Finances locales - Cour des comptes : la réforme territoriale ne générera pas nécessairement d'économies
La réforme territoriale ne simplifie ni l'organisation, ni la répartition des compétences des collectivités territoriales, critique la Cour des comptes dans son rapport annuel sur les finances publiques locales, que le premier président a présenté ce 11 octobre. Loin des économies promises par l'ancienne majorité, il existe des "risques de surcoûts pérennes" que devront assumer les collectivités. Dans cet état des lieux de plus de 500 pages - annexes comprises - la Cour s'attarde aussi sur les dépenses sociales des départements ou encore sur la qualité des comptes publics locaux.
La réforme territoriale conduite sous le précédent quinquennat n'a pas allégé le mille-feuille territorial, critique la Cour des comptes dans la cinquième édition de son rapport sur les finances publiques locales rendu public ce 11 octobre. Contrairement aux ambitions initiales, le département subsiste et une nouvelle couche a été ajoutée avec les territoires et les établissements publics territoriaux, respectivement dans les métropoles d'Aix-Marseille-Provence et du Grand Paris, remarquent les magistrats.
Les régions et les intercommunalités ont en moyenne une superficie beaucoup plus grande, ce qui les oblige à créer des structures territorialisées et pose pour certaines d'entre elles des difficultés de gouvernance. La nouvelle répartition des compétences "demeure compliquée", juge aussi la Cour. La suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, qu'elle considère comme une "avancée", aurait pu conduire à plus de lisibilité. Mais les départements ont finalement conservé des marges d'action, par exemple via leur nouvelle mission de solidarité territoriale.
De nombreux surcoûts
Seule la métropole de Lyon, fusion de l'intercommunalité et du département, a permis de réduire le mille-feuille, estime la Cour. Mais avant d'appliquer la même recette à d'autres agglomérations, il conviendrait d'effectuer un bilan de l'expérience, souligne-t-elle. Soucieuse de simplification, l'institution de la rue Cambon prône également "une simplification du cadre juridique de l'intercommunalité". Elle remarque sur ce plan que la distinction entre les catégories juridiques des communautés de communes et d'agglomération a beaucoup perdu de sa pertinence.
Conformément aux objectifs, la réforme territoriale générera à moyen et long terme des économies d’échelle s'agissant par exemple des personnels, des achats et de la gestion des bâtiments. Mais il faudra pour cela "une démarche volontariste des exécutifs locaux" dans le but de "tirer parti des possibilités de rationalisation et de mutualisation offertes", prévient la Cour. Pour qui, à court terme, les économies "seront sans doute faibles et ne compenseront pas les surcoûts de transition". Dans le cas de la fusion des régions, ces dépenses sont liées, par exemple, à l'harmonisation des rémunérations et des temps de travail des agents, à la convergence des politiques publiques, à l'adaptation des systèmes d'information et à la réorganisation des implantations immobilières. Des coûts liés à la communication sur la réforme sont aussi pointés. "Dans les Hauts-de-France, le seul renouvellement du pelliculage des TER coûte 30.000 euros par train, soit 10 millions d'euros au total".
Prolonger la baisse des dotations
La Cour ayant bouclé son rapport fin juin, elle ne se prononce pas sur le lancement par le nouvel exécutif de la conférence nationale des territoires intervenue le 17 juillet dernier. Mais on peut imaginer que ce nouvel espace de discussion répond au vœu formulé par la Cour de voir le dialogue entre l'Etat et les élus locaux renforcé "au sein d'une instance dédiée". Elle pointe la nécessité de renforcer la concertation sur la trajectoire financière des collectivités et le coût des nouvelles normes conçues par les ministères.
La Cour a également achevé son rapport trop tôt pour évoquer les contrats que l'exécutif entend passer avec les plus grandes collectivités dans l'optique de réguler leurs dépenses. Sur la question de la participation du secteur public local au redressement des finances publiques, elle a un avis tranché, déjà exprimé dans son rapport de juin dernier sur la situation et les perspectives des finances publiques. La Cour juge qu'il faut poursuivre la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités. Cette baisse devrait toutefois être adaptée pour tenir compte des efforts de gestion déjà accomplis et de "la diversité des niveaux de richesses et de charges". Pour les magistrats, il faut enclencher en parallèle la réforme des concours financiers de l'Etat, maintes fois reportée au cours de ces dernières années. "Plus que jamais nécessaire", cette mesure devrait selon eux aboutir à baisser la part des dotations forfaitaires (les plus inéquitablement réparties) et à augmenter celle des dotations de péréquation.
