Crise agricole : Annie Genevard face à un agenda chargé au Parlement
Alors que la colère agricole couve toujours, la ministre de l'Agriculture multiplie les annonces. Entre mesures d'urgence pour soulager la trésorerie des exploitations et instauration du contrôle unique, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture va enfin pouvoir être débattu par les sénateurs le 14 janvier en séance publique, a-t-elle anoncé le 6 novembre. Jugé insuffisant par certains sénateurs, il sera complété par une proposition de loi sénatoriale visant à "libérer la production agricole des entraves normatives" qui sera examinée le 17 décembre.
Suspendu par la dissolution après le vote de l'Assemblée nationale fin mai (voir notre article du 29 mai 2024), le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture va revenir au Parlement. Il sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 14 janvier, a annoncé Annie Genevard, ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt, lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat le 6 novembre 2024. Il passera en commission à partir du 11 décembre.
"Je ne peux pas laisser dire que ce projet de loi aurait pu être inscrit avant janvier ; pour que le débat soit serein et de qualité, il faudra prévoir un temps suffisant, trois jours n'auraient pas suffi, d'où l'inscription lors du premier créneau disponible au Sénat", a dû justifier la ministre, reconnaissant que le texte "ne résoudra pas tout". D'ailleurs, une proposition de loi, déposée par le sénateur Les Républicains de la Haute-Loire Laurent Duplomb et le sénateur centriste de la Meuse Franck Menonville, visant à "libérer la production agricole des entraves normatives", sera examinée en commission le 4 décembre puis en séance publique le 17 décembre. Le texte prévoit notamment la levée de restrictions sur les pesticides, le retour des promotions sur les produits phytopharmaceutiques ou la facilitation des constructions de réserves d'eau.
Des aides pour soulager les trésoreries des exploitations
Avant ces deux textes, la ministre doit aussi défendre son budget dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025. Un budget considéré comme "ambitieux" par Annie Genevard, et "dimensionné pour la période de crise tout en poursuivant l'effort budgétaire". Un effort de 60 milliards d'euros est demandé au total, auquel le ministère de l'Agriculture devrait participer à hauteur de 115 millions d'euros. "Il faut garder des marges de manœuvre pour faire face aux aléas", a insisté la ministre, "depuis mon arrivée, et alors que l'année 2025 n'est pas encore commencée, il n'y a pas eu un jour sans qu'un nouveau problème ne surgisse et une nouvelle demande n'arrive !"
Pour traiter ces urgences, Annie Genevard a rappelé les engagements récents de l'État, dont le fonds d'urgence de 75 millions d'euros prévus depuis un mois pour indemniser les éleveurs touchés par l'épidémie de fièvre catarrhale ovine (FCO). Elle a annoncé que ce fonds d'urgence, pour le moment prévu pour la FCO de sérotype 3, serait élargi à la prise en compte de la surmortalité découlant de la FCO de sérotype 8.
La veille, la ministre avait présenté à Fabrezan (Aude) deux outils de soutien à la trésorerie des agriculteurs les plus en difficulté, répondant ainsi à une demande forte de l'alliance syndicale majoritaire FNSEA/Jeunes Agriculteurs (JA). Deux types d'aides sont prévues : des prêts à court terme avec une bonification de l'État pour réduire les taux d'intérêt (entre 1,5 et 2%) et des prêts structurels à plus long terme (5 à 7 ans), garantis par l'État à hauteur de 50%. "La viticulture a été à 80% la bénéficiaire des prêts garantis par l'État pendant le covid, il y a eu un deuxième PGE pour rembourser le premier. Pour ce type de situation, un troisième PGE n'a pas de sens ! Il faut restructurer, il faut consolider". C'est à cet objectif que répond ce deuxième type de prêt envisagé", a affirmé Annie Genevard devant les sénateurs.
Les Jeunes Agriculteurs et la FNSEA, qui alertaient depuis plusieurs mois sur l'urgence de débloquer des ressources pour éviter de nombreuses faillites, se sont montrés satisfaits par cette annonce dont ils attendent toutefois les modalités d'ici la fin de la semaine.
Un seul contrôle administratif par an et par exploitation
Enfin, la ministre a rappelé les mesures de simplification destinées à alléger la pression administrative qui pèse sur les exploitations agricoles annoncées fin octobre, dont la mise en place d'un contrôle administratif unique qui a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre datée du 4 novembre. "Parmi les consultations que j'ai menées dès mes premiers jours au ministère, un point revient sans cesse, c'est le désir de simplification, a souligné la ministre, la multiplication des contrôles est vécue comme une défiance par rapport au métier." L'idée est de mettre en place un seul contrôle par an et par exploitation. Une mission interservices est demandée aux préfets pour organiser ce contrôle unique, qui ne vaudra que pour l'administratif, le reste (contrôle judiciaire, fiscal ou relevant du droit du travail) étant exclu du dispositif.
La mesure était vivement attendue par les syndicats, qui la voient comme "une victoire obtenue après les mobilisations de l'hiver dernier". "Même si le texte mérite encore quelques éclaircissements d'ordre pratique, le mécanisme de contrôle unique permettra notamment de prendre en compte la charge calendaire des travaux agricoles, en lien avec la profession agricole, en particulier lorsque des reports de travaux dus aux conditions météorologiques s'imposent", indiquent les Jeunes Agriculteurs et la FNSEA dans un communiqué du 31 octobre, précisant que "le contrôle unique ne doit pas demeurer purement symbolique au risque sinon d'être déceptif tant l'attente du terrain est forte".
La question du Mercosur en suspens
Au-delà de ces mesures et de la construction du budget, la ministre doit gérer la polémique autour du Mercosur. Les négociations autour de cet accord commercial entre l'Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie) ont repris début septembre (voir notre article du 9 septembre 2024). La Commission européenne espère aboutir à la conclusion de cet accord, après vingt-cinq ans de négociation. Alors que l'accord cristallise la colère des agriculteurs, la ministre a redit son opposition mercredi à l'Assemblée : "Pour nous c'est non", a-t-elle martelé. "Si le traité était signé, les importations en provenance des États du Mercosur feraient à nos denrées une concurrence directe ; en outre, elles sont produites grâce à des substances néfastes pour la santé et dont l’usage, à juste titre, nous est interdit", a-t-elle répondu à la députée UDR Sophie Vaginay. Une proposition de résolution a été adoptée le 5 novembre en commission des affaires européennes de l'Assemblée. Signée par plus de 70 députés, le texte formule cinq propositions dont le renforcement de l'inscription dans les textes européens de clauses miroirs. Par ailleurs, une tribune de plus de 200 parlementaires est également parue dans Le Figaro le même jour pour affirmer que "la France peut encore bloquer l'accord UE-Mercosur". Reprenant la tribune, le collectif national Stop Ceta-Mercosur appelle à clarifier publiquement et solennellement la nouvelle position de la France, construire une minorité de blocage, s'opposer au morcellement de l'accord qui supprimerait les droits de veto nationaux et exiger et obtenir un réexamen du mandat dont la Commission dispose. "Le droit de veto, on y travaille activement mais honnêtement c'est très difficile de pouvoir se prononcer, la France est isolée", a déclaré la ministre devant les sénateurs.