Finances publiques - Cour des comptes : investir, oui... mais sans faire déraper la dépense

La Cour des comptes estime qu'il existe des "risques réels" de dérapage des dépenses publiques en 2015 et appelle à "une intensification des réformes structurelles et des efforts d'économies" en cours d'année.
"La Cour relève que des risques et incertitudes continuent de peser sur la trajectoire des finances publiques retenue par les pouvoirs publics pour 2015 d'une part, pour 2016 et 2017, d'autre part", a détaillé ce mercredi 24 juin le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors d'une audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. Didier Migaud présentait le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, dans lequel la Cour évalue le dérapage possible des dépenses entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros, portant selon elle "principalement sur les missions Travail et emploi, Solidarité et insertion et Défense". "Ces tensions sont plus fortes en 2015 qu'en 2014", a précisé Didier Migaud, qui a rappelé que l'effort sur le déficit public (de 4% du PIB en 2014 à 3,8% du PIB en 2015) restait "faible au regard de la situation économique, celle d'une certaine reprise de la croissance". Il sera "en tout cas bien insuffisant pour stabiliser la dette qui pourrait atteindre 97% du PIB".
La Cour affirme que "le déficit public pourrait se situer autour de l'objectif du programme de stabilité, de 3,8% du PIB en 2015, à condition que le pilotage des dépenses soit particulièrement strict". "Nous n'avons pas d'inquiétude particulière à ce stade de l'année, pas de raison de s'inquiéter" sur la tenue de la norme de dépense, a réagi le ministère des Finances, évoquant une gestion tendue "classique" en milieu d'année.
Selon la Cour, le dérapage des dépenses est surtout à surveiller pour l'Etat… et les collectivités territoriales. Le rapport souligne toutefois que le besoin de financement des collectivités locales "s'est redressé" de -8,5 milliards d'euros en 2013 à -4,5 milliards d'euros en 2014. Le secteur public local a ainsi contribué à la réduction du déficit public et ce, principalement du fait de la réduction de ses investissements. Mais la situation financière des collectivités se détériore. Signe très négatif : l'épargne brute est en recul pour tous les niveaux de collectivités. En outre, en 2015, les dépenses de fonctionnement des collectivités doivent continuer à progresser, de 1,8% selon le programme de stabilité. Mais cette estimation est "entourée de fortes incertitudes", relève la Cour.

Baisse de l'investissement : à analyser avec précaution

Dans un chapitre consacré à l'investissement public, la Cour recommande que soit mieux évaluée la pertinence des investissements publics avant le lancement des projets. Ceux-ci "devraient prioritairement être choisis en fonction de leur impact à long terme sur les capacités de production des entreprises (le PIB potentiel), les conditions de vie des ménages ou la productivité des administrations", indique-t-elle à ce sujet.
S'agissant des dépenses d'investissement des collectivités locales, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) va permettre "une première avancée", estime la Cour. L'article 30 prévoit, en l'état de la discussion, que pour toute "opération exceptionnelle d'investissement" dont le montant est supérieur à un seuil qui sera fixé par décret en fonction de la catégorie et de la population de la collectivité ou de l'établissement, l'exécutif d'une collectivité territoriale ou d'un groupement devra présenter à son assemblée délibérante "une étude relative à l'impact pluriannuel de cette opération sur les dépenses de fonctionnement". Pour répondre notamment à cette nouvelle obligation, "une mutualisation des moyens d'évaluation dans des entités se situant à un niveau supérieur, par exemple au niveau régional, pourrait être utile, leur avis restant consultatif", indiquent les magistrats financiers.
Selon eux, "les investissements publics, y compris les subventions d'investissement, sont principalement portés par les administrations publiques locales (44% du total en 2014) et par l'Etat et ses opérateurs (47% du total)". Les organismes de Sécurité sociale sont à l'origine du dixième des investissements publics. Ainsi, la part de l'investissement local dans l'investissement de l'ensemble des administrations publiques "est restée stable, à référentiel constant, depuis plus de 30 ans si l'on exclut les effets de la décentralisation et les variations annuelles liées au cycle électoral communal".
La Cour se veut rassurante sur le niveau de l'investissement public en France. A 4,5% du PIB, il est plus élevé que dans la plupart des pays d'Europe en 2014 (3,3% du PIB de la zone euro). De plus, son évolution en volume de 2008 à 2014 "a été à peu près stable en France (sauf en 2014) alors qu'elle a été négative en moyenne dans la zone euro".
Mais l'investissement public local "a chuté" de près de 10% en 2014 par rapport à 2013, ajoute la Cour. "Cette diminution est sans précédent depuis plus de 30 ans". Pour autant, la Cour invite à lire ce chiffre avec précaution, certaines méthodes d'analyse conduisant plus que d'autres à aggraver le résultat (voir l'annexe 4 du rapport).
Alors que des économistes et des responsables politiques, y compris locaux, appellent à soustraire l'investissement public des dépenses et du déficit publics pour le préserver des contraintes budgétaires, parce qu'il permettrait de soutenir l'activité économique, la Cour recommande de ne pas changer les règles actuelles. Elle redoute notamment qu'une nouvelle comptabilisation de l'investissement n'ouvre la voie à d'autres réformes, conduisant à "vider la notion de déficit public de son sens". De plus, la spécificité de l'investissement public serait déjà prise en compte par les règles européennes.