Menaces sur le "bouclier sécuritaire" des régions ?
Une récente réponse ministérielle invoque l’illégalité de l’aide apportée par certaines régions aux communes en matière de sécurité et agite la menace d’un éventuel remboursement des aides ainsi perçues. Une analyse que ne partage pas Frédéric Péchenard, vice-président de la région Île-de-France, à l’initiative de ce "bouclier sécuritaire", qui se dit "raisonnablement optimiste".
Les "boucliers sécuritaires" mis en place par plusieurs régions pour venir en aide aux collectivités – mais aussi parfois à l’État – sont-ils hors la loi ? C’est la position du ministère chargé des collectivités territoires et de la ruralité, donnée dans une réponse au sénateur Jean-Louis Masson, dans laquelle ce dernier fait état des interrogations du préfet de la région Île-de-France* (le conseiller d’État Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement et du Conseil constitutionnel) "sur la possibilité pour les régions de cofinancer la mise en place de polices municipales ou d'équipements de vidéosurveillance".
Pas de compétence de la région selon le CGCT
"En l'état actuel du droit, l'article L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) limite l'intervention du conseil régional aux domaines de compétences qui lui ont été strictement attribués par la loi. Or, les dispositions des articles L. 4211-1 et L. 4221-1 du CGCT, relatives aux attributions et compétences du conseil régional, n'attribuent à celui-ci aucune compétence en matière de sécurité, d'ordre public ou de forces de police", argue le ministère. Il en tire la conclusion que "le président du conseil régional ne dispose d'aucune compétence qui justifierait l'octroi de subventions aux communes dans le but de financer le recrutement d'agents de police municipale ou le matériel communal de vidéoprotection sur la voie publique". Le ministère s’appuie en outre sur une décision du tribunal administratif de Marseille rendue fin 2019 "annulant une délibération décidant de la mise en place de subventions aux communes pour financer l'équipement des polices municipales et l'équipement communal en vidéoprotection". Et le ministère d’agiter la menace qu’une telle annulation pourrait conduire "jusqu'au remboursement par les communes des sommes déjà versées par le conseil régional".
Mais une compétence au titre de la politique de la ville
Il n’est pas douteux que la sécurité ne fait pas partie des politiques publiques cœur des régions. Un exemple, anecdotique, mais parlant : on ne retrouve nulle trace de la sécurité dans la liste fermée des "politiques régionales" du formulaire de contact de la région Auvergne-Rhône-Alpes*, pourtant en pointe dans ce domaine. Pour autant, plusieurs régions en font désormais une priorité (voir notre article du 24 mars 2021). Le dernier congrès de Régions de France consacrait d’ailleurs un atelier à ce thème (voir notre article du 20 septembre 2022). Fort logiquement, selon Frédéric Péchenard, dixième vice-président de la région Île-de-France chargé de la sécurité et de l’aide aux victimes, et à l’initiative de ce "bouclier sécuritaire" mis en œuvre par Valérie Pécresse, qui conteste l’analyse du ministère. Interrogé par Localtis, il excipe ainsi de l’article 1er de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine : "Cet article dispose explicitement que la politique de la ville est 'conduite par l’État, les collectivités locales et leurs groupements' et qu’elle vise notamment – je cite toujours – à 'garantir la tranquillité des habitants par les politiques de sécurité et de prévention de la délinquance'. Si la région n’est pas à proprement parler un acteur de la sécurité, elle est donc tout à fait légitime pour apporter de l’aide à ces derniers, dans la logique du continuum de sécurité promu par le gouvernement, parmi d’autres."
Un contrôle de légalité qui ne dit mot
L’élu met également en avant le fait que "depuis que nous avons institué ce bouclier sécuritaire en janvier 2016, 29 délibérations ont été votées et soumises au contrôle de légalité. Aucune n’a fait l’objet de difficultés ou d’un déféré devant le tribunal administratif", observe-t-il. Il relève également que "quatre autres régions – Grand-Est, Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Hauts-de-France – ont adopté des dispositifs similaires, et là-encore aucune de leur délibération n’a été déférée au tribunal administratif". L’élu observe également que si l’opposition régionale avait par le passé déposé un référé, "le tribunal administratif l’a débouté. Et je n’ai pas connaissance d’une éventuelle décision au fond". Ce qui le conduit à être "raisonnablement optimiste. Juridiquement, administrativement, politiquement, nous sommes bordés".
Un dispositif plébiscité par les communes…
L’élu argue enfin des résultats obtenus : "Depuis que nous avons mis en place le bouclier sécurité, environ la moitié des 1.200 maires d’Île-de-France ont fait appel à la région pour les aider à équiper leurs polices municipales ou à déployer la vidéoprotection. Plus de 600 communes en ont bénéficié." Dans un communiqué de presse du 5 janvier dernier, la région Hauts-de-France* met elle aussi en avant le succès de l’action qu’elle conduit également dans ce domaine. Lors de la commission permanente du 22 novembre dernier, elle a ainsi accordé plus de 930.000 euros de subventions à 56 communes de moins de 20.000 habitants désirant s’équiper de caméras de vidéoprotection. "Face à une délinquance qui se déplace dans les zones péri-urbaines ou rurales, nous nous devons d’être aux côtés de maires", affirme Christophe Coulon, vice-président de la région chargé de la ruralité et de la sécurité.
… et par l’État
Last, but not least, Frédéric Péchenard souligne que l’État lui-même émarge au rang des bénéficiaires de ce dispositif. "Nous avons signé une convention avec l’État pour l’aider à construire ou rénover des commissariats de police ou des casernes de gendarmerie. À ce jour, plus d’une cinquantaine d’entre eux ont bénéficié de notre aide." L’État – dont Frédéric Péchenard rappelle qu’il consacre "2,5% de son budget à la sécurité intérieure" – mordra-t-il la main de celui qui le soutient ?
* Le préfet de la région Île-de-France ainsi que les conseils régionaux des Hauts-de-France et d’Auvergne-Rhône-Alpes n’ont pas répondu à nos sollicitations.