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"APL en temps réel ": le CNH déboussolé, la réforme à nouveau reportée, les modalités précisées

La "contemporanéisation" des aides personnelles au logement n'entrera finalement en vigueur que le 1er avril prochain, soit un report d'un trimestre. La Cnaf rencontre visiblement des difficultés de mise en oeuvre de la réforme à laquelle le Conseil national de l'habitat a consacré pas moins de trois séances. Les simulations quant à l'impact de cette réforme pour chaque allocataire restent complexes. Un décret du 30 décembre s'efforce d'apporter les précisions.

Dans un communiqué publié entre Noël et le jour de l'an, Julien Denormandie annonce avoir "été informé par la Cnaf d'un besoin de délai complémentaire pour ajuster son système informatique dans le cadre de la réforme des 'APL en temps réel'" (nom grand public choisi pour désigner la "contemporanéisation" des aides personnelles au logement). Conséquence de ces nouvelles difficultés de la Cnaf : "Sur proposition du ministre, le gouvernement a pris la décision de décaler la mise en œuvre de la réforme d'un trimestre afin d'en assurer la bonne application pour les allocataires". L'entrée en vigueur est ainsi reportée au 1er avril 2020.

Un quatrième report pour la réforme

Tout en expliquant que la réforme n'est pas remise en cause, Julien Denormandie précise, dans son communiqué du 26 décembre : "Il est de ma responsabilité d'assurer à tous les allocataires le juste versement de leurs aides au logement, c'est pourquoi j'ai acté ce décalage d'un trimestre". Le ministre a invité la Cnaf et la MSA à prévenir "tous les allocataires et les bailleurs" de ce décalage.

Cette annonce constitue un nouveau report – le quatrième – pour une réforme qui devait, à l'origine, s'appliquer dès avril 2019. Alors que la Cnaf avait su gérer, dans des délais très courts, la mise en place de la prime d'activité, elle semble rencontrer de très sérieuses difficultés informatiques, le communiqué de Julien Denormandie précisant que "des travaux de fiabilisation complémentaires sont nécessaires pour que la Cnaf puisse garantir sa mise en œuvre dans de bonnes conditions". Dans un très bref communiqué, également daté du 26 décembre, la Cnaf indique en effet que "d'ultimes travaux de fiabilisation sont indispensables" et donc qu'elle "recommande [au gouvernement, ndlr] de décaler la date d'entrée en vigueur de la réforme d'un trimestre afin de s'assurer de la meilleure qualité et fiabilité possibles dans la mise en œuvre de cette réforme pour ses six millions d'allocataires". Le report de la réforme au 1er avril prochain permet aussi une entrée en vigueur juste après le second tour des élections municipales, le 22 mars.

Une "réforme de bon sens", non dénuée d'enjeux budgétaires

La Cnaf n'est pas la seule à peiner face à cette réforme, dont le principe – rapprocher le calcul du droit aux APL et de leur montant de la date des ressources prises en compte et mettre ces dernières à jour tous les trois mois comme pour l'AAH, le RSA ou la prime d'activité – n'est pas vraiment contesté, mais dont l'impact, s'il est encore mal mesuré, devrait être important. Le Conseil national de l'habitat (CNH) vient ainsi de consacrer pas moins de trois séances, au cours du mois de décembre, à l'examen du dispositif, sans parvenir à aucune conclusion. Les réunions du CNH se sont en effet heurtées à une double difficulté : un quorum non atteint ne permettant pas de délibérer valablement et, surtout, un manque complet de visibilité sur l'impact de la réforme. Interrogé par Le Monde, Aurélien Taché, député (LREM) du Val-d'Oise et président du CNH, reconnaît des reports et des annulations, mais invoque les difficultés engendrées en décembre par la grève des transports et son souci d'"éviter les consultations électroniques qui ne satisfont personne".

A ces difficultés s'ajoutent les conséquences budgétaires de ces reports successifs. Avec l'actualisation des revenus pris en compte, la réforme est supposée engendrer une économie pour le budget de l'État de l'ordre de 1 à 1,3 milliard d'euros l'année de sa mise en œuvre. Le report de la réforme au 1er janvier 2020 a déjà privé l'État d'une économie budgétaire que Dominique Estrosi Sassone, sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes et rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur les crédits du logement, estime à 957 millions d'euros sur le budget 2019 (voir notre article ci-dessous du 12 décembre 2019). Le report à avril prochain pourrait donc se traduire par une nouvelle perte d'économie budgétaire sur l'exercice 2020 de l'ordre de 250 à 325 millions d'euros.

Des impacts encore très incertains

Dans son rapport sur les crédits du logement dans le projet de loi de finances pour 2020, Dominique Estrosi Sassone approuve le principe de la contemporanéisation des APL – qualifiée de "réforme de bon sens" –, mais s'inquiète des "craintes [qui] ne sont pas encore levées" sur l'impact de la mesure. Elle est loin d'être la seule dans ce cas. Dans un courrier de recadrage consécutif au précédent report de la réforme, Édouard Philippe demandait déjà à Julien Denormandie de lui remettre sous quinzaine "une vision actualisée des impacts individuels de la réforme en janvier 2020" (voir notre article ci-dessous du 8 juillet 2019). L'enjeu est de taille, car la réforme pourrait faire "perdre" leurs APL à environ 600.000 foyers dont les revenus ont progressé depuis deux ans au point qu'ils ne remplissent plus les conditions de ressources. De même, et pour les mêmes raisons, environ 1,2 million de ménages verraient leurs APL diminuer.

Mais les simulations se révèlent particulièrement complexes et sont encore compliquées par les difficultés de la Cnaf. Dans son rapport, Dominique Estrosi Sassone précisait d'ailleurs que les simulations n'ayant de sens qu'avec les revenus réels, elles ne pourront se faire qu'"à très faible échéance de l'entrée en vigueur effective de la réforme". Le gouvernement a néanmoins reçu une récente évaluation de l'impact de la réforme, révélée le 26 décembre par le site du magazine Capital. Celle-ci confirme la complexité de l'exercice, compte tenu de la multiplicité des situations possibles au regard des APL.

APL en temps réel : les gagnants et les perdants

Si le cas des foyers qui perçoivent les mêmes revenus qu'en 2017 ne soulève aucune difficulté (pas de modification du montant des APL), d'autres catégories pourraient en revanche être davantage impactées. Le gouvernement a cependant prévu des mesures transitoires pour certaines d'entre elles. C'est le cas, par exemple, pour les étudiants qui exercent une activité salariée ou des nouveaux retraités dont la pension se situe entre 70% et 100% des revenus d'activité (pour lesquels on considère qu'il n'y a pas de perte de revenus et qui devraient donc normalement voir leurs APL inchangées). Par ailleurs, des exceptions sont prévues pour certains revenus qui ne peuvent être déclarés trimestriellement. C'est notamment le cas des revenus mobiliers ou immobiliers, du chiffre d'affaires des indépendants en début d'activité ou encore des pensions alimentaires. Un volumineux décret du 30 décembre 2019 s'efforce d'apporter les précisions nécessaires sur ces cas de figure et précise globalement les ressources prises en compte pour le calcul des APL.

En revanche, le document révélé par Capital ne semble pas faire état des impacts positifs, qui existent forcément pour les personnes dont les revenus ont diminué (passage à temps partiel, départ en retraite, perte d'emploi...) et qui verront donc leurs APL augmenter.

 

Références : décret n°2019-1574 du 30 décembre 2019 relatif aux ressources prises en compte pour le calcul des aides personnelles au logement (Journal officiel du 31 décembre 2019).

 

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