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Infrastructures - Contrats de concession des autoroutes : au mieux les dénoncer, a minima les reprendre en main, préconisent les parlementaires

Le 17 décembre, une double offensive parlementaire a remis de l'huile sur le feu du brûlant dossier de la profitabilité des concessions autoroutières, que députés et sénateurs estiment disproportionnée au vu des difficultés croissantes que rencontrent les sources de financement des transports et projets routiers.

Ecotaxe poids lourds, plan de relance autoroutier et régime des concessions autoroutières ont désormais pieds et poings liés. C'est du moins l'une des leçons à tirer du débat qui fait rage entre le gouvernement, les parlementaires et les concessionnaires autoroutiers. Il interpelle aussi plus largement tous les élus locaux préoccupés par le déficit de financement des infrastructures de transport. "Tout se tient, tout est lié", a insisté Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, lors de la remise ce 17 décembre d'un rapport parlementaire, dont il partage les conclusions et qui préconise tout bonnement de résilier les contrats de concession liant l'Etat et les sociétés concessionnaires, tout en exhortant le gouvernement à "agir très vite", "dans les deux prochaines semaines".

Vases communicants

Car le constat est connu : l'assèchement du budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), accentué du fait et depuis l'abandon de l'écotaxe, dégrade les perspectives de financement de transports publics mais aussi de projets routiers, auxquels l'Afitf consacre 40% de son budget. Or, les élus le savent, la route coûte cher et même l'Etat n'a plus les moyens d'entretenir son propre réseau non concédé, qui compte un grand nombre de liaisons rapides 2x2 voies. Les trois quarts des opérations prévues dans le cadre du plan de relance autoroutier, actuellement négocié entre le gouvernement et les sociétés concessionnaires, et qui vient d'obtenir un feu vert européen, concernent ainsi des mises à 2x2 ou 2x3 voies et des aménagements d'échangeurs. Soit plus de trois milliards d'euros d'investissements, que les six concessionnaires autoroutiers historiques (plus Cofiroute) sont prêts à mobiliser sur onze ans.
Mais non sans contreparties : "un allongement de la durée des concessions pouvant aller jusqu'à plus de quatre ans et un élargissement du périmètre concédé, notamment vers Mâcon, Clermont-Ferrand ou Grenoble", relève Jean-Paul Chanteguet, député socialiste de l'Indre et rapporteur de la mission d'information ayant remis le 17 décembre le rapport précité. Le président de la commission du développement durable de l'Assemblée ajoute que "sous couvert d'une relance de l'activité dans le secteur des travaux publics, ou de verdissement, l'Etat accepte donc des contreparties et cultive le risque que ces concessions deviennent perpétuelles et finissent par couvrir l'ensemble du réseau autoroutier".

Rapport de force

Une "fatalité", une "impasse de financement" qui, selon lui, sont les principaux ennemis à combattre. Echaudés par la salve de rapports successifs de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence (appelant à davantage réguler la "rente" et la "rentabilité exceptionnelle" des concessionnaires historiques "en faveur de l'Etat et des usagers"), ces grands groupes concessionnaires ont, selon le député, "pris position au sein de forteresses qu'ils croient, à tort, injustement assiégées et qui récusent toute interrogation voire toute idée novatrice concernant le cadre d'exercice de leur activité". Le dialogue, la renégociation contractuelle, un meilleur contrôle de l'écosystème financier des autoroutes ne sont-ils vraiment plus possibles ? "Il faut que cela le soit car dénoncer des contrats, c'est s'exposer à des indemnités de résiliation d'un montant pharaonique", a rappelé Valérie Lacroute, députée UMP de Seine-et-Marne, lors d'une audition en commission ayant précédé la publication du rapport. Lequel montant est, pour rappel, estimé entre 25 et 30 milliards d'euros. Problème : ce dialogue semble impossible. "Nous avons rencontré les concessionnaires, mais n'avons alors pas trouvé en face de nous des partenaires. Ils ne veulent pas bouger et refusent que la parole publique soit écoutée", indique Rémi Pauvros, député du Nord et membre de la commission. "Dès lors, si le seul outil de l'Etat pour changer ce rapport de force et si la seule façon de rééquilibrer les relations de ce triptyque Etat-usagers-sociétés privées, si bancal aujourd'hui, est la dénonciation par anticipation et la résiliation pour motif d'intérêt général, alors pourquoi se l'interdire ?", appuie de son côté Claude Bartolone. "Le système actuel n'est pas illégal mais illégitime, car contraire à l'équité, à la morale, à la raison. J'appelle donc le gouvernement à placer l'Etat en position de force afin de négocier, dans de meilleurs conditions, de nouveaux contrats de délégation de gestion à des sociétés privées, dont certaines pourraient d'ailleurs fort bien être les actuelles concessionnaires", a complété Jean-Paul Chanteguet.

Un établissement public ?

La première voie esquissée, celle de la renégociation avec les sociétés sur la base d'un nouveau cahier des charges, risque pour les députés de déboucher sur des mesurettes. Ils lui préfèrent donc une réelle alternative, un "tournant" avec la dénonciation puis la mise en place d'établissements publics amenés à gérer ces infrastructures autoroutières. "Un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic)", préfère Jean-Paul Chanteguet, auquel seront rattachés les six concessionnaires historiques, qui "remboursera leurs créanciers et encaissera les recettes des péages". Reste le timing : pour prendre effet début 2016, cette dénonciation devrait intervenir d'ici à la fin de l'année. Quant au plan de relance autoroutier, il pourrait dans ce cas être reporté, la mission parlementaire estimant que cela aurait des "conséquences limitées" sur les premières phases de chantier, qui ne sont de toute façon attendues qu'à compter du printemps 2015.

Sénateurs plus nuancés

Le 17 décembre, au Sénat cette fois-ci, un groupe de travail de la commission du développement durable a remis ses conclusions sur le même sujet. Plus sceptique sur la perspective d'un rachat généralisé des concessions, son co-président Jean-Jacques Filleul, sénateur socialiste d'Indre-et-Loire, penche pour une autre voie, plus progressive et "partielle" : un premier rachat d'une concession par l'Etat, suivi d'un bilan des avantages et inconvénients, avant toute étape de rachat généralisé. Députés et sénateurs sont d'accord sur la nécessité d'en débattre au Parlement et de renforcer la transparence et la régulation du secteur. "L'élargissement des compétences de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) au secteur autoroutier est en ce sens perçu par tous comme une bonne nouvelle. Elle pourrait assurer ce rôle d'autorité de contrôle des marchés de sociétés concessionnaires d'autoroutes", a conclu Bertrand Pancher, député de la Meuse et président de la mission d'information qui a planché sur le sujet à l'Assemblée et promet de poursuivre ces travaux.