Congrès des maires – Prévention des risques : l’AMF avance ses propositions
À l’occasion d’un forum tenu ce 21 novembre lors de son congrès, l’Association des maires de France (AMF) a suggéré plusieurs pistes de réforme pour aider les maires à mieux faire face à des risques à la fois "multifacettes" et en pleine expansion. Une nécessité alors qu’à la fin, "c’est toujours le maire qui prend le risque : nous sommes toujours des responsables parfaits".
La pédagogie, cet art de la répétition. Alors que l’acculturation aux risques des Français, citoyens comme élus, reste insuffisante (voir notre article du 21 février), Éric Menassi, maire de Trèbes (Aube), et Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), qui codirigent tous deux le groupe de travail de l’Association des maires de France (AMF) sur la prévention des risques, ont une nouvelle fois (voir notre article du 24 novembre 2022) saisi l’occasion du Congrès des maires pour marteler quelques messages forts auprès de leurs collègues : "Le risque est partout" ; il est "multifacettes" ; il ne cesse de grossir, notamment porté par le changement climatique, mais pas seulement (l’attention a notamment été attirée sur le risque cyber, sous-estimé par les petites communes). Et, surtout, "si le maire n’est pas seul face au risque, il est au centre de tout. Il est responsable de tout", insiste Éric Menassi.
"Aide-toi et le ciel t’aidera"
"L’État donne l’illusion qu’il est omniprésent. Au moment de la crise, il ne le sera pas. Le préfet donnera des consignes générales, mais c’est au maire, et au maire seul, même pas au président de l’intercommunalité, qu’il reviendra de décider s’il faut évacuer, de décréter les mesures à mettre en œuvre, etc. Personne ne le fera à sa place, et c’est très dangereux de l’oublier", renchérit Sébastien Leroy. Il insiste : "Ne croyez pas que l’État ou la préfecture seront là pour prendre le risque à votre place. Tant moralement, politiquement que judiciairement, vous serez toujours en première ligne. Nous sommes toujours des responsables parfaits." D’où la nécessité de prendre le sujet à bras-le-corps et d’anticiper. "Aide-toi, et le ciel t’aidera", résume Dominique Peduzzi, maire de Fresse-sur-Moselle (Vosges), en relevant en outre que "le risque restant local, il faut que les acteurs locaux s’en emparent, localement".
Indispensable coordination
Pour autant, le maire ne peut vouloir agir seul et tous azimuts. "On est là pour faire de la sauvegarde, pas du secours – le plan communal de sauvegarde porte ainsi bien son nom", rappelle ainsi Aurélie Teixeira, maire de Listrac-Médoc (Gironde). Ce qui n’est parfois pas aisé car "le maire a toujours tendance à être sur le terrain". Le rôle de ce dernier consiste surtout à être "le lien entre beaucoup d’interlocuteurs", précise l’élue girondine, non sans relever que "pour bien coordonner, il faut savoir déjà à qui s’adresser". Ce qui est particulièrement compliqué pour le nouvel élu – "dont on attend qu’il soit omniscient et opérationnel à la minute où il est élu", grince Sébastien Leroy. Et le reste tant que l’édile n’a pas été confronté à une situation de crise, estime Aurélie Teixeira : "On ne s’imagine pas comme c’est compliqué de tenir sa place et d’arriver à donner les bonnes informations aux bonnes personnes." "La mise en pratique est indispensable", insiste aussi la députée de Gironde Pascale Got.
Normes trop nombreuses, stratégie absente
Les difficultés sont les mêmes au niveau central, comme le met en exergue la sénatrice des Hauts-de-Seine Christine Lavarde, auteure d’une récente proposition de loi de réforme du régime CatNat, adoptée il y a un mois au Sénat en première lecture : "On ne s’imagine pas le nombre de services qui travaillent sur cette question (…), avec parfois des logiques pas forcément convergentes." Sébastien Leroy, lui, ne manie pas l’euphémisme. Il dénonce vertement "la complexité énorme de la réglementation, avec des lois qui deviennent contradictoires (…), des politiques parfois totalement opposées. Je suis désolé de vous le dire, mais la vie humaine ne prévaut en rien sur les complexités normatives." Non sans faire ainsi écho à la Cour des comptes (voir notre article du 16 juin 2023). Pour remédier à ces "injonctions paradoxales", source de "paralysie et d’inefficacité en amont et en aval des crises", il propose, au nom de l’AMF, d’une part, de "constituer une entité coordinatrice au plus haut sommet de l’État (…), un ministère dédié aux risques majeurs, qui s’impose à tous", et, d’autre part, une "stratégie nationale de gestion des risques majeurs" qui fait selon lui défaut. "En France, on a des méthodes, des savoir-faire, des initiatives locales, des bonnes pratiques", mais pas de stratégie globale. Il faut donc comprendre que la stratégie nationale de résilience lancée fin 2022 (et autour de laquelle un site dédié aux élus vient d’être lancé) ne répond pas à l’exercice.
