Continuum de sécurité : intercommunalités et départements de plus en plus nombreux à vouloir en être
Une enquête d’Intercommunalités de France et de France urbaine tend à montrer que "la sécurité et la prévention de la délinquance sont désormais à l’agenda des intercommunalités". Le continuum de sécurité ne cesse ainsi d’attirer, comme en témoigne également l’implication croissante des départements dans ce domaine.
Après les régions – ou du moins plusieurs d’entre elles (voir notre article du 24 mars 2021) –, c’est au tour d’un nombre grandissant d’intercommunalités de revendiquer leur place dans le "continuum de sécurité". "Sécurité et prévention de la délinquance sont désormais à l’agenda des intercommunalités", constatent ainsi Intercommunalités de France et France urbaine, aux termes d’une enquête que les deux associations viennent de publier, mais qu’elles ont conduite auprès de leurs membres entre juin et août 2022 (voir notre article du 14 juin 2022) et à laquelle plus de 70 intercommunalités ont répondu. On rappellera au passage que ces deux associations font partie des huit associations d’élus membres du "collectif inter associations d’élus pour la sécurité et la prévention" (CIAESP) nouvellement constitué pour que "la voix des élus locaux soit mieux prise en compte par l’État et les parlementaires sur la sécurité, la prévention de la délinquance" (voir notre article du 18 octobre 2023).
La sécurité, partie intégrante des projets de territoire de plusieurs intercos
L’étude relève que pour plus de la moitié des intercommunalités répondantes (55%, et même 61% pour les intercommunalités urbaines), "les enjeux liés à la tranquillité publique, à la sécurité et à la prévention de la délinquance sont inscrits dans le projet de territoire 2020-2026". Une tendance confortée par l’analyse des données de l’Agence nationale de la cohésion des territoires réalisée par les auteurs de l’étude, qui recensent 138 intercommunalités ayant intégré des projets relevant de la sécurité et de la prévention de la délinquance au sein de leur contrat de relance et de transition écologique (CRTE).
58% des répondantes déclarent également "investir les questions de prévention de la délinquance", notamment dans le cadre d’un conseil intercommunal/métropolitain de sécurité et de prévention de la délinquance (53%) – instance qui n’est en revanche "pas systématiquement accompagnée de la création d’un poste de coordonnateur" (un cas sur deux en moyenne). 64% ont déployé la vidéoprotection, et plus d’une dizaine d’intercos envisagent de l’installer (mais seules 9 répondantes se sont dotées d’un centre de supervision urbain). Près de 38% mobilisent des fonds auprès du Fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Le déploiement des polices intercommunales encore "en devenir"
Le déploiement d’une police intercommunale reste encore limité – seules 8 répondantes l’ont mis en place. Parmi les freins invoqués, figurent "la poursuite d’autres priorités", "la volonté des communes de ne pas partager cette compétence propre aux maires" et la présence d’une ou plusieurs polices municipales sur le territoire. Sur ce dernier point, l’étude souligne qu’il est toutefois possible de les conserver, comme "c’est le cas pour 2/3 des intercommunalités disposant d’une police intercommunale" – étant par ailleurs observé que "les polices intercommunales s’inscrivent le plus souvent dans une logique de mutualisation avec les communes".
Cependant, près d’un quart des répondantes envisagent de mettre une police intercommunale en place. Le bilan "très positif" qu’en tirent celles qui ont sauté le pas pourrait achever de convaincre les hésitantes. Trois principaux avantages sont mis en avant : un même niveau de service offert à l’ensemble de la population, la mutualisation des moyens et le renforcement des actions conduites. Il faut également noter que 24% des répondantes ont mis en place une police pluri-communale, que 25% envisagent de créer une police intercommunale des transports et que plus d’un quart déclarent que leur intercommunalité a ou va contribuer à la répression des auteurs d’infractions environnementales (16% disposant déjà d’une brigade spécifique).
Sécurité : les départements aussi !