Fiabilité des comptes : trop d'anomalies
Après avoir dressé dans ses rapports de 2013 et de 2015 sur les finances publiques locales un sévère état des lieux de la qualité et de la fiabilité des comptes publics locaux, la Cour en remet une couche. Repérant "des anomalies persistantes dans les comptes des collectivités", elle estime qu'"il reste beaucoup à faire" dans ce domaine. "Les règles budgétaires et comptables de séparation des exercices, de prudence ou d’image fidèle du patrimoine" restent insuffisamment appliquées, détaille-t-elle. "Le développement des procédures de suivi des engagements par des contrôles internes plus rigoureux, voire l’intervention de contrôles externes, permettrait de remédier à des anomalies encore fréquentes dans ce domaine", poursuit-elle. Une nouvelle fois, elle critique une connaissance "lacunaire, voire inexistante" par les collectivités de leur patrimoine.
Les dépenses sociales départementales s'envolent
"La situation budgétaire des départements se redresse", observe la Cour. Mais les dépenses sociales, qui ont augmenté de 25% entre 2010 et 2016 et représentent désormais la moitié de leurs frais de fonctionnement demeurent un fardeau financier. Certains départements ont trouvé des solutions permettant de limiter leur progression. La Cour cite "des bonnes pratiques en matière de maîtrise des effectifs, d’organisation des services sociaux […], des systèmes d’information, de recouvrement des participations des bénéficiaires et de développement des contrôles". En outre, elle préconise un renforcement de la péréquation des recettes fiscales entre les départements les plus riches et ceux qui sont le moins favorisés. Mais, même avec la mise en œuvre de ces diverses solutions, "à terme, le financement des dépenses sociales n’est pas assuré", alerte la Cour. En clair, il faudra "remettre sur la table" la réforme consistant à recentraliser le financement du RSA. L'Etat et les présidents de départements, qui doivent engager dans les mois qui viennent des discussions sur ce sujet, sont prévenus (voir à ce sujet ci-dessous notre article de ce jour).
Outre-mer : la gestion des personnels critiquée
La Cour s'inquiète aussi des difficultés financières des départements d'outre-mer. Son diagnostic : "Les deux tiers des 136 collectivités de Guadeloupe, Guyane, Martinique et de la Réunion connaissent une situation financière fragile, dégradée ou critique". Cette situation est pourtant paradoxale, car les collectivités en question disposent de ressources élevées. Problème : leurs budgets sont grevés par des dépenses de personnels plus élevées qu'en métropole. Les sureffectifs et des rémunérations généreuses sont en cause. Ces choix nuiraient à la qualité des services publics. "Les services publics d’eau potable, d’assainissement et de gestion des déchets rencontrent d’importants problèmes d’exploitation", s'alarme la Cour. Qui préconise par conséquent une gestion plus rigoureuse des dépenses de fonctionnement, qui permettra de muscler les investissements.
Si certaines recommandations, comme la poursuite de la baisse des dotations et de la maîtrise des effectifs de la fonction publique territoriale, devraient être accueillies plutôt froidement par les associations d'élus locaux, celles-ci se réjouiront en revanche de voir la Cour partager certaines de leurs demandes, comme l'engagement de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation et l'élaboration d'un projet de loi de financement des collectivités territoriales.
Une situation financière en voie d'amélioration, mais des fragilités demeurent
Après quatre années de baisse des dotations de l'Etat, la situation financière globale du secteur public local ne s'est pas significativement dégradée, relève la Cour. Les collectivités, constate-t-elle, ont réagi par une maîtrise résolue en 2016 de leurs dépenses de fonctionnement, en particulier leurs charges de personnels. Pour leur part, les départements ont aussi bénéficié d'un regain de recettes, du fait de l'augmentation par certains d'entre eux des taux de la taxe foncière.
En 2017, les dépenses des collectivités territoriales devraient repartir à la hausse (Bercy table sur +1,6 %). Les collectivités n'auront pas relâché leurs efforts, mais ont dû appliquer des décisions de l'Etat auxquelles leurs représentants ont été peu, voire pas du tout associés. Selon la Cour, "l'impact net" en 2017 de ces mesures sur les budgets des collectivités locales "pourrait s’élever au minimum à 1 milliard d'euros". La revalorisation du point d'indice de la fonction publique et l'application des mesures sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) comptent pour beaucoup dans cette évolution. Toutefois, les collectivités dans leur ensemble pourront faire face à ces dépenses : grâce au dynamisme des produits des impôts directs locaux, les collectivités locales devraient "disposer en 2017 d’un surcroît de ressources de 1,9 milliard d'euros". Autre point positif : l'amélioration de l'épargne brute de toutes les catégories de collectivités territoriales créerait un climat propice à une reprise de l'investissement.
La Cour n'en rappelle pas moins que "la situation financière des trois catégories de collectivités reste fragile" et qu'à l'intérieur de chaque niveau, il existe une grande diversité de situations.