Décentralisation : les "solutions pragmatiques" du Sénat

Le groupe de travail transpartisan de la Haute Assemblée sur la décentralisation, que le président Gérard Larcher avait installé en octobre, a présenté jeudi sa copie. Renforcement du pouvoir réglementaire local, transferts de compétences à l'intercommunalité dans le domaine du logement, création d'un "véritable statut" de l'élu local, assouplissement de la répartition des compétences entre les communes et leur intercommunalité… les sénateurs défendent des propositions "opérationnelles" pour "rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir".

Le président de la République ayant, dès le début de son mandat, placé la décentralisation à l'ordre du jour de ses réformes, le Sénat n'a pas tardé à se mettre au travail pour pouvoir nourrir ses réflexions et celles du gouvernement. Dans ce but, les conclusions d'un groupe de travail réunissant tous les groupes politiques de la Haute Assemblée, ont été rendues publiques ce 6 juillet. "Nous avons préparé tous les éléments pour qu'il y ait un vrai texte", s'est félicité Gérard Larcher, le président (LR) du Sénat, lors d'une conférence de presse. En affirmant que "cette fois-ci, ça doit être la bonne". Objectif du rapport qui a été adopté "à l'unanimité des votants" (certains groupes se sont abstenus) : redonner "le pouvoir d'agir" aux maires, lesquels éprouvent un "sentiment de dessaisissement", après des années de "recentralisation".

Gérard Larcher n'entend pas "faire un rapport de plus", mais "marquer une vraie rupture", pour "retrouver l'esprit de 1982", année de la loi Defferre qui a engagé l'Acte I de la décentralisation. Mathieu Darnaud, rapporteur (LR) partage la même détermination. "Depuis 2017, on peut dresser un bilan qui s'apparente à l'autopsie d'un gâchis (…). La politique des territoires reste définitivement l'angle mort de la politique du gouvernement. Ce rapport est une invitation à aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite."

"On ne renverse pas la table"

François-Noël Buffet, président (LR) de la commission des lois et rapporteur général du groupe de travail, tempère cependant : "On ne renverse pas la table, (…) on ne demande pas la lune, on n'est pas là avec une proposition qui vise à repenser toute l'organisation des collectivités territoriales." Pas de "grand soir", donc. Mais des solutions certainement plus faciles à faire accepter à l'État. "Tout le monde garde son pouvoir, tout le monde trouve de la liberté", précise le rapporteur général. Les grands transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales, qui étaient au menu des 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales – le Sénat les avaient proposées il y a trois ans presque jour pour jour – ne sont ainsi plus d'actualité. La chambre des collectivités territoriales a changé son fusil d'épaule, sans modifier sa cible. "On a seulement la volonté que les choses fonctionnent et soient effectives sur le terrain", confie Jean-Noël Buffet.

Pour redonner de la latitude aux maires, les sénateurs préconisent d'"étendre le champ d'application du pouvoir réglementaire local" – beaucoup plus que cela a été fait avec la loi 3DS de février 2022. En matière de logement, cela se traduirait par une plus grande territorialisation et de nouvelles compétences au profit des intercommunalités volontaires. En même temps, Gérard Larcher appelle à redonner plus de place aux maires dans la politique du logement. Leur "marginalisation" au cours des dernières années est "un sujet majeur", a-t-il dit. "Si on continue avec des schémas (...), si on décide à la place des maires ce qu'on construira, on ne construira plus rien", s'est emporté le président du Sénat.

Pour "un véritable statut de l'élu"

La Haute Assemblée veut aussi accorder plus de flexibilité aux communes dans la réglementation des meublés touristiques. Il s'agit de "faire de la dentelle pour faire très efficace", a estimé Françoise Gatel, l'autre rapporteur (UC) du groupe de travail. Sur la question sensible des "zones à faibles émissions" (ZFE), les communes auraient les moyens de repousser le calendrier de restriction de circulation des véhicules les plus polluants.

Pour le Sénat, l'intercommunalité doit être moins "uniforme et subie". Il propose notamment de "permettre, par accord local, de modifier la répartition des compétences" (essentiellement, eau et assainissement et mobilités) et de renforcer les possibilités de transfert des compétences "à la carte".

Redoutant que de très nombreuses communes n'aient pas de listes de candidats aux élections municipales de 2026, les sénateurs prônent la mise en place d'un "véritable statut de l’élu adapté à la diversité des profils et plus protecteur". Avec une véritable nouveauté : l'instauration d'un "statut de l’élu étudiant permettant des aménagements automatiques de scolarité". Par ailleurs, ils font leurs les dispositions de la récente proposition de loi déposée par le président de la commission des lois pour renforcer "la sécurité des élus locaux et la protection des maires" (sur ce texte, voir notre article du 31 mai).

Décentralisation approfondie avec les collectivités volontaires

Pour faciliter l'adaptation des lois aux réalités du terrain, les sénateurs veulent renforcer le principe de différenciation, en le consacrant dans la Constitution. Ce principe servirait à engager "un nouveau processus de décentralisation" qui ne concernerait pas l'ensemble des collectivités, mais seulement celles qui sont volontaires – sur le modèle du transfert des routes nationales dans le cadre de la loi 3DS.

"Nerf de la guerre", les finances locales ne sont pas oubliées. Au programme : une refonte complète de la dotation globale de fonctionnement (DGF), une protection constitutionnelle assurée à la fiscalité locale, ou encore l'expérimentation dans certaines régions d'une dotation unique d’investissement par la fusion des différentes dotations de l’État.

Le Sénat va à présent travailler à traduire ses recommandations dans une proposition de loi, dont la date d'examen n'a pas encore été déterminée, puisque le calendrier parlementaire est déjà très encombré. Ce texte serait aussi pour les sénateurs le moyen de "tirer les leçons des crises", notamment les émeutes urbaines. "Ça a tenu la semaine dernière sur le dialogue entre les maires et les préfets", a insisté Gérard Larcher.

 

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