À Grenoble, les spécialistes de la participation citoyenne esquissent un premier bilan du Grand Débat
À l'ouverture des Rencontres nationales de la participation, élus et spécialistes de la concertation ont échangé sur le moment inédit qu'a représenté le Grand Débat national… alors que ce dernier ne touche pas encore tout à fait à sa fin, avec des conférences nationales et régionales qui se tiennent jusqu'au 23 mars. À l'approche des arbitrages présidentiels, le directeur de l'Association des maires ruraux de France a insisté sur la nécessité de "redonner de la place à la proximité".
Pour la troisième édition des Rencontres nationales de la participation qui se tient du 11 au 13 mars à Grenoble, Décider ensemble et ses partenaires – dont la ville et la métropole de Grenoble, la Banque des Territoires et l'Assemblée des communautés de France (voir notre article du 11 mars) –, a comptabilisé 850 inscrits. De quoi réjouir le président de Décider ensemble, Bertrand Pancher. "Nous sommes aujourd'hui dans le cadre d'un événement unique dans notre pays que jamais je n'aurais pu imaginer il y a quelques années", a déclaré en ouverture le député (groupe Libertés et territoires) de la Meuse, qui a fondé ce think-tank il y a 15 ans pour "créer une culture de la décision partagée". Depuis, incontestablement, la démocratie participative a pris de l'ampleur, s'est diffusée à l'échelle nationale comme dans les territoires, s'est professionnalisée… et surtout, avec la crise des gilets jaunes et la montée de revendications portant sur davantage de démocratie directe, puis le lancement du Grand Débat national, la participation citoyenne est, pour la première fois peut-être, un sujet d'actualité alimentant des discussions bien au-delà des cercles d'initiés.
C'est "une chance", "une formidable opportunité pour notre domaine de réflexion", a poursuivi Bertrand Pancher. Selon lui, "aujourd'hui tous les signaux sont au vert pour engager une réelle transformation de notre société" prenant en compte la demande d'implication des citoyens. La première séquence de ces Rencontres a permis à différents orateurs de revenir sur le caractère inédit de ce Grand Débat national et d'évoquer les suites.
"Espace d'apparition", le Grand Débat "a permis à tous ces gens de se raconter"
Citant le sociologue Louis Quéré, Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable, a considéré qu'une démarche de participation citoyenne était à la fois "un espace d'apparition" et "une scène d'exposition". "La grande vertu" d'une telle démarche selon elle, c'est de permettre à des "personnes de se montrer, de s'exprimer, de donner à voir leurs difficultés, leur détresse, leurs revendications, de se donner à voir en tant qu'acteur légitime dans un processus démocratique". "Il y a un besoin d'expression quasi cathartique de la population française qui se sent méprisée, pas comprise et délaissée", a-t-elle observé. Sur cet enjeu, le Grand Débat a été pour elle "un vrai succès", puisque "il a permis à tous ces gens de se raconter".
Quant au volet "scène d'exposition", c'est l'objectif explicité de toute démarche participative, celui d'"échanger sur le fond", d'"aller chercher des paroles différentes". Un exercice d'une "telle ampleur", dans le cadre du Grand Débat, qu'une "dimension de bricolage" s'est révélée inévitable, selon la commissaire générale au développement durable, pour parvenir à impliquer le plus grand nombre.
Derrière ces deux enjeux, l'objectif non dissimulé du président de la République en proposant cette démarche était de parvenir enfin à une sortie de crise, alors que le mouvement des gilets jaunes perdurait semaine après semaine avec une visibilité de plus en plus forte des manifestations violentes et des discours appelant à renverser le système.
Sur le statut des élus, "c'est quand ils veulent"
Cet objectif politique a été partiellement atteint, puisque les manifestations se sont progressivement taries et que nombre de gilets jaunes se sont prêtés au jeu du débat, soit dans le cadre "officiel" soit sous d'autres formes. Mais les semaines à venir s'annoncent décisives pour l'exécutif, avec consécutivement la phase de délibération avec les corps intermédiaires puis les conférences citoyennes, et enfin la présentation d'une première synthèse au terme d'un traitement express des données et l'annonce – attendue pour la mi-avril – de premières mesures par Emmanuel Macron.
La phase de délibération se matérialise ces jours-ci par la tenue des quatre conférences nationales thématiques : celles sur la transition écologique et la démocratie ont eu lieu le 11 mars, celles sur la fiscalité et les dépenses publiques et l'organisation de l'État et des services publics se tiennent ce 13 mars.
Les associations d'élus vont y porter leurs revendications dont Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a donné un aperçu ce 12 mars à Grenoble. "Cela fait quelques mandatures qu'on nous mène en bateau sur le statut des élus : c'est quand ils veulent", a-t-il en particulier interpellé. Il faut plus globalement "redonner de la place à la proximité" et, pour le directeur de l'AMRF, si les associations d'élus ne sont "pas entendues", "cela pose des questions plus structurelles". "On a besoin de réponses sur les impasses de la réforme territoriale, a-t-il poursuivi, aujourd'hui on ne peut plus décider là où les bonnes décisions doivent être prises."
Par ailleurs, il n'y a pas d'un côté les problèmes des élus locaux et de l'autre celui des citoyens, a-t-il fait valoir, considérant que "le sentiment d'abandon n'est pas qu'un sentiment" et qu'il fallait "accompagner" aussi ceux – élus, collectivités, associations… – qui étaient encore présents dans les territoires, aux côtés des habitants.
"Inventer une nouvelle méthode de travail avec les citoyens"
Au-delà des décisions qui concerneront spécifiquement les élus et les collectivités, les réponses à apporter aux citoyens dans leur ensemble – et dans leur diversité – est sans doute l'exercice le plus périlleux pour le chef de l'Etat et le gouvernement. "Les citoyens ont joué le jeu du grand débat", a salué Matthieu Orphelin, vice-président de Décider ensemble. "Maintenant il va falloir qu'il y ait une suite à la hauteur de ce Grand Débat", a insisté le député du Maine-et-Loire (désormais non-inscrit, après avoir quitté le groupe LREM). Pour lui, cela passe à la fois par de "grandes décisions à la hauteur des enjeux" et par l'invention d'"une nouvelle méthode de travail avec les citoyens".
D'ici là, les conférences citoyennes régionales auront lieu les 15-16 et 22-23 mars. Elles réuniront, "dans chaque région métropolitaine et d'Outre-mer", "70 à 100 citoyens tirés au sort et représentatifs de la diversité sociologique de chaque région", peut-on lire sur le site du Grand Débat. Une conférence sera en outre spécifiquement dédiée aux 18-24 ans.
Alors que la mission Grand Débat travaille dans des délais serrés pour organiser le bon déroulement de ces conférences et piloter les prestataires en charge du traitement des données, des démarches associatives et citoyennes telles que l'Observatoire des débats et la Grande Annotation réalisent en parallèle leurs propres analyses (Localtis y reviendra dans un prochain article).