction faite des contributions de l'Etat et de la CNSA – s'élève pour sa part à 30,3 milliards, en hausse de 2,6%. Cette hausse plus rapide s'explique par une moindre contribution de la CNSA au titre de l'APA (-3,6%) et par une stagnation (-0,1%) de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et du FMDI (fonds de mobilisation départementale pour l'insertion).
Cette relative maîtrise des dépenses sociales des départements en 2019 tient avant tout à la faible progression des dépenses de RSA (+0,5% à 10,4 milliards) et d'aide aux personnes âgées (+0,8% à 7,2 milliards). A l'inverse, la progression a été nettement plus soutenue pour les dépenses de soutien aux personnes handicapées (+2,5% à 7,8 milliards) et surtout pour celles de l'aide sociale à l'enfance (+4,5% à 7,9 milliards).
L'ASE et le handicap en hausse plus soutenue
L'ASE contribue ainsi à la moitié de l'augmentation de la dépense sociale. Les chiffres de l'Odas confirment au passage les alertes de l'Assemblée des départements de France (ADF) sur la part des MNA (mineurs non accompagnés) dans cette évolution. Sur les 8.100 jeunes supplémentaires pris en charge en 2019 – portant le total à 189.200 –, on compte en effet 1.100 mineurs MNA (sur un total de 29.700) et 3.100 jeunes majeurs MNA (sur un total de 11.400). Ces chiffres marquent toutefois un ralentissement, puisque l'année 2018 avait vu la prise en charge de 6.300 mineurs MNA supplémentaires.
Du côté du handicap, la hausse s'explique avant tout par la dynamique de la PCH (prestation de compensation du handicap), qui progresse de 5,5% pour atteindre 2,1 milliards, alors que les dépenses d'hébergement et d'accueil de jour augmentent plus modérément de 2%, à 5,15 milliards.
Des résultats 2020 qui s'annoncent "très dégradés" avec la hausse du RSA
Pour tenter d'évaluer la situation en 2020, l'Odas a procédé à une enquête flash au mois de septembre, donc avant la nouvelle vague de la pandémie et le second confinement. Sans avancer de chiffres précis, pour des raisons méthodologiques faciles à comprendre, l'Odas apporte néanmoins un éclairage intéressant sur la situation en 2020, avec également quelques perspectives sur les années suivantes.
Selon Claudine Padieu et Didier Lesueur, le directeur général de l'Odas, les résultats 2020 s'annoncent "très dégradés", au regard des exercices précédents. Sans même parler de la question des recettes (voir notre encadré ci-dessous), les départements, qui sont au cœur de l'action sociale territoriale, vont être fortement impactés par les conséquences de la crise sanitaire, puis économique.
Le RSA est le premier concerné, avec une hausse de l'ordre de 8% en effectifs et de 10% en dépenses sur les six premiers mois, même si la Cnaf, dans son dernier "RSA Conjoncture", voit plutôt une hausse de 6,2% des effectifs au 30 juin 2020 par rapport au 30 juin de l'année précédente (voir notre article ci-dessous du 7 décembre 2020). Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le second semestre, mais les chiffres devraient être à nouveau à la hausse. Cette progression des dépenses de RSA tient bien sûr à l'accroissement du nombre de bénéficiaires, mais aussi à la perte de "petits boulots" par certains allocataires. Le RSA étant une allocation différentielle, la perte de ces ressources se traduit par une hausse du montant de la prestation. Bien que l'Odas ne l'évoque pas, on pourrait mentionner aussi les mesures gouvernementales de prolongation automatique des droits ou le maintien, par les CAF, des droits des allocataires n'ayant pas renvoyé leur DTR (déclaration trimestrielle de ressources).
Pour une recentralisation rapide du RSA
Avec la très probable montée du chômage en 2021, les dépenses de RSA pourraient croître encore plus vite et présenter un redoutable effet ciseaux. Luc-Alain Vervish, le directeur des études de la Banque Postale (voir encadré ci-dessous), a en effet rappelé que, si le nombre des allocataires du RSA progresse au même rythme que celui des chômeurs quand la situation économique se dégrade, il baisse en revanche beaucoup moins vite que le nombre de chômeurs quand elle s'améliore.
Ce contexte particulièrement sombre a conduit Jean-Louis Sanchez à plaider très vigoureusement pour une recentralisation du financement de l'allocation RSA, une position que l'Odas défend d'ailleurs de longue date. Sur ce point, le délégué général trouve les récents propos du Premier ministre "encourageants". Le délégué général de l'Odas souhaite que les expérimentations de recentralisation se développent et débouchent rapidement sur une généralisation. Les départements pourraient alors se recentrer sur la mise en œuvre de politiques sociales locales en phase avec les besoins du territoire, et tout particulièrement sur les politiques locales d'insertion. Celles-ci reculent en effet régulièrement depuis quelques années, car elles servent de variables d'ajustement pour maîtriser les dépenses sociales. En 2019 et 2020, les départements ont ainsi "continué à sacrifier insertion et prévention". En revanche, les aides aux entreprises et à l'activité économique apportées en 2020 par les départements et les autres collectivités peuvent être regardées comme une aide indirecte à l'insertion.
