CRTE : l’État pourra-t-il vraiment tenir ses engagements ?
Si la récente circulaire du Premier ministre sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) va dans le sens d'une "pluriannualité" des investissements réclamée à cor et à cri par les intercommunalités, l'état des finances publiques invite à la prudence. Pour l'économiste François Ecalle, les engagements pris dans le "programme de stabilité" envoyé à Bruxelles peuvent laisser craindre de nouvelles coupes.
Les signatures des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) vont bon train. 620 contrats ont été signés à ce jour sur les 843 prévus, a indiqué le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, dans un message vidéo adressé à l’association Intercommunalités de France, le 26 janvier, dans le cadre d’une conférence sur "le financement public local", en partenariat avec la Caisse d’Epargne (voir aussi notre autre article de ce jour). "Les 220 contrats qui manquent aujourd’hui à l’appel seront signés dans les prochaines semaines pour couvrir l’ensemble du territoire", a-t-il assuré. Des propos qui font écho à la circulaire du Premier ministre du 4 janvier qui presse en effet les préfets de signer "les premières versions des CRTE" et ce "avant la fin de janvier 2022". Dans cette circulaire, le Premier ministre répond à une demande récurrente des intercommunalités : la "pluriannualité" des crédits, comme elles le lui avaient demandé dans un courrier de décembre. Avocates de longue date d’un tel contrat "intégrateur" unique, les intercommunalités ont vu d’un bon œil l’arrivée du CRTE dans le cadre de la relance, mais leurs inquiétudes ne se sont pas dissipées pour autant avec la circulaire.
"Un début de planification"
Certes, le CRTE présente "un début de planification" qui donne "plus de lisibilité", comme s’en est félicité Jean-Pascal Fichère, président du Grand Dole. Même si, selon lui, le regroupement de tous les dispositifs et contrats préexistants n’est pas sans poser de difficulté. L’intégration des Territoires d’industrie dans le CRTE, par exemple, est accueillie avec circonspection par les industriels qui participent au comité de pilotage et "s’y perdent un peu".
Isabelle de Waziers, vice-présidente en charge des finances de la communauté Somme Sud-Ouest, dont le CRTE est en passe d’être signé à l’échelle du pôle métropolitain (qui regroupe 8 EPCI), a rencontré quelques écueils. Tout d’abord la limitation des projets : "On nous a dit, il n’en faut que dix", alors que les maires en avaient fait remonter bien plus… "On a quand même un grand problème de visibilité et de prévisibilité des financements à long terme (…) On espère une pluriannualité de nos investissements", soupire-t-elle.
Programmes de stabilité
Alors si de nombreux observateurs, dont le sénateur de la Haute-Garonne Claude Raynal, voient dans les CRTE des sortes de petits CPER (contrats de plan État-région), le regard averti de François Ecalle, président de Fipeco (Finances publiques et économie), n’invite pas trop à l’optimisme. La difficulté vient selon lui des engagements à moyen terme pris dans le cadre des programmes de stabilité envoyés chaque année à Bruxelles et qui se déclinent au niveau national, depuis 2008, dans les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques. Le problème de ces programmes est que "l’État s’y donne toujours des objectifs de réduction des déficits publics, de contrôle de la dette publique à moyen terme (à cinq ans par exemple), sans augmenter les prélèvements obligatoires, en jouant donc à travers la maîtrise des dépenses publiques mais sans expliquer comment". Or, selon François Ecalle, "potentiellement, c’est totalement incohérent avec tous les engagements qu’il a pu prendre par ailleurs, notamment tous les contrats passés avec les uns et les autres". Les régions en savent quelque chose, qui ont toujours du mal à faire respecter les engagements de l’État dans les contrats de plan.
"L’histoire risque de bégayer"
Certes, ces programmes de stabilité et lois de programmation ne sont pas contraignants car c’est le principe d’annualité de la loi de finances qui prévaut. De fait, la trajectoire de réduction des déficits publics "n’a jamais été respectée"… pas plus que les engagements pris à travers les différents contrats, rappelle l'économiste. Et selon lui, il n’y a pas de raison que cela change.
Dans son programme de stabilité envoyé à Bruxelles en avril dernier, la France s’engage en effet à stabiliser sa dette publique, à horizon 2027, autour de 115% du PIB et à maintenir le déficit public en dessous des 3%. Ne pouvant toucher aux prélèvements obligatoires, l’État envisage une croissance des dépenses publiques très faible, autour de 0,7% par an entre 2023 et 2027. C’est moins que lors de la période 2011-2019 au cours de laquelle il a par exemple été décidé de réduire la dotation globale de fonctionnement de 12 milliards d’euros… Pour François Ecalle, "l’histoire risque de bégayer".