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Fiscalité locale - CVAE : la consolidation pour les groupes "n'est pas applicable en l'état"

Au 1er janvier 2018, la valeur ajoutée des entreprises faisant partie d'un groupe doit être "consolidée". L'objectif de cette réforme votée fin 2016 est notamment de faire en sorte que les territoires accueillant des sièges sociaux ne soient plus avantagés comme ce serait le cas aujourd'hui. Mais des sénateurs doutent de sa pertinence et recommandent son report.
 

Après avoir bataillé pendant des années, des parlementaires ont obtenu à l'automne dernier le vote dans la loi de finances rectificative pour 2016 de nouvelles règles de répartition du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt de près de 17 milliards d'euros qui a remplacé en 2011 la taxe professionnelle et dont bénéficient toutes les catégories de collectivités territoriales. Il s'agissait de consolider le calcul de la cotisation acquittée par les entreprises membres de groupes, puis de la répartir entre les bénéficiaires en fonction des valeurs locatives et des effectifs des différentes structures de chacun des groupes. La moitié des recettes de la CVAE sont concernées par l'application de ces nouvelles règles.
Adoptées contre l'avis du ministre chargé du Budget, elles devaient permettre d'empêcher que les décisions d'organisation juridique, n'aient des effets, parfois conséquents, sur la répartition du produit de la taxe. En outre, il était considéré qu'elles permettraient un rééquilibrage du produit de la CVAE entre les régions accueillant des sièges sociaux (l'Ile-de-France en tête) et les autres.
Mais la solution, qui doit s'appliquer au 1er janvier 2018, n'est pas la panacée, estiment les sénateurs Claude Raynal et Charles Guené, dans un rapport qu'ils viennent de remettre à la commission des finances de la Haute Assemblée. Un report pour une année de son application laisserait le temps de mener des simulations, préconisent ces deux experts des finances locales. Dont la position peut surprendre quelque peu, puisque l'un d'eux, Charles Guené, avait très tôt,fait partie des principaux défenseurs de la solution retenue finalement dans la loi de finances rectificative pour 2016. "Je suis en train de manger mon chapeau", a reconnu lui-même le sénateur, le 5 juillet lors d'une conférence de presse.

"La réforme crée des incertitudes"

"Bercy nous a convaincus que les entreprises ne remontent pas leur valeur ajoutée vers les sièges sociaux", a expliqué le sénateur de la Haute-Marne. L'adoption de la mesure de consolidation de la valeur ajoutée des entreprises intégrées à un groupe reposait justement sur ce présupposé. Par ailleurs, la mise en œuvre de la réforme se traduirait par des transferts de recettes de CVAE entre collectivités territoriales. Des intercommunalités constituées d'un important tissu industriel profiteraient de la réforme, comme la communauté de communes de la Hague, dont le produit de CVAE grimperait de 50%. Les collectivités franciliennes seraient, en revanche, les principales perdantes de l'opération, avec une perte sèche de 174 millions d'euros (soit -6%). D'autres territoires seraient également pénalisés, certes pour des sommes inférieures à un million d'euros, mais dans des proportions proches, comme le Territoire de Belfort et la Martinique.
Autre inconvénient, la volatilité des recettes de CVAE, pointée depuis plusieurs années par les élus locaux, ne serait pas amoindrie, bien au contraire. Si une entreprise dotée d'un seul établissement achète une autre entreprise et forme dès lors un groupe, la répartition de la CVAE serait modifiée, alors que tel n'est pas le cas aujourd'hui, indiquent par exemple les sénateurs.
Ils proposent par conséquent d'étudier un scénario consistant à "séparer la répartition de la CVAE de la valeur ajoutée". Concrètement, l'intégralité du produit de la CVAE serait répartie en fonction des valeurs locatives et des effectifs de chacun des établissements. La valeur ajoutée ne serait plus territorialisée, contrairement aux souhaits émis par le législateur lors des débats sur la création de la nouvelle imposition. Mais ainsi conçue, la CVAE s'apparenterait à une dotation, concèdent les sénateurs. Ils devinent que les élus locaux seront vent debout contre une telle perspective.

Empêcher les stratégies d'optimisation fiscale de la part des entreprises

Demeurant pragmatiques, les corapporteurs des crédits des collectivités territoriales veulent aussi trouver une réponse aux conséquences de l'entrée en vigueur cette année de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. La réforme va modifier "la répartition de près des trois quarts de la valeur ajoutée imposable". Un chamboulement qui pourrait désavantager les territoires industriels.
La décision du Conseil constitutionnel du 19 mai dernier (voir ci-dessous notre article du 22 mai 2017), qui supprime les règles de consolidation du chiffre d'affaires à l'échelle des groupes fiscalement intégrés pour le calcul du dégrèvement de la CVAE pris en charge par l'Etat est un autre séisme dont les sénateurs veulent traiter les conséquences. Ils souhaitent dès la discussion sur le projet de loi de finances pour 2018, empêcher les possibilités d'optimisation fiscale offertes aux entreprises, celles-ci pouvant être coûteuses pour le budget de l'Etat.