Connaissance de l'infrastructure routière : encore du chemin à parcourir
L'Observatoire de la route a rendu public la cinquième édition de son rapport annuel sur l'état et la gestion du patrimoine routier – qui se dégrade –, toujours aussi difficile à établir. Singulièrement pour les communes et intercommunalités, qui constituent "un véritable angle mort" dans le rapport.
"Les possibilités ouvertes par les nouvelles technologies […] ne pourront véritablement apporter des bénéfices aux gestionnaires et aux usagers que si elles sont portées par des infrastructures de qualité. Pour cela, le développement d'une gestion patrimoniale passant par une connaissance fine des routes et des ouvrages d'art en France est nécessaire", martèle Yves Krattinger, président de l'Iddrim, en introduction de la cinquième édition du rapport de l'Observatoire des routes, créé en 2016. Las, l'enquête confirme cette année encore que le chemin de la connaissance est particulièrement escarpé.
Communes et intercommunalités, "l'angle mort"
Si l'Observatoire se félicite que le nombre de gestionnaires répondant à l'enquête – qui fournit la matière de l'étude – s'est "stabilisé" (68 départements, 11 métropoles), il constate dans le même temps "la difficulté de rassembler des communautés de communes et d’agglomération". Pour preuve, une seule réponse reçue, aucune des communautés urbaines !
In fine, l'analyse porte donc seulement sur "plus de 280.000 km de voirie" (un peu plus de 290.000 en fait) : 11.718 km de réseau non concédé (et 18.631 ouvrages d'arts) ; 258.237 km de réseau départemental – soit 67% des 378.693 km du réseau géré par les 101 départements – (et 128.884 ouvrages d'arts) et 20.907 km de réseau métropolitain (et 8.298 ouvrages d'art). Les quelque 704.201 km du réseau communal et intercommunal constituant, eux, l'"angle mort" du rapport.
Il faut encore relever que l'échantillon exploitable varie d'une question à l'autre (39 à 53 départements pour le volet financier, 63 pour l'état du patrimoine, et 6 à 9 métropoles). Et que les données financières sont difficilement comparables, d'un réseau à l'autre, compte tenu de leur "très grande disparité" (trafic supporté, contraintes naturelles ou d'exploitation…), mais aussi dans le temps, notamment du fait de la volatilité du prix des enrobés. Ce dernier, après une forte hausse entre 2016 et 2018, poursuivait sa décrue en 2020, date de l'enquête (il a toutefois depuis repris sa course folle). Bref, le brouillard reste difficile à dissiper.
Investissements/km : à la hausse dans les départements, à la baisse pour l'État et les métropoles
Hors grands travaux, le niveau des dépenses d'investissements par km pour le réseau routier non concédé (État) baisse en 2020 (-8%). L'ONR l'explique par l'arrêt total des chantiers dû au covid et à d'éventuelles réallocations de crédit. Après une hausse en 2018 et une stabilisation en 2019, "ce niveau budgétaire ne devrait pas suffire à stopper la dégradation […] mesurée lors de l'audit externe en 2018", conclut l'ONR.
Dans les départements (49 analysés), la hausse se poursuit, à un rythme toutefois moins soutenu. Cette hausse cache en outre des disparités : si elle reste forte chez les "très grands" (population supérieure à 1 million d'habitants, 15 analysés), et si l'investissement repart légèrement à la hausse chez les "moyens" (entre 250.000 et 500.000 habitants, 16 analysés), il se stabilise chez les "petits" (population inférieure à 250.000 habitants, 4 analysés) et baisse chez les "grands" (entre 500.000 et 1 million d'habitants, 14 analysés), après plusieurs années de croissance. L'ONR souligne que "si les très grands départements investissent par kilomètre trois fois plus que les petits départements, ces derniers investissent, en moyenne sur la période 2016-2020, entre deux et trois fois plus par habitant que les très grands". Rapportées au nombre d'habitants, les dépenses d'investissement reculent de 3% dans les départements en 2020.
