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Congrès des maires - Co-construction avec les habitants : vers la maturité ?

Lors d’un forum du Congrès des maires intitulé "Co-construire avec les habitants : un atout pour le territoire", des maires, désormais rompus aux démarches de participation citoyenne, ont partagé les enseignements qu’ils tiraient de leurs expériences. Il a été question de cohérence entre le projet porté et les enjeux du territoire, de stratégies pour réussir à "mobiliser les gens sans les moraliser", d’équilibre à trouver entre le "pas de côté" nécessaire à la co-construction et le "chacun sa place", de conditions de réussite que sont à la fois la formation des élus et des agents et le caractère éthique de l’action menée…  

A Kingersheim (Haut-Rhin), Laurent Riche a pris la suite de l’emblématique Jo Spiegel pour animer le projet d’une "ville en transition écologique et démocratique" et pratiquer une "démocratie exigeante", à la fois "interactive", "lente" (qui se donne du temps) et "édifiante" (qui permet au citoyen "de découvrir, d’apprendre, de grandir"). "Le principe, c’est que tout projet, qu'il soit à l’initiative de l’équipe municipale ou des habitants, donne lieu à une séquence démocratique", a expliqué Laurent Riche, maire de Kingersheim, lors du forum organisé le 18 novembre 2021 dans le cadre du Congrès des maires 2021 de l’Association des maires de France (AMF), forum dédié à la "co-construction" avec les habitants. 

Varier les méthodes et les sujets pour intéresser le plus grand nombre

En tout, à Kingersheim, cela donne une soixantaine d’actions et de projets impliquant, d’une manière ou d’une autre, les habitants. Le fait de proposer de nombreux sujets, variés dans le fond et la forme, vise à "intéresser le plus grand nombre". Des habitants vont rejoindre des "diagnostics en marchant", consistant à "cheminer" dans le quartier pour aborder des problèmes de proximité et tenter de trouver des solutions, des médiations. D’autres préfèreront s’investir dans un "comité de pilotage" pour participer à une réflexion au long cours sur un sujet plus large, tel que le vélo ou encore la nature dans la ville. 

A L’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) aussi, l’équipe municipale multiplie les points d’entrée pour donner envie à des personnes très différentes de s’impliquer, avec l’idée qu’un parcours de la participation peut parfois s’enclencher. "On apprivoise le grand public à travers des sujets du quotidien, tels que la santé, l’alimentation, à travers des diagnostics en marchant et la réalité des quartiers… et ensuite on les ramène vers un pot commun", illustre Mohamed Gnabaly, maire de L’Île-Saint-Denis et rapporteur de la commission transition écologique de l’AMF. Les citoyens s’engagent ponctuellement, ou de manière plus pérenne au sein d’un groupe thématique – selon les sujets et l’appétence manifestée par les habitants, il peut y avoir tirage au sort pour constituer le groupe –, du conseil citoyen, du bureau de la vie associative, du bureau de la vie associative sportive, du comité senior, du comité jeunesse… "Au bout du bout, il faut réussir à parler le même langage que les gens, à les informer et les mobiliser sans les moraliser. Notre approche est de construire une palette d’outils qui permet à chacun de trouver sa place", poursuit Mohamed Gnabaly.  

La réactivité des services municipaux au service de la confiance 

C’est également la diversification des outils qui a permis à l’équipe municipale de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) de trouver une forme d’équilibre dans la dynamique de participation des habitants. Dès 2008, cette commune de 22.000 habitants met en place de façon volontariste des conseils de quartier. "Une première expérience un peu verticale : nous présentions des projets pour avoir l’avis des habitants. Et très vite, ces conseils de quartier ont constitué une ‘occasion de dire des choses’", raconte Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville. Ce dernier estime alors que les habitants doivent pouvoir faire remonter les difficultés d’une autre manière, sans attendre les quelques réunions annuelles du conseil de quartier. Depuis, le numérique a permis la mise en place d’un système de signalement en direct des problèmes des quartiers, avec un traitement au fil de l’eau par les services municipaux. Les conseils de quartier sont désormais centrés sur des projets et, selon le maire, ils ne sont plus un "exutoire". Pour un climat communal serein, "la réactivité est fondamentale : plus on est réactif, plus on apaise et on permet d’établir la confiance", confirme Etienne Lengereau, maire de Montrouge. 

On travaille ensemble mais chacun sa place ! 

Pour parvenir à cette forme de maturité dans leur dynamique de démocratie participative, les maires ayant témoigné ce 18 novembre ne se sont pas contentés de mettre en place des outils. Ils se sont interrogés sur leur posture et ont favorisé, via la formation notamment, l’évolution des façons de faire de leurs équipes, élus et agents. "Pour nous les élus, c’est un autre rapport au pouvoir. Je me dis très souvent maire-animateur, et pas maire-bâtisseur. On ne perd pas du tout le pouvoir ou le leadership quand on est dans ce rôle là ; au contraire, c’est beaucoup plus valorisant", insiste Laurent Riche. 

