Dans la course au foncier industriel, deux obstacles viennent d'être franchis
En dévoilant la liste des 55 nouveaux sites industriels "clés en main", dont 60% sont recyclés, le gouvernement veut démontrer que réindustrialisation et sobriété peuvent aller de pair. C'est aussi l'enjeu que porte le nouveau portail France Foncier+ qui recense déjà 600 sites disponibles sur tout le territoire.
Réindustrialiser le pays dans un contexte où le foncier va se faire de plus en plus rare, avec la mise en œuvre du zéro artificialisation nette ? Le pari tient de la gageure. Mais une marche importante vient d'être franchie. Ou plutôt deux. Le ministre délégué à l'industrie, Roland Lescure, et le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, ont dévoilé, mardi, une liste de 55 sites industriels "clés en main" qui seront proposés aux investisseurs d'ici à 2030, répondant ainsi à la demande que le président de la République avait formulé dans le cadre de sa stratégie de réindustrialisation le 11 mai (voir notre article du 12 mai 2023).
Le lendemain, mercredi, la Banque des Territoires et le Cerema ont lancé le portail France Foncier+, qui recense tout le foncier économique disponible sur le territoire. Les deux ministres avaient passé commande au directeur de la Banque des Territoires, Olivier Sichel, l'an dernier (voir notre article du 9 mars 2023).
Bataille culturelle
L'enjeu est de taille. 22.000 hectares seront nécessaires pour réussir cette réindustrialisation, avait estimé le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, dans son rapport remis au gouvernement, le 25 juillet (voir notre article du 26 juillet 2023).
Dans les deux cas, les collectivités, notamment les intercommunalités et les régions, ont été mises à contribution. C'est d'ailleurs lors de la 33e convention des intercommunalités à Orléans, le 13 octobre, que Roland Lescure avait lancé l'appel à candidature des sites clés en main (mené dans le cadre du plan France 2030). Sur la centaine de candidatures reçues, 55 ont été retenues, soit 5 de plus que prévu. "Cet engouement a été la première bonne surprise de notre appel", s'est réjoui Christophe Béchu, pour qui c'est la preuve qu'"une forme de bataille culturelle est gagnée" autour de la réindustrialisation.
Vingt-huit de ces terrains appartiennent à des collectivités, onze à des entreprises privées et les autres à d'autres types d'organisme. Une bonne part d'entre eux proviennent de Territoires d'industrie.
60% de recyclage foncier
Les projets sont répartis sur tout le territoire, avec un à huit sites par région. Celles qui sont les plus fournies sont Paca (avec 8 sites), la Normandie (7), l'Île-de-France et l'Occitanie (7). Ils totalisent 3.342 hectares pour une moyenne de 60 hectares, mais avec des tailles très variables qui s'échelonnent entre 3 et 340 ha pour les plus grands. De quoi attirer tous types de projets industriels, "de la PME industrielle qui s'inscrit dans un écosystème à la gigafactory", explique le cabinet de Roland Lescure.
30 sites sont des friches industrielles et 25 des terrains vierges. 60% s'inscrivent donc "dans une dynamique de recyclage du foncier", a souligné Christophe Béchu, qui s'ajoute à la politique de décarbonation et au "forfait ZAN" des grands projets d'envergure nationale (voir notre article du 11 avril 2024). "L'industrie et l'écologie vont de pair", a aussi souligné Roland Lescure.
Montée en gamme
Tous les sites vont à présent faire l'objet d'un accompagnement pour une "montée en gamme" et qu'ils soient rendus utilisables le plus vite possible par les investisseurs. Ce qui implique qu'ils soient dépollués, équipés, reliés aux voies de transport... Un travail qui va se faire "en étroite collaboration avec les collectivités", a souligné Roland Lescure. Mais aussi avec le soutien de la Banque des Territoires qui a prévu une enveloppe de 450 millions d'euros à cet effet (en investissement et en prêts). Le volet "recyclage du foncier" du fonds vert sera aussi mis à contribution.
Cinq sites seront livrables dès 2024. Ils sont situés à Alixan dans la Drôme, Alloinay dans les Deux-Sèvres, Arles dans les Bouches-du-Rhône, Béziers dans l'Hérault et Etrechet dans l'Indre. D'autres, comme Ossun dans les Hautes-Pyrénées, devraient suivre dès 2025. Les autres le seront d'ici à 2030. Les sous-préfets qui avaient été nommés l'an dernier pour territorialiser le plan France 2030 seront chargés de coordonner les actions sur chaque site. "Le dispositif s’inscrit dans la démarche de simplification des installations d’usines, dont les délais sont d’ores et déjà passés de 17 à 13 mois, pour atteindre 9 mois dès 2025", soulignent les deux ministères, dans un communiqué. Démarche qui sera facilitée par les dispositions de la loi Industrie verte (voir notre article du 24 octobre 2024).
Une intercommunalité sur deux saturée
Tous ces sites ont vocation à rejoindre le nouveau portail France Foncier+ qui recense d'ores et déjà 600 sites disponibles pour un total 6.500 hectares. Une démarche parallèle mais complémentaire née du constat que de nombreuses intercommunalités n'avaient plus assez de foncier disponible pour accueillir des entreprises et qu'elles étaient obligées de refuser des projets. "Environ la moitié des intercommunalités se trouvent dans une situation de saturation foncière", confirme Thomas Raulet, chargé du pilotage du portail à la Banque des Territoires, s'appuyant sur une vaste enquête menée en 2023 auprès de 262 intercommunalités. Cette même enquête a aussi révélé que "plus de deux tiers d'entre elles n’ont pas de dispositif d’observation fine du foncier économique sur leur territoire". "C'est un frein pour les entreprises et les collectivités qui cherchent à mettre en place une stratégie de disponibilité foncière." Le portail permet de faciliter la mise en relation et d'accélérer ainsi les démarches. En quelques clics, l'investisseur peut avoir accès à une fiche détaillée du site avec tous ses atouts (surface, connexions, équipements, services, aides publiques, écosystème, offre de formation…) et entrer en contact avec l'agence régionale de développement.
Pour constituer cette base, les deux partenaires ont pu bénéficier de l'inventaire des zones d'activités imposé à toutes les intercommunalités l'an dernier. Le portail va pouvoir s'enrichir grâce à un travail approfondi avec les régions.
L'association Intercommunalités de France a perçu le travail de labellisation des 55 sites clés en main comme une "reconnaissance" mais demande, dans un communiqué du 17 avril, "ne pas s’arrêter là et de constituer un véritable "stock". Surtout, elle place le gouvernement devant ses contradictions et dénonce les coupes dans le fonds Territoires d’industrie et le dispositif Rebond industriel "amputés respectivement de 30 et 43 millions d’euros" ou le fonds Friches qui "ne bénéficie toujours pas d’enveloppe sanctuarisée pour le maintien des activités productives". Elle demande que "ces soutiens budgétaires soient au plus vite réintégrés et pérennisés".