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Habitat - Crise du logement : neuf acteurs, cinq questions, une "solution globale"

C'est une première. Une plateforme commune réunissant de grands acteurs du logement que l'on n'aurait pas forcément placés d'emblée sur la même photo de famille, de la Fondation Abbé-Pierre aux promoteurs… Ceci afin, c'est de saison, d'interpeller de concert les candidats à la présidentielle sur la nécessité de faire du logement une grande "cause nationale". A la clef, cinq questions auxquelles l'ensemble des candidats sont invités à répondre. Et une invitation, pour les principaux d'entre eux, à venir personnellement exposer leurs propositions et débattre le 5 avril devant un millier de professionnels du secteur. "C'est toute la chaîne du logement qui est devant vous aujourd'hui", a ainsi résumé le représentant de l'un des neuf acteurs concernés en présentant le 14 mars à la presse le contenu de cette interpellation. Neuf acteurs, à savoir l'Union sociale pour l'habitat (l'USH, qui avait déjà présenté le 20 janvier, à l'occasion de ses voeux, son propre corpus de propositions), la Fondation Abbé-Pierre, l'Union des entreprises et des salariés pour le logement - Action Logement (UESL, autrement dit, le 1% logement), l'Union des maisons françaises, l'Union nationale des syndicats français d'architectes, l'Union nationale des économistes de la construction, la Fédération des promoteurs immobiliers de France, le Syndicat national des aménageurs lotisseurs (Snal) et la Fédération française du bâtiment. Surtout des acteurs de la construction, donc.
Ensemble, ces organismes ont rédigé une note d'une trentaine de pages récapitulant leurs constats, leur "analyse de la situation". Car, préviennent-ils, face à l'ampleur des difficultés qui s'accumulent dans le champ du logement, pas question de se contenter de mesures ponctuelles. Il attendent donc que les candidats et leurs partis commencent par poser "un diagnostic", déterminent ensuite "un axe politique", puis alors seulement, déclinent tout cela en un certain nombre de mesures. En soulignant dans leur courrier qu'une "solution viable doit couvrir l'ensemble des besoins et non répondre seulement à certains d'entre eux". Et en relevant devant la presse que si tous les candidats ou presque semblent promettre la construction de 500.000 nouveaux logements, on n'a pour l'heure guère eu de précisions sur la façon dont cela serait financé, et les mesures évoquées jusqu'ici "ne permettront pas d'atteindre cet objectif".

On construit trop peu, trop cher et pas au bon endroit...

Parce que la démarche de ces acteurs se veut "globale", le constat et les questions posées ne sont guère techniques. En jeu : "Comment construire suffisamment de logements répondant aux aspirations actuelles des Français, et qui soient compatibles avec leurs revenus ?" L'analyse de la situation actuelle et des principaux facteurs de blocage portent en premier lieu sur le niveau de l'offre. Ou pourquoi on connaît aujourd'hui un déficit cumulé de 8 à 900.000 logements : augmentation démographique et solde migratoire positif, décohabitation, vieillissement… Et mauvaise anticipation de ces phénomènes, y compris de la part de l'Insee. En tout cas, non seulement on ne construit pas assez, mais "on ne construit pas assez là où sont les besoins". D'où la nécessité, entre autres, de "redéfinir les zonages", a rappelé mercredi Thierry Repentin, président de l'USH. Et celui-ci d'ajouter : "Il y a plus de besoins sur plus de zones qu'on ne le pense." En outre, non seulement on ne construit pas assez, "mais on construit trop cher", d'où un problème de solvabilité des ménages, qu'ils soient locataires ou acquéreurs.
Les organismes réunis le 14 mars insistent par conséquent sur le fait que "le règlement de la crise du logement passe par des actions de solvabilisation adaptées aux différentes catégories de ménages qui peinent à se loger dans les conditions de marché actuelles". Et mettent l'accent sur le fait que ce problème en induit un autre : "Les parcours résidentiels sont bloqués." Christian Louis-Victor, président de l'UMF, a ainsi évoqué le niveau de revenus très faible de la majorité des locataires du parc social et, par ricochet, la situation des ménages à revenus intermédiaires (entre 1 et 2,5 Smic) qui, faute de logements sociaux disponibles, doivent par exemple se résoudre à partir en très grande périphérie.
Autre grand point nécessairement mis en avant : les problèmes de financement que rencontre le secteur. En question comme souvent actuellement : les effets des nouvelles règles prudentielles Bâle III sur l'immobilier et le logement, sachant que les acteurs privés tels que les promoteurs disent eux aussi ressentir ces effets sur l'offre de prêts. Autre grand constat apparemment partagé : "Le livret A ne suffit pas à maintenir, à lui seul, une production suffisante de logements."

