Contrats de filière lecture État-région : l'âge de raison et des évolutions
Dix ans après la signature du premier contrat de filière lecture entre une région, une Drac et le Centre national du livre, ce dispositif couvre presque tout le territoire national. S'il est en voie de réussir sa mission d'aide à la librairie, il s'étend désormais à de nouveaux enjeux.
Et de onze ! Avec la signature d'une nouvelle convention, le 21 février 2024, entre le conseil régional, la direction régionale des affaires culturelles (Drac) des Hauts-de-France et le Centre national du livre (CNL), il existe désormais onze contrats de filière lecture entre l'État et les régions. En métropole, seuls l'Île-de-France et les Pays de la Loire manquent encore à l'appel, et les discussions sont en bonne voie avec le territoire ligérien.
Si la plus grande partie de la métropole est couverte – ainsi que La Réunion pour l'outre-mer –, il n'en demeure pas moins que cette couverture aura été longue à se mettre en place. Cela fait en effet dix ans que le premier contrat de filière lecture a été signé. C'était en 2014, dans le Centre-Val-de-Loire. Dix années durant lesquelles ces conventions ont évolué. Et si elles demeurent à géométrie variable, la tendance est à l'élargissement de leur périmètre.
Un dispositif pour les exclus des dispositifs
"L'idée de base, explique Édith Girard, responsable du pôle lecture, action territoriale et internationale du CNL, était de venir en aide à des territoires moins couverts par nos dispositifs nationaux en faveur de l'accompagnement des acteurs de la chaîne du livre." Parmi les quelque vingt-quatre dispositifs portés par le CNL, beaucoup s'appuient en effet sur des critères qui excluent de nombreux acteurs, à commencer par les petites librairies indépendantes n'atteignant pas un chiffre d'affaires déterminé. "Nous souhaitions flécher prioritairement des financements vers ces acteurs, complète Édith Girard, mais aussi donner un effet levier aux crédits d'investissement ou de fonctionnement portés par les régions."
Cette collaboration est par ailleurs la seule que le CNL entretient directement avec des collectivités, en l'occurrence, les régions. Pourquoi ces dernières ? Car elles détiennent une compétence en matière économique et que l'ambition des contrats de filière est bien d'aider économiquement la chaîne du livre – librairies, éditeurs et auteurs, voire traducteurs et diffuseurs –, un secteur particulièrement fragile.
Des aides à la carte pour chaque acteur
En 2013, le ministère de la Culture avait lancé un plan volontariste en faveur de la librairie indépendante. Un an plus tard, les contrats de filière lecture ont permis de franchir un nouveau pas. Leur principe est simple : ils reposent sur la signature d'une convention tripartite entre la région, la Drac et le CNL. Financièrement, ils s'appuient sur un équilibre qui revient à une participation peu ou prou paritaire entre l'État (Drac et CNL) et la région. Selon les cas, les sommes peuvent varier. En Normandie, la part du CNL s'élève à 70.000 euros par an, tandis qu'elle se monte à 180.000 euros pour l'Occitanie. Raison invoquée : le nombre d'acteurs de la chaîne du livre est plus important dans cette dernière, qui abrite notamment 10% des librairies labellisées de France.
Avant de décider des montants d'aides, chaque contrat est, depuis 2022, systématiquement précédé d'un diagnostic permettant de mieux connaître l'état de la filière dans la région et, partant, de mieux rédiger la convention et d'en établir les priorités. C'est aussi l'occasion pour chaque acteur de fixer le cap et la hauteur de ses propres engagements. En Auvergne-Rhône-Alpes, le cofinancement tripartite ne porte que sur l'aide aux libraires, tandis que la Drac et la région financent de leur côté les maisons d'édition. Les régions peuvent encore choisir d'y ajouter des aides spécifiques qu'elles vont financer seules. C'est ainsi que le montant global de la convention de la Nouvelle-Aquitaine, qui s'étend à toute l'économie du livre à l'exception des manifestations littéraires, s'est établi à 1,3 million d'euros pour 2023.
Dimension de pilotage
Au fur et à mesure du temps, ces conventions se sont donc dotées d'autres dispositifs que le seul accompagnement de la libraire. "On a voulu donner une plus grande dimension de pilotage, d'outil d'aide à la décision, à ces conventions, commente Édith Girard. Nous sommes sur des conventions de plus en plus globales, qu'elles couvrent des projets cofinancés ou des dispositifs propres, de façon à ce que chacun comprenne les différentes articulations."
Le cas du dernier contrat en date, celui des Hauts-de-France, illustre cette évolution. Dans une région qui compte moins de librairies que la moyenne nationale, l'ambition affichée relève aussi de l'aménagement culturel du territoire. "Ici, il faut accompagner un mouvement de créations, parfois sous des formes innovantes, de type librairies itinérantes", explique Édith Girard. Le CNL met ainsi à lui seul 80.000 euros uniquement sur la librairie.
Vers de nouveaux dispositifs
Selon une évaluation menée en 2021, les contrats de filière lecture ont prouvé leur efficacité. Grâce à eux, le nombre de librairies accompagnées par le CNL a doublé. "Sans ces contrats, un certain nombre de librairies seraient restées sous les radars de nos dispositifs, se réjouit Édith Girard. Aujourd'hui, on étudie plus de dossiers à travers ces conventions territoriales que ce qu'on traite par nos dispositifs nationaux. On a clairement un impact."
Alors que la cible des librairies semble avoir été atteinte par le déploiement des contrats de filière lecture, le CNL voit déjà plus loin. Il souhaite désormais accompagner les régions vers la création de nouveaux dispositifs en faveur de l'élargissement du lectorat. Si les Hauts-de-France ont mis dix ans à signer leur convention, ils pourraient servir d'exemple : son contrat prévoit le cofinancement de dispositifs d'accompagnement d'actions culturelles autour de la lecture. "Des choses qu'on ne faisait pas jusqu'alors", conclut Édith Girard.