Miser sur l'envie d'agir des habitants : les bonnes recettes des territoires "laboratoires de la participation citoyenne"
Paris, Le Percy, le Gers... les collectivités, quelle que soit leur taille et leur configuration, peuvent expérimenter sur le terrain de la démocratie participative. Elles sont toutefois confrontées à plusieurs freins pour avancer. Ce fut l'objet d'une conférence organisée à Grenoble, ce 13 février, dans le cadre des Rencontres nationales de la participation.
Le dernier jour des Rencontres nationales de la participation - organisées par Décider ensemble avec une vingtaine de partenaires dont la ville et la métropole de Grenoble et la Banque des Territoires (voir notre article du 11 mars) - s'est ouvert sur une conférence intitulée "Les territoires, laboratoires de la participation citoyenne". Pas de point d'interrogation, a signalé Sylvie Barnezet, responsable de la participation citoyenne à la métropole de Grenoble et animatrice de ce temps d'échange. Pour elle, c'est en effet dans ces territoires qui s'efforcent d'avancer avec les citoyens et d'innover que s'invente "le renouveau de la démocratie locale".
Budget participatif : une mobilisation massive... à Paris comme dans le Gers
Adjointe à la démocratie locale, participation citoyenne, vie associative et jeunesse à la ville de Paris, Pauline Véron a présenté la démarche de la capitale, qui dispose aujourd'hui d'importants moyens pour associer les habitants à différents niveaux. Doté de 500 millions d'euros et ayant conduit depuis son démarrage à la réalisation de 1.400 projets, le budget participatif parisien a désormais une visibilité lui permettant de toucher un nombre significatif de personnes ; plus de 210.000 personnes auraient voté lors de l'édition 2018.
C'est plus que la population du Gers, qui compte 190.000 habitants. Mais dans le Gers, c'est dès la première édition du budget participatif – le premier à l'échelle d'un département – que la participation a été massive. "Nous avions tablé sur 10.000 participants et nous avons eu 35.000 habitants, soit 25% du corps électoral", s'est félicité Philippe Martin, son président. Pour lui, ce qui a permis la mobilisation des habitants, c'est le fait d'avoir "fixé les règles avec eux". En 2019, l'opération est reconduite et les habitants sont conviés, comme lors de la première édition, à un "atelier citoyen de coconstruction" (budgetparticipatif.gers.fr).
Dans les petites communes, la proximité avec les habitants existe mais "ne suffit pas"
Pour une collectivité, il n'est donc pas nécessaire d'avoir les moyens de Paris pour tenter d'instaurer un autre rapport avec les citoyens. "Je ne connais pas d'élu qui ne dise pas faire de la démocratie participative, qui ne dise pas écouter ses citoyens", a constaté Guillaume Gontard, sénateur de l'Isère. L'ancien maire du Percy, commune du Vercors de 200 habitants, a expliqué qu'il pouvait facilement avoir "la moitié de la population" lors de réunions publiques. Mais contrairement à d'autres élus qui s'en tiennent là, lui juge que "ça ne suffit pas" et que cette proximité de façade peut aller de pair avec "un fonctionnement très descendant" du maire, souvent suivi d'une "sanction aux élections suivantes".
L'élu isérois a donc cherché à "s'appuyer sur tout ce qui pouvait venir des associations et des citoyens", par exemple en soutenant un projet de ludothèque. "On les a aidés à croiser avec d'autres initiatives, à enrichir ce projet. D'abord en lien avec la bibliothèque, le projet a ensuite été élargi à l'échelle intercommunale, c'est maintenant presque un petit centre de loisirs avec accueil le mercredi", s'enthousiasme-t-il. Sans compter que de tels projets portés par les citoyens ne pèsent pas, ou peu, sur les finances de la collectivité.
Diversifier les propositions pour permettre aux habitants de s'impliquer selon leurs centres intérêt
Quel que soit le contexte local, les élus semblent d'accord sur un point : il faut miser sur le "pouvoir d'agir" – ou l'envie d'agir tout simplement ? – et les centres d'intérêt des habitants. Pour avoir envie de participer, le citoyen doit être dans une "position active", être "celui qui propose", a observé Pauline Véron. La ville de Paris s'appuie désormais sur des "volontaires" dans différents domaines : volontaires pour compter les personnes sans abri lors de la "nuit de la solidarité", "volontaires du climat" soucieux d'avancer dans leur quotidien et leur quartier (compost, recycleries, transports…), "volontaires de la démocratie"…
Autre leçon de ces élus ayant expérimenté : l'utilité de multiplier les propositions aux citoyens – justement pour que chacun s'implique selon ses centres d'intérêt – et de diversifier les formats. L'idée étant d'offrir des terrains d'apprentissage et de donner envie aux habitants de poursuivre, une forme de participation pouvant en entraîner une autre.
Assouplir le cadre législatif et éviter la "déperdition" liée aux changements politiques
Attention, cependant, au manque de visibilité pour les habitants, alerte Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi en Belgique. Dans sa ville de 200.000 habitants, il a voulu recréer un "espace public commun", en installant cinq "conseils de participation" composés de citoyens tirés au sort. En observant le fonctionnement de ces conseils dans les cinq quartiers, il estime qu'"on ne s'interroge pas assez sur ce que les politologues appellent la compétence civique" ; le sujet serait tabou. Il importe selon lui de se pencher sur l'apprentissage de cette compétence, qui ne serait pas liée au profil socio-économique – il cite l'exemple d'un médecin un peu fier de lui qui aurait bloqué la bonne marche du groupe, en monopolisant la parole…
Désireux d'aller plus loin dans l'expérimentation, les élus français ont surtout déploré des freins émanant du cadre actuel et de l'État. Complexe, la législation est "tatillonne" sur certains sujets et "floue" sur d'autres, a estimé Sylvie Barnezet. Annulé par le tribunal administratif suite à un recours préfectoral, le dispositif d'interpellation et de votation d'initiative citoyenne de la ville de Grenoble avait pourtant "reçu, en 2017, le prix de la participation et de la concertation", fait valoir la ville sur son site. Pour faciliter le recours aux référendums locaux, "la législation doit pouvoir évoluer", a jugé Pauline Véron.
Autre problématique soulevée : l'absence de continuité dans le temps pour beaucoup de dispositifs, du fait des alternances politiques, aussi bien au niveau national – "avec la fin des contrats de développement rural, on a perdu un vrai travail de lien", a témoigné Guillaume Gontard – qu'au niveau local – une voix dans la salle : "à chaque changement politique il y a déperdition et on réinvente l'eau chaude, tout le temps".