Renoncer au dogme du "reconstruire la ville sur la ville" ?

Or, dans le même temps, le coût de la construction et le coût du foncier continuent d'augmenter. Le premier a connu une hausse de 40% en dix ans, hausse que Didier Ridoret, le président de la FFB, a lié à divers facteurs : hausses des salaires, temps de travail, "difficultés d'organisation de la filière face aux variations des politiques publiques", coût des matières premières, impact des nouvelles réglementations (thermiques notamment)… "L'empilement des nouvelles réglementations, que nous n'avons pas le temps de digérer, empêche de faire baisser les prix", a-t-il commenté.
Quant au problème du foncier, c'est logiquement la présidente du Snal, Pascale Poirot, qui a résumé les choses en ces termes : "On a organisé la rareté du foncier, alors qu'on ne manque pas d'espace en France. Sachant que ce qui est rare est cher…" D'où, selon elle, l'idée de "réfléchir à l'ouverture d'un nouveau foncier urbanisable" et, en tout cas, la nécessité de "revenir sur le dogme du 'reconstruire la ville sur la ville'". Elle songe aussi aux "règles restrictives et contraignantes d'utilisation des sols", aux "délais qui ne sont pas encadrés" et qui renchérissent les coûts, par exemple dans le cadre de la loi sur l'eau ou de l'archéologie préventive, à la hausse des participations d'urbanisme pour les collectivités, aux divers "surcoûts liés aux opérations de renouvellement urbain" (démolition, dépollution, relogement des populations…) et au phénomène de rétention foncière que la fiscalité actuelle, estime-t-elle, ne parvient guère à limiter. "Il faudrait un diagnostic détaillé et territorialisé pour connaître les besoins en matière de foncier", conclut-elle.
En bout de chaîne, les acteurs de l'habitat et de la construction tiennent à mettre l'accent sur l'étroite corrélation entre emploi et logement : les défaillances de l'offre génèrent forcément "des problèmes de compétitivité des entreprises et d'attractivité de certains territoires".
Enfin, ils ont rappelé quelques chiffres simples contrecarrant l'idée courante selon laquelle "le logement coûte cher à l'Etat". L'ensemble des dépenses publiques en faveur du logement s'élevaient en 2010 à 40,6 milliards d'euros (dont près de la moitié pour les aides personnelles). Mais dans le même temps, le logement rapporterait 55,3 milliards de prélèvements fiscaux (taxes locales, TVA, CSG, etc.). Autrement dit, le logement est bien, à hauteur de 14,7 milliards, "un levier de créations de recettes".

 Claire Mallet

Les cinq questions posées aux candidats

1. Le mot crise, s'agissant du logement en France, fait apparemment consensus. Il recouvre pourtant des situations très diversifiées dans l'espace, selon les revenus et types de ménages, tant au plan quantitatif que qualitatif. Pouvez-vous nous préciser votre diagnostic sur la crise elle-même, ses causes et ses manifestations, son impact sur l'attractivité du territoire ?

2. A la lumière de ce diagnostic, quels sont les axes prioritaires de la politique que vous engageriez au cours de la prochaine mandature ?

3. Quelles sources de financement comptez-vous mobiliser et quelles réglementations faire évoluer pour restaurer la solvabilité des ménages et faciliter l'accès à un logement pour tous, y compris les jeunes ? Et comment, selon vous, lutter contre la précarité, notamment énergétique ?

4. Les difficultés en matière d'offre foncière sont révélatrices du lien entre le logement et les notions de développement durable, de formes urbaines, d'aménagement du territoire. Quel vous paraît être le bon niveau de l'autorité régulatrice tant pour les marchés fonciers que pour l'urbanisme, la politique de la ville et l'habitat. En la matière, quelle évolution de la réglementation et quelle régulation ou gouvernance comptez-vous promouvoir ?

5. Le logement constituant une cause nationale, si vous êtes élu, seriez-vous prêt à organiser avec les acteurs du logement des Assises du logement pour qu'ensemble nous trouvions les réponses dans la durée aux problèmes du logement de nos concitoyens ?