Stratégie : on ne part pas de rien
Une idée favorablement accueillie par Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la Transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques – "ça prend deux lignes pour décrire mes fonctions, mais c’est la première fois que la prévention des risques figure dans le nom d’un ministère, ce qui montre que c’est une priorité très claire", observe-t-il au passage. Le haut fonctionnaire souligne néanmoins "qu’on ne part pas de rien", évoquant plusieurs "stratégies sectorielles élaborées ou en cours d’élaboration" comme la "stratégie nationale de gestion des risques d’inondation" ou la "stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies", prévue par la loi "mégafeux" de 2023 et qui devait être élaborée avant juillet dernier (le Pnacc présenté récemment indique qu’elle sera adoptée "en 2025").
Un modèle de gestion de crise à préserver
De son côté, Julien Marion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion de crise au ministère de l’Intérieur, invite "de manière générale à se garder de cette manie un peu française qui consiste à penser qu’en créant une structure ou résout un problème", plaidant au contraire pour "réduire les structures pour gagner en efficacité". Il s’inscrit par ailleurs en faux contre le "saucissonnage" des responsabilités déploré, parmi d’autres, par la députée Pascale Got : "S’agissant de la gestion de crise, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait de confusion, de parasitage, d’absence de cohérence dans la répartition des responsabilités". Il vante au contraire "une certaine efficacité, notamment en raison de l’unicité de la chaîne de commandement, une des caractéristiques fortes de notre modèle de gestion", "un capital qu’il faut absolument préserver".
Renforcer le couple maire-préfet
On relèvera que ce capital avait toutefois été mis à mal lors de la crise du covid (voir notre article du 27 juillet 2020) – au passage, le domaine sanitaire n’a pas été évoqué lors des débats –, sans que l’on soit certain que toutes les leçons aient été tirées depuis. Une crise du covid qui avait en revanche remis en selle le couple maire-préfet, que l’AMF entend ici renforcer. Cette autre proposition du groupe fait l’unanimité chez les intervenants. "Ce ne doit pas être un slogan", prévient toutefois Julien Marion. Pour y donner corps, il indique que dans les instructions qu’il va donner aux préfets pour 2025, il demandera que la politique d’exercices de la sécurité civile associe les maires "de manière systématique".
Meilleure connaissance des risques, "task force" et boîte à outils
Autre proposition de l’AMF, qui n’est pas sans lien avec la précédente, la création d’une "task force", "en effectif réduit", "resserrée autour du maire, avec son élu chargé de la sécurité, et en lien avec la direction départementale des territoires - et de la mer (DDT/DDTM), les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), les forces de l’ordre", et le cas échéant l’intercommunalité, afin de l’aider notamment à mieux connaître et appréhender le risque. Ce qui permettra en retour à ces différents services de disposer d’"un interlocuteur fiable et valable" pendant les crises. Dans la même veine, l’AMF propose la création d’une "boîte à outils pour les petites communes" – qui sont souvent démunies -, synthétisant l’essentiel de ce que doit maîtriser l’élu via "des fiches techniques, des références, etc.". "L’idée c’est de lister, rationaliser, certifier les informations, les sites, les références", alors que "le risque aujourd’hui, ce n’est pas tellement le vide mais le trop plein de systèmes", précise Sébastien Leroy.
"Un marathon, pas un sprint" ou les deux ?
Des propositions qui reçoivent là encore l’assentiment des deux représentants de l’Administration, tout en mettant en lumière ce qui existe déjà. Ainsi Julien Marion vante un guide pratique d’élaboration du plan communal de sauvegarde disponible sur le site du ministère. On observera que l’administration décentralisée met à disposition sur Internet différents modèles… plus ou moins à jour, ce qui n’est pas sans conforter la position de l’AMF (voir ainsi celui de la préfecture de l’Hérault, celui de la préfecture du Rhône ou celui de la préfecture du Cher). Cédric Bourillet souligne pour sa part les "changements considérables opérés depuis deux ans" sur le site georisques.gouv.fr, en précisant que l’Administration a encore "plein de développements en tête". Il met également en avant la nécessité de faire évoluer en continu les informations qui y figurent, à mesure de l’évolution de la connaissance des risques (la cartographie d’exposition aux risques naturels annoncée le 25 octobre par le Premier ministre pour 2027 aura peut-être vocation à intégrer le site), mais aussi afin de tenir compte "des aménagements opérés par les collectivités ou du développement urbain". "On est dans un marathon, pas dans un sprint", souligne Dominique Peduzzi, avant de préciser : "Pour autant, il faut qu’on marque rapidement un certain nombre de points."