Dans les métropoles (6 analysées), après une forte hausse des investissements par km en 2019, une baisse quasiment toute aussi forte en 2020 ramène la courbe à des valeurs proches de celles constatées auparavant (la baisse est moins forte rapportée au nombre d'habitants).
Dépenses de fonctionnement (hors personnel) : la décrue se poursuit dans les départements
Les dépenses de fonctionnement par km poursuivent leur hausse pour le réseau routier national non concédé, montrant, "malgré le contexte sanitaire, l'effort fourni par les DIR afin de rattraper les retards pris lors du premier confinement du printemps 2020". Dans les métropoles (6 analysées), après une diminution importante avant 2016, elles poursuivent leur remontée. À l'inverse, dans les départements (46 analysés), ces dépenses continuent de décroître (à l'exception des départements "moyens").
Il convient toutefois de souligner que les dépenses appréhendées n'incluent pas les dépenses de personnel, en dépit de la part prépondérante qu'elles représentent... Elles les intègrent toutefois lorsque les missions d'entretien courant (curage des fossés, fauchage, traitement des nids de poule…) et d'exploitation (viabilité hivernale) sont externalisées, mais ne les incluent pas toujours lorsque les missions sont effectuées en régie… La prudence est donc de mise dans leur analyse.
Rapports investissement/fonctionnement, chaussées/ouvrages d'art
Les grands équilibres restent peu ou prou identiques. Les dépenses d'investissement représentent en 2020 près des deux tiers des dépenses totales (hors personnel) pour le réseau routier national non concédé et les métropoles (hors personnel et grands travaux), et les quatre cinquièmes des dépenses totales des départements (hors personnel et hors grands travaux) – 66 % chez les "petits" départements.
En 2020, la part consacrée à la préservation du patrimoine des ouvrages d’art est de 20% pour l’État, en nette progression (baisse des dépenses voirie et hausse de 10% pour les ouvrages d’art). Pour les départements analysés, elle se situe dans une fourchette de 17% à 22%, en augmentation de près de deux points sur la totalité des départements, mais bien plus importante pour les départements "moyens" qui ont gagné 3,5 points et les "petits". L'ONR précise que ces moyennes "masquent de fortes disparités entre départements". Dans les métropoles analysées, la part consacrée à la préservation du patrimoine des ouvrages d’art est proche de 15% des dépenses totales de grosses réparations.
Dégradation de l'état des routes et des ouvrages d'art
Les données recueillies confirment la "lente mais constante dégradation des chaussées" du réseau routier national non concédé. Dans les départements (25 analysés), est relevée une "certaine stabilité" pour les réseaux structurant et principal, mais une dégradation du réseau local. L'étude constate enfin que le réseau routier des métropoles est en moins bon état que celui de l’État ou des départements, avec en outre un réseau structurant qui est en moins bon état que le réseau principal ou local (situation due toutefois à 2 métropoles sur les 6 analysées).
L'analyse des ouvrages d'art reste, elle, difficile à établir avec précision. Pour preuve, "on estime la proportion d’ouvrages non évalués à 9% du patrimoine de ponts de l’État", proportion estimée entre 10 et 11% pour les départements en 2020. L'ONR relève toutefois que "l’état du patrimoine de ponts est globalement moins bon en 2020 que les années précédentes, que ce soit pour l’État ou pour les départements".
"Programme national Ponts" et enquête des juridictions financières
Rappelons que dans le cadre du "Programme national Ponts" piloté par le Cerema, 11.000 communes vont bénéficier d’un recensement et d’une reconnaissance de l’état de leurs ponts communaux (voir notre article du 21 septembre 2021) et que la Banque des territoires a récemment lancé un nouveau dispositif destiné à accompagner les collectivités dans la prise de décision, le financement et la mise en œuvre de leurs travaux, principalement orienté vers la rénovation des ponts (voir notre article du 26 mai 2021).
Soulignons encore que les juridictions financières conduisent actuellement une enquête nationale relative au réseau routier national non concédé. Dans ce cadre, trois rapports intermédiaires ont été récemment publiés, concernant les gestions du réseau de Brest Métropole, des départements du Finistère et de Haute-Savoie.