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Finances publiques - Cour des comptes : impliquer les collectivités dans la maîtrise des déficits

Le jour où le gouvernement présentait son nouveau projet de loi de finances rectificative, le rapport annuel de la Cour des comptes est venu appeler à un effort accru de réduction du déficit. Un effort qui, estime la cour, doit aussi concerner les collectivités, y compris par le biais des dotations. Ce rapport explore par ailleurs des champs spécifiques des politiques publiques : sous-préfectures, communes balnéaires, prime à l'aménagement du territoire, fonds social européen, gestion des ressources humaines dans les collectivités...

Le gouvernement présentait ce 8 février en Conseil des ministres son nouveau projet de loi de finances rectificative (PLFR). Le premier de 2012, mais le cinquième de la série des PLFR de 2011 venus traduire les plans d'austérité successifs. Un texte qui inclut une partie des annonces du chef de l'Etat du 18 janvier, dont celle du relèvement du taux de TVA et la constitution d'une "nouvelle banque de l'industrie" (l'annonce d'une hausse de 30% des droits à construire faisant quant à elle l'objet d'un projet de loi distinct, également présenté en Conseil des ministres). Bercy en profite pour "ajuster" son hypothèse de croissance (qui passe de 1% à 0,5%), tout en assurant que les effets de cet ajustement sur le déficit sont "strictement compensés par l'impact sur 2012 d'un déficit 2011 meilleur que prévu"… et que l'objectif de 4,5% de déficit public pour 2012 pourra ainsi être tenu. Les nouvelles prévisions du gouvernement font en revanche état d'une dette publique qui devrait se porter à 89,1% du PIB en 2012, contre 88,3% attendus jusqu'ici, puis atteindre un pic à 89,3% en 2013.
Mais voilà que la Cour des comptes avait choisi ce même 8 février pour présenter son rapport annuel et appeler à un effort accru et "difficile" de réduction du déficit public, tout en critiquant la stratégie du gouvernement avec sa série de plans d'austérité : la croissance pourrait en effet "être affectée par une succession de plans de redressement décidés au fur et à mesure des révisions à la baisse de la croissance", risquant d'affoler les ménages et les entreprises en bridant leurs investissements.
Certes, la cour salue le travail engagé en 2011 pour redresser les comptes publics : "L'effort programmé pour 2012 est plus important et n'a été dépassé que deux fois au cours des vingt dernières années." "Il suppose toutefois un ralentissement des dépenses qui n'est pas totalement acquis", met-elle en garde, jugeant que des "mesures complémentaires" pourraient s'avérer nécessaires "en cours d'année". Elle estime aussi que l'objectif visant à ramener le déficit à 4,5% du PIB cette année reste "difficile à atteindre".
L'effort préconisé "doit concerner toutes les entités publiques – Etat, Sécurité sociale, collectivités territoriales – et à la fois les dépenses et les recettes, mais davantage les dépenses que les recettes, en raison du niveau déjà atteint par les prélèvements obligatoires", a précisé mercredi Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, en présentant à la presse son rapport… de 1.600 pages. Selon lui, la maîtrise des dépenses publiques "suppose de prendre des décisions très difficiles allant très au-delà de ce qui a été arrêté à ce jour". A titre d'exemple, la cour cite une prolongation, au-delà de 2012, du gel de la valeur du point de la fonction publique.