Protection de l'enfance : du bon et du moins bon
Du côté de la protection de l'enfance, l'enquête flash réalisée en septembre montre des résultats contrastés. Comme cela était prévisible, la fermeture des frontières et la suspension du trafic aérien ont conduit à une absence d'admissions supplémentaires de MNA durant les trois premiers trimestres de 2020. De même, et malgré le maintien des cellules de recueil pendant le confinement dans la plupart des départements, le nombre d'informations préoccupantes a "sensiblement baissé", ce qui n'est pas forcément rassurant. Ceci tient, pour une bonne part, à la fermeture des établissements scolaires, qui sont des "donneurs d'alerte" importants.
En revanche, les aides financières de l'ASE, devenues marginales depuis des années, ont nettement repris de l'importance face aux difficultés de certaines familles. De même, les départements ont dû faire face à des dépenses d'équipement (achats de masques, tablettes pour la scolarité à distance des enfants, primes pour les personnels mobilisés...). Au final, tous ces éléments conduisent l'Odas à estimer à environ 5% la hausse des dépenses de protection de l'enfance sur l'année 2020. Le confinement a toutefois eu aussi des effets positifs en termes qualitatifs. Comme l'a bien montré une autre étude récente de l'Odas (voir notre article ci-dessous du 3 décembre 2020), les aménagements et assouplissements de procédures mis en œuvre, en matière de protection de l'enfance, par de nombreux départements durant le confinement et la crise sanitaire pourraient en effet se révéler porteurs d'avenir.
"Nous allons vivre des moments extrêmement difficiles"
Sur le soutien à l'autonomie – personnes âgées et personnes handicapées – l'impact de la crise devrait être limité sur l'année 2020. L'Odas table ainsi sur une progression de 2% des dépenses pour les personnes handicapées et de 3% pour les personnes âgées. Mais l'impact de la pandémie sur les établissements et services, et tout particulièrement les Ehpad, ainsi que celui des mesures du Ségur de la santé, devront se refléter dans les résultats comptables dans la reprise des déficits éventuels lors de la tarification 2022. Sans oublier la nécessité de répondre aux graves difficultés des services d'aide à domicile (Saad), qui vont nécessiter d'aller au-delà d'une réforme a minima de leur tarification.
Au même titre que le RSA, les établissements et services pourraient donc constituer une "bombe à retardement" pour les départements, avec "une incidence massive" sur l'année 2022. Des perspectives qui justifient la conclusion de Jean-Louis Sanchez, même s'il veut pourtant rester confiant : "Nous allons vivre des moments extrêmement difficiles".
Et les finances des départements ?
Lors de la conférence de presse, Luc-Alain Vervish, le directeur des études de la Banque Postale – partenaire historique de l'Odas – a présenté un point d'ensemble sur les finances des départements. Celui-ci rejoint largement l'état des lieux que vient par exemple de dresser la Cour des comptes sur les finances des collectivités territoriales (voir notre article ci-dessous du 15 décembre 2020).
Pour Luc-Alain Vervish, "l'année 2019 s'est terminée de façon très satisfaisante, avec une hausse de l'autofinancement départemental", autrement dit un haut niveau d'épargne brute atteignant 9,2 milliards d'euros, en hausse de 14,5% sur 2018. Un résultat dû principalement à la nette hausse de 10,3% des DMTO (droits de mutation à titre onéreux), portés par le dynamisme du marché immobilier. Dans le même temps, les dépenses de fonctionnement (au-delà des seules dépenses sociales) ont été maîtrisées, avec par exemple une progression de 0,9% des dépenses de personnels. Cette bonne situation a permis aux départements de prolonger la hausse de leurs investissements, entamée en 2018 après huit années de baisse. En 2019, les investissements ont ainsi progressé de 13,5%, dépassant ainsi la barre symbolique des 10 milliards d'euros.
La situation change sensiblement cette année, avec l'arrivée de la crise sanitaire. Luc-Alain Vervish estime néanmoins que la situation financière des départements en 2020 "s'est dégradée, mais n'est pas pour autant de nature à créer des inquiétudes, à condition que la crise ne persiste pas". Les départements doivent toutefois s'attendre à une perte importante de recettes, en particulier sur les DMTO, tandis que leurs dépenses de fonctionnement seront impactées par la hausse inévitable des dépenses sociales, qui représentent 55% du total des dépenses de fonctionnement. La conjonction de ces deux mouvements devrait déboucher sur une chute de l'épargne brute des départements, qui devrait rejoindre son niveau de 2015, avec des conséquences négatives sur le niveau des investissements.