"Je suis un maire créateur du lien, qui informe et qui est dans le cambouis avec tout le monde", revendique de son côté Mohamed Gnabaly. "On a fait passer un message très clair : on sort l’intérêt général de l’hôtel de ville, on le pose sur la place publique, c’est l’histoire de tous : du tissu associatif, des entreprises, des habitants, des institutions", ajoute-t-il. Une invitation tellement explicite à l’endroit de la société civile qu’elle en vient à créer malgré tout une certaine confusion des rôles. "Aujourd’hui, j’ai une difficulté : j’ai des associations qui veulent monter sur la tête de l’institution, du fait de la posture qu’on a eue. Nous avons dit : vous êtes légitimes, vous êtes à votre place, nous avons besoin de vous. Et aujourd’hui, la difficulté c’est de leur dire : restez à votre place ! On travaille ensemble mais chacun sa place !"

Poser d’emblée le "périmètre démocratique" et les contraintes 

Pour que chacun comprenne bien les règles du jeu, la formation est nécessaire, selon le maire de Kingersheim. Élus, agents et même des habitants ont été formés dans la ville alsacienne. "Des habitants ont accepté d’être formés à l’ingénierie du débat public et aujourd’hui ils sont à nos côtés pour nous aider à animer des séquences", se félicite-t-il. Ce qui compte également, de son point de vue, c’est la clarification du cadre de la concertation, du "périmètre démocratique". En début de chaque processus, à Kingersheim, "on précise de quoi on débat et comment on le fait". Par exemple, on débat sur un projet de lotissement mais, "si ce lotissement doit être là parce qu’on ne peut pas faire autrement, on doit le dire clairement au départ", met en avant Laurent Riche. Cette manière de poser d’entrée les contraintes sur la table est selon l’édile un facteur de réussite parce qu’elle reflète "une éthique de l’agir public" qui consiste à "ne pas mentir aux gens" et à ne pas risquer de décevoir. Ce positionnement transparent permet par exemple à la ville de se saisir d’une pétition comme d’"une chance", d’une occasion de faire de la pédagogie auprès des habitants, de leur faire comprendre que l’élu n’est pas "un magicien qui va régler tous [leur] problèmes"…   

Autres conditions de réussite selon le maire de Kingersheim : "Une ingénierie et des moyens diversifiés" – pour donner des repères aux habitants – et "des temps forts pour susciter le désir de participation", tels que la journée citoyenne qui est mise en œuvre à l’échelle de l’agglomération de Mulhouse (voir notre article du 18 juin 2021 "Embellir la commune et consolider les liens : des maires vantent les mérites de la journée citoyenne").

La coopération avec les habitants pour résoudre des problèmes territoriaux 

Autant de témoignages enthousiasmants, mais un brin intimidants pour certains élus encore peu familiers de telles démarches. "Comment dégager des ressources, du personnel, quand notre commune n’a pas de centre de loisirs, est régulièrement inondée et doit refaire son réseau pluvial ?", s’interroge par exemple le maire d’une commune de 20.000 habitants proche de Toulouse.  

A L’Île-Saint-Denis aussi, "la question de la ressource revenait de manière récurrente", répond Mohamed Gnabaly. "Les ressources, ce sont les élus, l’administration et la société civile : qu’est-ce que chacun peut apporter au pot commun pour créer une valeur synergique qui est la coopération. Quand on n’a pas d’argent, on compte sur les gens", résume le maire de la commune populaire. Les maires ont invité leurs homologues à s’interroger sur leur passé, leur contexte, à commencer par susciter de petites initiatives citoyennes en lien avec les préoccupations des habitants et les enjeux du territoire…

Ils ont également expliqué que la coopération s’avère même indispensable pour mener à terme certains projets indispensables. C’est le cas à Awala-Yalimapo, en Guyane, territoire à l’embouchure des deux fleuves régulièrement menacé par la montée des eaux. Pour réviser la carte communale et y "intégrer un besoin de déplacement de la population", une commission consultative a été créée dans le but de favoriser le dialogue entre la municipalité et la population, représentée par des chefs traditionnels. Le dialogue est dans une telle configuration un prérequis pour faire coexister deux façons très différentes d’appréhender ces enjeux et "trouver une solution concertée", souligne Jean-Paul Fereira, maire d’Awala-Yalimapo. 

Dans certains cas, c’est de la dynamique citoyenne qu’émerge concrètement la solution, comme l’a illustré Sébastien Maire, délégué général de France Ville durable. Dans une ville de Virginie régulièrement inondée, aux États-Unis, la contribution des habitants a permis de cartographier précisément le potentiel d’absorption et de récupération d’eau pluviale de chaque parcelle du territoire. Équipés par la collectivité de citernes et de réservoirs, les habitants ont accepté de récupérer l’eau de pluie ; parallèlement, des espaces ont été débitumés. Il a été ainsi possible d’éviter l’opération coûteuse de remplacement du réseau d’eau pluvial. Selon Sébastien Maire, "c’est donc la participation habitante qui a permis de régler cette question environnementale". 

 

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