Le sujet de la sécurité n’est pas non plus étranger aux départements, comme le relevait naguère le conseil départemental du Val-d’Oise (voir notre article du 21 avril 2022). Interrogé par Localtis, Alexandre Touzet, qui préside le groupe de travail Prévention de la délinquance au sein de Départements de France, le confirme : "Tous les départements font de la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Mais tous ne l’affichent pas. Cela reste un sujet très politique. Dans certains cas, la question est répartie entre différents services. Dans d’autres au contraire, un élu et/ou une direction de la sécurité sont bien identifiés", observe-t-il. Lui-même est ainsi 7e vice-président du conseil départemental de l’Essonne, chargé "de la citoyenneté, de la prévention, de la sécurité et du monde combattant". Un département qui s’est doté dès 2015 d’une direction de la prévention et de la sécurité, et qui avait adopté pour la première fois en 2016 une "politique de prévention et de sécurité".
L’élu est loin d’être le seul à être doté de telles attributions. Sans souci d’exhaustivité, on relèvera que c’est également le cas de la Drôme (avec un 7e vice-président "chargé de la sécurité, des infrastructures et des mobilités actives"), en Loir-et-Cher, (avec un vice-président "chargé de la sécurité, de la protection de la population et du Sdis"), en Seine-et-Marne (avec un 11e vice-président "chargé de la sécurité et des bâtiments départementaux"), dans le Val-de-Marne (avec un "président délégué auprès du président, chargé de la prévention et de la sécurité"), de la Haute-Savoie (avec un conseiller "chargé des questions de sécurité"), de l’Eure (avec un 12e vice-président "chargé de la sécurité et de la prévention de la délinquance") ou encore de l’Ardèche (avec un "conseiller spécial auprès du président chargé de la sécurité").
Difficile sécurisation des collèges
En première ligne dans les "Cpraf" (voir notre article du 20 décembre 2023), les conseils départementaux sont évidemment au premier chef concernés par la sécurisation des collèges. Une question à laquelle Alexandre Touzet est particulièrement sensible, lui qui vient de consacrer un mémoire au "défi de la sécurisation des établissements scolaires face aux nouveaux enjeux sécuritaires" dans le cadre d’un MBA Management de la sécurité. "Il faut être très vigilant et soulever régulièrement le capot. Je ne cesse notamment d’harceler mes services sur la question des clôtures, de m’assurer que l’on dispose de tous les plans des collèges à jour…", expose l’élu, qui déplore une forte "tendance au relâchement". "L’enjeu, c’est de parvenir à mettre en place des process, partagés avec l’éducation nationale, pour que tout le monde soit vigilant sur la durée, et pas seulement après un attentat", explique-t-il. Dans le détail, il déplore notamment le fait que "trop de chefs d’établissement refusent encore le déploiement de caméras de vidéoprotection". Et s’il estime que ces derniers sont désormais rompus aux exercices anti-intrusions, il regrette que le personnel ne soit pas formé sur l’attitude à tenir en cas d’intrusion et d’attaque. "Il faut massifier le dispositif, en intégrant le personnel de l’éducation nationale et celui des départements. Il ne s’agit nullement de les transformer en policier, mais de leur inculquer quelques réflexes, comme prendre une chaise face à une agression au couteau, pour ralentir l’intervention du terroriste le temps que les forces de sécurité interviennent." Il plaide également pour associer les élèves eux-mêmes à ce devoir de vigilance, "sans pour autant transformer l’école en prison. Cela doit rester un lieu de vie".
Du continuum de sécurité à la société de vigilance ?
L’élu n’est pas sans faire ici écho aux propos du président de la République tenus en 2019 après l’attaque terroriste meurtrière de la préfecture de police de Paris. "Une société de vigilance voilà ce qu’il nous revient de bâtir […]. C’est tout simplement savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi les relâchements, les déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les valeurs de la République", déclarait alors Emmanuel Macron. Un président de la République qui expliquait également, en clôture du Beauvau de la sécurité, le 14 septembre 2021, que "la sécurité n’est pas simplement le sujet de nos forces de sécurité intérieure […]. La sécurité est l’affaire de tous, une co-construction". Il semble que ce plaidoyer du chef de l’État pour le "continuum de sécurité", remis sur le devant de la scène lors des émeutes de l’été dernier (voir notre article du 31 juillet 2023), ait été reçu "fort et clair" par nombre de collectivités.