Crise économique : le commerce spécialisé demande que les collectivités puissent moduler leurs taux
Alors que le commerce pourrait perdre entre 150.000 et 300.000 emplois dans les deux prochaines années, la fédération du commerce spécialisé Procos préconise, dans un livre blanc, une relance s'appuyant largement sur les collectivités : possibilité de moduler les taux de taxes locales (Tascom, TLPE...), déploiement de "Territoires de commerce"...
La crise économique est à présent bien installée. Un à un, les secteurs (industrie, bâtiment…) tentent d’évaluer les pertes possibles sur l’emploi. Au lendemain des annonces du gouvernement sur la relance du commerce de proximité, c’est le commerce spécialisé qui donne ses prévisions. "Sans mesures de soutien de la filière, la crise Covid-19 pourrait provoquer entre 150.000 et 300.000 destructions d'emplois en 2020-2021, la fermeture de 50.000 points de vente et l'arrêt brutal des investissements pourtant nécessaires à la transformation du secteur", a alerté Procos, la fédération des enseignes spécialisées, le 30 juin. La crise sanitaire est venue aggraver une situation déjà fragilisée par la crise des gilets jaunes et les grèves. Au premier semestre 2020, tous secteurs confondus, la chute du chiffre d’affaire est de -31,8%. Certains secteurs "se situant dans une situation encore plus compliquée, tels que l’équipement de la personne (- 35%) et la restauration (- 43%)". La France est même l’un des pays d’Europe où la consommation a le plus dégringolé aux mois de mars et avril (-22%), avec l’Italie, l’Espagne et la Grèce. À titre de comparaison, la baisse n’aura été que de 4% en Allemagne.
Explosion des ventes sur internet
Or un mois et demi après la réouverture des premiers points de vente, la reprise se fait toujours attendre, excepté pour le jardinage, l'équipement de la maison ou les articles de sport qui connaissent respectivement des regains de 41%, 30,8% et 14% au mois de juin par rapport à juin 2019. En moyenne, la baisse est de 3% sur le mois de juin avec une chute de 35% pour la restauration qui a connu une réouverture plus tardive.
Les ventes sur internet ont explosé avec une progression de 173% toutes activités confondues du 11 au 31 mai, tendance qui se poursuit en juin (+60%), notamment grâce au succès du "click and collect" qui a permis à de nombreux magasins d’atténuer les pertes. "La période a mis en évidence l’importance vitale de l’omnicanal et de la complémentarité entre point de vente et e-commerce", souligne Procos. La croissance est de 50% sur le semestre, "du jamais vu". "Si Amazon a évidemment accru ses parts de marché pendant le confinement en faisant la preuve de ses capacités opérationnelles malgré les difficultés de gestion des entrepôts et de livraison, les autres pure players n’ont que peu profité du confinement", précise cependant la fédération.
Le déconfinement a été marqué par un rattrapage de la fréquentation au mois de mai, mais celle-ci s’érode depuis la mi-juin, notamment dans les grands centres commerciaux, en raison du report des soldes à mi-juillet, ou dans les centres des grandes villes.
Le secteur "est aujourd’hui face à un risque sérieux d’effondrement d’acteurs de toutes tailles", prévient Procos, qui estime que la crise a coûté entre 50 et 60 milliards d’euros au commerce non alimentaire.
Territoires de commerce
Face à cette situation inédite, Procos formule 12 propositions dans un livre blanc préparé avec le cabinet EY, s’adressant tant à l’État qu’aux collectivités. Le levier fiscal y figure en bonne place. La fédération du commerce spécialisé préconise ainsi de supprimer la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés) et d’aider les collectivités à moduler certains impôts dits de production en 2020 et 2021, tels que la Tascom (taxe sur les surfaces commerciales), la TLPE (taxe sur les enseignes de publicité extérieure), la CFE (cotisation foncière des entreprises), la taxe foncière... Elle demande d’élargir au commerce spécialisé l’exonération des charges sociales et patronales déjà accordée au tourisme et à la restauration, pour au moins quatre mois.
Elle appelle par ailleurs à "une politique volontariste" d’aide aux collectivités locales pour déployer une véritable politique "Territoires de commerce" : renforcer le volet commerce du programme Action coeur de ville, accélérer la rénovation de zones commerciales de périphérie prioritaires, former et recruter 500 managers de territoire par an sur quatre ans, mise en place d’un dispositif de type "Pinel" en faveur des locaux de commerce, avec un système de défiscalisation en contrepartie d’un loyer réduit pendant dix ans. Elle incite les bailleurs à réduire voire annuler les loyers des périodes de fermeture. Il s’agirait aussi de permettre aux mairies de villes moyennes de "préempter des locaux et les proposer à des tarifs préférentiels/subventionnés". C'est un peu ce que le gouvernement cherche à faire avec la Banque des Territoires pour le commerce de proximité, en créant une centaine de foncières.
Le livre blanc accorde par ailleurs une large place à la transformation numérique des commerces. Enfin, des "chèques commerces solidaires" pourraient aider à relancer la consommation.
Si elle n’est pas jugulée à temps, cette crise risque d’engendrer "une aggravation des fractures entre territoires et un risque de perte de souveraineté française face aux géants étrangers", met en garde Procos.