Maintenir le gel des dotations... voire les baisser

"Le gouvernement s'est fixé pour 2012 un objectif de limitation de la croissance de la dépense publique à 0,8% […]. Pour respecter l'objectif fixé, les dépenses des collectivités locales doivent aussi ralentir, ce qui n'est pas certain", peut-on lire dans la première partie du rapport. Un rapport qui, sans se prononcer avec précision sur les méthodes permettant d'y parvenir, n'a de cesse d'insister sur cette maîtrise de "la dynamique des dépenses locales", même s'il reconnaît que "les finances locales pèsent peu dans la dégradation globale des finances publiques" et que l'endettement des collectivités "apparaît dans l'ensemble bien maîtrisé". Deux chiffres sont cités : une hausse annuelle des dépenses locales, hors transferts de compétences, "de 3,6% en moyenne entre 1999 et 2009", et une hausse des prélèvements obligatoires locaux, "passés de 4,9 à 6,2% du PIB entre 2002 et 2009".
Dans ce cadre, la cour estime que "la masse salariale" des collectivités devrait être "davantage maîtrisée" - d'où un chapitre consacré à la gestion prévisionnelle des ressources humaines dans les collectivités (voir ci-dessous) - et préconise "une meilleure articulation entre les moyens dont disposent les communes et ceux dont disposent les structures intercommunales".
Soulignant que l'impact sur les dépenses publiques du gel en valeur des concours sous enveloppe de l'Etat aux collectivités reste faible, la cour estime qu'il faut aller plus loin : "Le mouvement de stabilisation en valeur puis de réduction des dotations de l'Etat aux collectivités locales, seul outil de régulation actuellement disponible, devra être poursuivi au-delà de 2012", écrit-elle.
Plus globalement, elle semble en fait considérer que la courbe des dépenses locales s'aplatira d'elle-même du fait des nouvelles contraintes pesant sur les collectivités. On lira ainsi que la hausse des investissements locaux "pourrait être un peu moins rapide en raison des difficultés de financement des collectivités locales". Ou encore que le gel des dotations aux collectivités, "conjugué à la limitation depuis 2010 de leur pouvoir de vote des taux des impôts locaux et au renchérissement probable du coût de leurs emprunts, devrait les inciter à se donner les moyens de mieux maîtriser que par le passé la progression de leurs dépenses."
Au-delà de la partie de son rapport consacrée à la situation d'ensemble des finances publiques, un tome est comme chaque année consacré aux observations et recommandations de la cour dans une série de domaines spécifiques et un autre aux suites ayant pu être données aux recommandations passées. Avec, cette année, de nombreux sujets étroitement liés aux collectivités locales et/ou à l'aménagement du territoire : la décentralisation ferroviaire (voir ci-contre notre article dédié), le logement social (voir également notre article dédié), les sous-préfectures, les communes balnéaires en Languedoc-Roussillon, la prime à l'aménagement du territoire, le fonds social européen… et, donc, la gestion prévisionnelle des emplois dans la fonction publique territoriale. Revue de détail.

Mieux anticiper les évolutions concernant les agents territoriaux
La gestion prévisionnelle des ressources humaines (GPRH) permet à une collectivité territoriale d'anticiper les évolutions de ses besoins en personnel. Dans ce domaine, les collectivités peuvent mieux faire dans l'ensemble, même si certaines se montrent à la pointe. Elles auraient tout intérêt à en faire davantage usage, non seulement pour améliorer l'efficacité de leurs politiques, mais aussi parce qu'elles pourraient trouver dans cet ensemble de méthodes un gisement important d'économies. Dans les 30 pages qu'elle a tirées d'une enquête auprès de 79 organismes du secteur public local, la Cour des comptes tente de sensibiliser les collectivités à ces enjeux. Elle se fait l'écho de nombreuses bonnes pratiques issues du terrain et détaille les outils qui lui paraissent fondamentaux : fiches de postes, répertoire des métiers et des compétences, tableaux de bord, logiciels de gestion, plans de formation, etc. Parmi ses 13 recommandations, elle préconise d'"organiser l'évaluation systématique des agents".

Redonner un coup de jeune aux sous-préfectures
Le réseau des 238 sous-préfectures a pris un coup de vieux, dénonce la Cour des comptes, qui appelle à leur donner une nouvelle jeunesse. L'arrondissement est "une circonscription qui a perdu sa consistance administrative en raison de la décentralisation et de la réorganisation de l'administration de l'Etat", expliquent les juges. En outre, les sous-préfectures perdent progressivement leurs fonctions traditionnelles, comme le contrôle de la légalité et la délivrance des titres officiels. Face à cela, une directive nationale d'orientation de 2010 a érigé toutes les sous-préfectures en administrations de mission. Cette rénovation "n'est, en réalité, que la réaffirmation d'une compétence généraliste", critique la cour. "Une évolution plus différenciée des sous-préfectures aurait pu être expérimentée, avec, par exemple, […] la transformation sélective, et non pas systématique, de sous-préfectures en administration de mission […] et le maintien de sous-préfectures de plein exercice dans les arrondissements principaux", analyse-t-elle. Celle-ci préconise d'adapter la carte des arrondissements "aux réalités sociodémographiques et administratives actuelles", de "mettre les périmètres des arrondissements urbains en adéquation avec les métropoles et des arrondissements péri-urbains avec les intercommunalités d'agglomération". Enfin, pour les magistrats, il faut "sortir de situations indécises sur l'avenir des arrondissements et sous-préfectures les plus petits, en examinant leur situation concrète et en assurant la viabilité des sites maintenus".

