Mercosur : les négociations reprennent, suscitant l'ire des syndicats agricoles

Reportées dans le contexte de colère agricole, les discussions entre l'UE et les pays du Mercosur ont repris la semaine dernière. La Commission espère clore en novembre cet accord commercial, après vingt-cinq ans de négociation. Mais, alors que Paris s'était opposé à ce "très mauvais" accord au mois de mars, le défi est de taille pour le nouveau Premier ministre. Les syndicats agricoles ont annoncé la couleur. 

L'"Européen convaincu" qu'est Michel Barnier va devoir gérer deux dossiers brûlants au niveau européen. Derrière la question budgétaire (placée sous surveillance pour déficits excessifs, la France est censée présenter à Bruxelles son plan de redressement des comptes publics avant le 20 septembre, mais elle devrait obtenir un délai supplémentaire) se place la signature de l'accord commercial avec les cinq pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Alors qu'au mois de mars, en plein mouvement de colère agricole, le président de la République avait qualifié l'accord de "très mauvais" et appelé à en bâtir "un nouveau" qui tienne compte des clauses miroirs et des enjeux environnementaux (climat et biodiversité), les discussions ont bel et bien repris la semaine dernière, à Brasilia, sur la base de l'accord politique trouvé en 2019. Et la Commission, qui avait le dossier en suspens pour laisser passer le mouvement de colère agricole et les élections européennes, espère pouvoir parvenir à une signature définitive d'ici au mois de novembre.

"La France n'a jamais retiré son appui au mandat de négociation dont la Commission européenne dispose depuis 1999. Et elle n'a jamais proposé à Bruxelles de reprendre les négociations à zéro", fustige le collectif Stop Ceta-Mercosur, qui a révélé la reprise des négociations la semaine dernière.

"Variable d'ajustement"

Alors que les agriculteurs sont en proie à de graves difficultés conjoncturelles (faibles rendements céréaliers, élevages touchés par des épizooties…), les syndicats ne décolèrent pas. La FNSEA et Jeunes agriculteurs ont une fois de plus le sentiment que les agriculteurs vont servir de "variable d'ajustement". Car si les deux blocs s'engagent à éliminer ou abaisser leurs droits de douane, il n'est qu'à voir la nature de leurs échanges pour comprendre qui en seront les bénéficiaires : 95% des exportations de l'UE vers le Mercosur sont des produits industriels, alors que les produits agricoles représentent 47% des exportations du Mercosur vers l'Europe. S'il venait à être ratifié, cet accord s'accompagnerait par exemple d'un contingent de 99.000 tonnes de viandes bovines sud-américaines (dont 55% de viande fraîche et 45% de viande congelée), à un droit de douane préférentiel de 7,5%. Soit bien plus que "les lignes rouges" que l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Travert avait fixées en 2018, précisant alors qu’un quota de 70.000 tonnes en provenance du Mercosur n’était "pas soutenable pour le marché français". C’était quelques mois avant l'accord de principe trouvé entre les deux blocs, en 2019... après 23 années de négociation. 

Absence de clauses miroirs

"Les mobilisations historiques des agriculteurs européens de janvier 2024 avaient pourtant mis en lumière la question des distorsions de concurrence dans tous les débats", soulignent les deux syndicats, qui déplorent l'absence de clauses miroirs sur les normes environnementales et sociales, créant "de facto une concurrence déloyale" pour les agriculteurs européens. Ils observent par ailleurs que ces discussions reprennent au moment où les travaux du dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture européenne publiés la semaine dernière (voir notre article du 4 septembre) "mettent en évidence la nécessité d’une plus grande cohérence entre la politique commerciale de l’Union européenne et sa politique de durabilité". "Or, comment est-il possible de parler de durabilité sans clauses miroirs strictes ? Sans prendre en compte les évolutions normatives (Green Deal) et géopolitiques (guerre en Ukraine) en repartant d’un projet d’accord validé en 2019 ?", interrogent-ils. Rappelant au nouveau Premier ministre son passé de ministre de l'Agriculture du gouvernement Fillon et d'ancien commissaire au marché Intérieur, la Confédération paysanne met elle aussi "la fin des accords de libre-échange" dans le panier de ses revendications, lui demandant d'être "reçue en urgence".

Accès aux métaux critiques

Seulement, la Commission, qui a déjà le soutien de 11 Etats dont l'Allemagne, entend faire valoir d'autres enjeux que l'agriculture, notamment l'accès aux gisements de métaux critiques, indispensables pour la fabrication de batteries électriques par exemple, dans un contexte géopolitique particulièrement instable. "C'est donc au nom de la France et des 26 autres État membres que la Commission poursuit les négociations. Et celle-ci serait désormais prête à mettre en minorité les États européens s'opposant à l'accord, dont la France, pour que l'accord puisse être ratifié une fois finalisé", souligne le collectif Stop Ceta-Mercosur. Alors que le gouvernement sortant s'était refusé à mettre à l'ordre du jour de l'Assemblée le projet de loi autorisant la ratification du Ceta (le traité de libre-échange entre le Canada et l'UE) - texte rejeté par le Sénat le 21 mars - un nouveau passage en force serait du plus mauvais effet.

 

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