Congrès des maires – Quand la programmation culturelle devient un objet politique

Au Congrès des maires, élus et responsables de programmation culturelle se sont opposés sur leurs rôles respectifs. Quand les uns mettent en avant la liberté de création, les autres répondent par la légitimité populaire. Ambiance...

On savait depuis Pierre Bourdieu que la sociologie était un sport de combat. Mais on ignorait qu'il en était de même de la culture. Le débat organisé le 21 novembre dans le cadre du Congrès des maires sur le thème "Les communes face à une offre de spectacle vivant sous tension" nous l'a appris.

"La culture est un socle qu'il ne faut pas détruire"

Tout commence par des échanges à fleuret moucheté, les coups sont un peu téléphonés. On s'en prend aux coupes budgétaires à venir, aux exigences grandissantes en matière de sécurité, à l'indispensable prise en compte des risques environnementaux, autant de menaces et de coûts supplémentaires que doivent supporter les collectivités et les organisateurs de spectacles vivants. À ce stade, on boxe entre sparring-partners. Et pour cause : "La culture est un socle qu'il ne faut pas détruire", soutient Olivier Peverelli, maire du Teil (Ardèche) et coprésident de la commission de la culture de l'AMF.

Pour construire ce socle, les élus ne manquent d'ailleurs pas d'initiatives, aussi diverses que leurs territoires. Quand Bourges croise le fer avec les grandes métropoles régionales pour remporter le titre de Capitale européenne de la culture 2028, d'autres se battent plus modestement. À Taverny (Val d'Oise), on amène les femmes enceintes à la musique. À Langres (Haute-Marne), le festival Tinta'mars touche aussi bien les écoles maternelles que les Ehpad. Jusque-là, les élus parlent de culture entre eux et la concorde règne dans la bien nommée salle "Fraternité" de la porte de Versailles.

"Vous nous faites un chèque et vous la bouclez !"

Puis l'heure du second round sonne. Il est alors question de discuter de "l'élaboration de la programmation par les professionnels", laquelle, selon la présentation officielle du congrès, doit désormais "se nourrir d'un dialogue constant avec les élus afin de répondre aux attentes des habitants tout en portant les ambitions d'éveil et d'émancipation des citoyens". 

Invitée à ouvrir le débat, Florence Portelli, maire de Taverny et coprésidente de la commission de la culture de l'AMF, porte une première attaque. Elle vise les responsables de la programmation des équipements culturels : "On ne peut pas dire aux gens, vous nous faites un chèque et vous la bouclez ! On ne peut pas dire à un financeur, vous ne regardez pas, vous n'intervenez pas." C'est que l'élue francilienne, également vice-présidente du conseil régional, chargée de la culture, et présidente de l'Orchestre national d'Île-de-France, est une passionnée. Une passion qui n'est toutefois pas aveugle. Pour elle, il faut "un dosage" dans les décisions de programmation. Et les commissions où siègent élus et professionnels de la culture sont des lieux qui permettent la discussion et la recherche d'un équilibre. David Nicolas, maire d'Avranches (Manche), partage cet avis : "Le processus démocratique de programmation fonctionne avec des commissions. L'élu peut être moteur."

"Les artistes ne doivent pas être dans un dialogue avec un élu"

La réplique arrive aussitôt, cinglante. Florence Guinard, directrice adjointe du Théâtre national populaire de Villeurbanne et membre du conseil national du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) : "Il n'y a pas de fait du prince du programmateur qui se permettrait d'utiliser l'argent public à tort et à travers." Puis elle rappelle que la loi LCAP de 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine est "très précieuse". Pour elle, s'"il y a des élus avec lesquels on peut discuter car on est d'accord sur le fond", cette discussion doit se faire "dans le cadre de la loi". Yann Galut, maire de Bourges, acquiesce. Il n'est pas d'accord avec Florence Portelli et le dit : "Je ne me mêle pas de programmation. Je donne de grandes orientations mais je m'interdis d'intervenir. Chacun doit être à sa place." Des applaudissements se font entendre dans la salle. Nicolas Dubourg, président du Syndeac, profite de la séquence des questions du public pour enchaîner : "Les artistes et les directeurs de lieux ne doivent pas être dans un dialogue avec un élu, ils sont en dialogue avec la société." Et le rôle de l'élu selon lui ? "Garantir la possibilité du dialogue." 

Florence Portelli riposte. Elle trouve ce propos "hallucinant". Puis elle porte une nouvelle attaque sous un angle nouveau : "On est élu sur un programme, une personnalité. J'ai été élue car j'ai dit que la culture était ma priorité." Elle n'en démord pas, pour elle, "le maire est le meilleur médiateur culturel, il est élu du peuple. Et à travers les élus, c'est le peuple qui exprime son choix". Elle est soutenue par Fabien Le Guernevé, adjoint au maire de Vannes (Morbihan) chargé de la culture et vice-président de la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture) : "Les élus ont été choisis par leurs concitoyens pour mener les affaires, et notamment les affaires culturelles.  Ils portent une politique culturelle qui a été choisie par nos concitoyens. C'est à la direction de nos équipements culturels de faire une programmation qui réponde à nos ambitions politiques culturelles et aux aspirations des habitants pour ne pas être déconnectée de la population."

"Faire en sorte que les gens arrivent à s'engueuler"

Deux camps s'affrontent.  Peut-on les réconcilier ? David Nicolas fait une tentative : "Il faut normaliser la relation entre élus et acteurs techniques." Il en faudrait plus pour rabibocher les débatteurs...

La synthèse vient d'Olivier Peverelli : "La culture permet un espace de liberté indispensable qu'il faut conserver. Il faut que la culture surprenne, agace, fasse réagir. Nous élus, devons faire ou refaire de la politique. J'attends de l'artiste une œuvre qui dérange et fasse débat. Notre rôle d'élu est de porter ce débat pour faire en sorte que les gens arrivent à se parler et à s'engueuler, car ça veut dire qu'ils se sont parlé." Comme un écho aux propos de Florence Guinard qui, plus tôt, a estimé qu'"on a intérêt à mettre une œuvre au service d'une politique pour permettre un débat". Sans le savoir, les participants sont sortis du combat, se sont retrouvés sur l'essentiel. Et on peut se demander jusqu'à quel point leur débat, parce qu'il a dérangé, ne constitue pas une œuvre culturelle en soi...