FSE : du mieux mais des financements encore trop dispersés
L'utilisation du fonds social européen (FSE) s'est améliorée en France au cours de l'actuelle programmation mais des progrès restent à faire, estime la cour. Le FSE avait déjà été audité en 2006 et plusieurs recommandations d'alors ont été suivies d'effets, se félicite la rue Cambon. Des réformes à mettre aussi bien au crédit de la France que de l'Europe et qui se sont traduites par une simplification des procédures, véritable casse-tête des acteurs de l'emploi et de l'insertion. Les délais de versement des aides ont été réduits même s'ils restent très élevés, avec une moyenne de 200 jours. L'évaluation du dispositif s'est aussi renforcée. "Le devenir des bénéficiaires des actions financées commence à être connu", relève la cour de façon laconique. Pour autant, la France peine toujours a assigner une véritable stratégie au FSE. Alors que la tendance en Europe pousse à une concentration des crédits sur quelques priorités et quelques acteurs, la France a fait le choix inverse en recourant abondamment à la "subvention globale". En effet, 84% de l'enveloppe française a été confiée aux préfets qui peuvent eux-mêmes décider d'en déléguer jusqu'à 60% à des organismes intermédiaires. Au début de la programmation 2007-2013, plus de 300 organismes intermédiaires ont ainsi été agréés en métropole, "dont 22 régions, 57 départements, 38 OPCA (organismes collecteurs des fonds de la formation professionnelle), 171 Plie (plans locaux pour l'insertion par l'emploi) et une trentaine d'autres organismes". A titre de comparaison, l'Angleterre ne dispose que de 50 organismes intermédiaires et le Portugal n'en a que 10, pour une enveloppe comparable. Toutefois, un travail de concentration a été entrepris qui commence à porter ses fruits : le nombre de Plie à statut d'organisme intermédiaire a été ramené à 99. Par ailleurs, les OPCA n'ont plus ce statut. C'est désormais le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), créé en 2009, qui joue ce rôle. "Cet effort de réduction du nombre d'organismes intermédiaires doit être poursuivi au cours de la prochaine programmation et s'accompagner en particulier d'une rationalisation de l'intervention des plans locaux d'insertion par l'emploi et des conseils généraux en matière d'insertion", estime la cour.
Il reste que le nombre de bénéficiaires finaux (collectivités, réseaux associatifs, Plie, etc.), lui, ne cesse d'augmenter. Ils étaient 9.000 lors de la précédente programmation et sont désormais plus de 10.000 dont plus de la moitié ont reçu une aide inférieure à 50.000 euros. Ce qui, selon les magistrats, "fragilise la sécurité de la gestion compte tenu de la complexité et de la lourdeur des règles de justification des crédits européens". Si le coût de gestion d'un dossier FSE par les Direccte est estimé à 3.000 euros, la cour demande une enquête approfondie des coûts globaux impliquant l'ensemble des intermédiaires. Une demande déjà formulée dans son précédent rapport mais restée lettre morte.

La PAT brisée
La Cour des comptes réclame la disparition de la prime d'aménagement du territoire (PAT) qui ne trouve plus de justification à ses yeux. Cinq ans après son audit choc sur les 6.000 aides publiques aux entreprises dont le montant était évalué à 65 milliards d'euros, elle revient à la charge. Entre 2006 et 2009, pas moins de 36 mesures nouvelles sont notifiées chaque année à la Commission sans que soit évaluée leur efficacité, rappelle-t-elle. S'agissant de la PAT, dont c'est ici le troisième contrôle depuis son instauration en 1982, la cour a passé au peigne fin les quelque 400 dossiers instruits par la Datar entre 2005 et 2009. Conclusion : "De nombreuses négligences et anomalies qui remettent en cause le maintien du dispositif dans son ensemble."
Tout d'abord, la PAT ne touche pas sa cible. Les cinq régions les plus riches hors Ile-de-France (Rhône-Alpes, Paca, Nord-Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire et Aquitaine) concentrent plus de 41% de l'aide attribuée, "ce qui paraît contradictoire avec l'incitation à l'aménagement des zones déshéritées". La cour dénonce l'absence de réelle évaluation, des saupoudrages, une dilution des crédits découlant d'un zonage en dentelle et, pour finir, l'inadaptation de l'aide aux enjeux de ré-industrialisation et de revitalisation en raison de son trop faible montant, soit 40 millions d'euros par an. Un chiffre mis en parallèle avec les deux milliards d'euros que les collectivités dépensent chaque année pour les entreprises.
Résultat : un nombre important de projets primés non réalisés et un effet d'aubaine. "Sur les 38.625 emplois soutenus de 2005 à 2009, seuls 11.900 emplois seraient imputables à la prime", estime la cour. "Dans bien des cas, il apparaît que les entreprises bénéficiaires de la prime auraient engagé leur programme d'investissement même sans son attribution." Quant à la PAT "recherche", elle n'a plus vraiment de raison d'exister depuis le lancement du crédit impôt recherche (CIR) qui représente plus de 89,4% des aides à la recherche, contre 0,1% pour la PAT.
La cour va jusqu'à dénoncer certaines formes de clientélisme. La souplesse dans les critères d'attribution de la PAT "permettant de tenir compte des aléas de la conjoncture économique, mais aussi, parfois, de pressions politiques locales".
Le ministre de l'Aménagement du territoire, Bruno Le Maire, réfute un à un les arguments de la cour. A commencer par celui des doublons avec les aides des collectivités. Ces dernières ne "se déterminent le plus souvent sur les dossiers qu'au regard de la position que l'Etat prend sur l'attribution d'une PAT. C'est ainsi qu'on obtient l'enchaînement vertueux PAT, fonds des collectivités, fonds européens, concours bancaires", fait-il valoir.

Errements de communes balnéaires en Languedoc-Roussillon
Des règles d'urbanisme fréquemment transgressées et des activités touristiques souvent mal maîtrisées, telles sont les constatations du rapport 2012 de la Cour des comptes dans les communes balnéaires en Languedoc-Roussillon. De Gruissan à Canet-en-Roussillon en passant par Le-Grau-du-Roi, Agde ou Palavas-les-Flots, l'analyse porte sur une quinzaine de stations du littoral de cette région, quatrième destination touristique française ayant accueilli 15 millions de touristes en 2010. Même si elles bénéficient "d'une relative aisance financière", ces communes ont du mal à faire respecter les règles d'urbanisme. Deux phénomènes ont été jugés préoccupants : les constructions d'habitations légères sans permis et les constructions en zones inondables. "Désignée localement par le terme de cabanisation", ces installations d'habitations légères de loisirs ont été réalisées "au mépris des dispositions de la loi Littoral de 1986", souligne le rapport, citant en exemple le cas de la commune de Vias (Hérault) où plus de 3.500 cabanons et mobil- homes occupent une superficie d'environ 200 hectares étalée sur 3,5 km. De plus, de telles constructions n'entrent pas dans l'assiette de la taxe foncière, pas plus que dans celle de la taxe d'habitation ou de la taxe locale d'équipement. Les constructions en zone inondable sont nombreuses : au Grau-du-Roi, le plan de prévention des risques d'inondation n'a toujours pas été adopté ; à Agde, un permis de construire accordé n'a pas respecté les prescriptions du plan de prévention des risques naturels…
Concernant la mauvaise gestion des activités touristiques, les concessions de plages sont dans le collimateur, comme les paillotes de La Grande Motte ou du Grau-du-Roi et leurs activités non autorisées : vente de vêtements, repas d'affaires, mariages, discothèques... En outre, ces commerces ne représentent pas une source de revenus suffisante pour les villes par rapport aux sommes engagées pour l'entretien des plages.
Des irrégularités fréquentes sont signalées dans la gestion des ports de plaisance. Deux exemples de gestion déléguée, Argelès-sur-Mer et Agde, posent problèmes. Dans le premier cas, la durée de la convention d'affermage a été fixée à 40 ans, "une durée excessive, presque double de la moyenne nationale du secteur", note la cour. Dans le second, le contrat a été conclu pour 15 ans mais "la commune n'a pas créé de budget annexe permettant de retracer l'activité du port de plaisance, considérant, à tort, que la seule production du compte du délégataire suffisait". Pour les ports en gestion directe, plusieurs sites (dans l'Hérault par exemple) "sont exploités en régie simple, sans personnalité morale ni autonomie financière, ce qui est irrégulier".
Le chapitre sur les casinos donnent des informations relatives aux prélèvements sur les produits des jeux, la participation des casinotiers à l'animation culturelle et artistique ("force est de constater que cette participation reste très faible, qu'il s'agisse de subventions versées - souvent directement - à l'office du tourisme ou de dépenses d'animation") et du contrôle exercé par les communes. Sur ce point encore, le constat est sévère : "Faute de comptes rendus d'activités précis, les contrôles […] sur l'exécution de leurs obligations par les casinotiers sont soit inexistants, soit inopérants." Les relations entre ces deux partenaires sont délicates : "Attirées par les retombées budgétaires et économiques, les communes consentent ainsi fréquemment aux casinotiers des facilités en méconnaissance des textes applicables, et elles ne disposent pas de la capacité d'expertise nécessaire à des relations équilibrées."