Compensation de la CVAE : à cause d'une évolution technique, des intercommunalités auront un manque à gagner l'an prochain
La croissance de la fraction de TVA qui est allouée aux communes et aux intercommunalités en compensation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – c'est-à-dire le fonds d'attractivité économique des territoires – va être répartie, à partir de 2025, en tenant compte (pour deux tiers) des effectifs employés recensés au moyen des déclarations sociales nominatives (DSN). Les obligations déclaratives effectuées par les entreprises dans le cadre de la CVAE vont ainsi disparaître. Mais cette simplification ne sera pas sans effets sur l'évolution des ressources de nombreuses intercommunalités, pointe un rapport des inspections de l'État, resté longtemps confidentiel et publié début février. Il liste de nombreux "perdants", dont la métropole du Grand Paris.
La décision d'affecter selon de nouvelles modalités, à partir de 2025, la part dynamique de la TVA servant à compenser aux communes et aux intercommunalités à fiscalité propre la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) supprimée à partir de 2023, va entraîner des "variations" qui seront la plupart du temps favorables aux territoires. Mais les effets de cette modification seront négatifs pour un faible nombre d'entre eux, en particulier certaines métropoles. C'est ce qui ressort d'un rapport d'une "mission flash" menée par les inspections de l'État – inspection générale de l'administration (IGA) et inspection générale des finances (IGF) – ayant été remis en mai 2023 au gouvernement, mais qui n'a été publié qu'au début de ce mois.
Ce rapport, qui avait été commandé en février 2023 par le ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, et la secrétaire d'État chargée de la ruralité, Dominique Faure, n'est cependant pas resté dans un placard. Ses constats et principales préconisations ont fait l'objet d'une présentation aux associations d'élus locaux au printemps 2023 – en sachant que le rapport lui-même ne leur a pas été remis à l'époque. Un décret du 27 novembre 2023 (voir notre article dédié) en a repris ensuite les conclusions. Ce texte qui porte sur la répartition de la part dynamique de TVA affectée au bloc communal en compensation de la CVAE, laquelle constitue le fonds national d'attractivité économique des territoires (Fnaet), reprend les préconisations des inspections.
Des erreurs dans les déclarations
Pour bien comprendre le rôle et la place du Fnaet, il faut rappeler que la fraction de TVA allouée aux communes et à leurs groupements en guise de compensation de la CVAE est divisée en deux parts. La première est figée et correspond à la moyenne de leurs recettes de CVAE entre 2020 et 2023, tandis que la seconde, liée à l’évolution de la TVA nationale (si elle est positive), est versée en tenant compte de la réalité économique des territoires. Cette seconde part correspond au Fnaet. Le décret de novembre dernier prévoit qu'il sera réparti en fonction de deux critères : les valeurs locatives (pour un tiers) et les effectifs employés (pour deux tiers). De tels indicateurs ne sont absolument pas révolutionnaires, puisqu’ils étaient déjà utilisés pour la répartition de la CVAE. Toutefois, à partir de 2025, les effectifs des entreprises ne seront plus déterminés à partir de la déclaration spécifique 1330 liée à la CVAE. Celle-ci va disparaître : à la place, la direction générale des finances publiques (DGFIP) utilisera les données sur les effectifs salariés provenant de la déclaration sociale nominative (DSN). Obligatoire, cette dernière permet aux organismes de protection sociale de disposer chaque mois de nombreuses informations sur les salariés.
Cette modification était préconisée par la mission flash, qui mettait en avant deux avantages : une simplification pour les entreprises, ainsi qu'une fiabilisation des données servant à la répartition du Fnaet. En effet, la déclaration 1330 ne reflète pas la réalité des effectifs des entreprises, du fait d'"erreurs" réalisées par les entreprises dans leurs déclarations. En outre, les entreprises multi-établissements déclaraient parfois les mêmes salariés plusieurs fois dans différents endroits.
Des "gagnants" et des "perdants"
Dans un premier rapport de juin 2014 sur la répartition de la CVAE, l'IGF et l'IGA avaient déjà souligné que "la fiabilité du critère des effectifs" n'était "pas assurée" dans le mode de répartition de la CVAE. Elles recommandaient déjà d'abandonner la déclaration 1330 au profit de la DSN, dispositif jugé beaucoup plus fiable. Mais les inspections n'ont pas été entendues à l'époque.
L'utilisation de la DSN en remplacement de la déclaration 1330 entraînera des "variations" qui, dans la majorité des cas seront favorables aux intercommunalités à fiscalité propre. Selon les scénarios, entre 858 et 879 d'entre elles seront "gagnantes" (avec un gain moyen de l'ordre de 60.000 euros), évaluaient les inspections de l'État, sur la base d'une estimation à 322 millions d'euros du montant du Fnaet pour 2023. Le nombre de "perdantes" étant, lui, évalué entre 259 et 280, avec des "pertes moyennes" évaluées entre 221.000 et 250.000 euros.
Toutefois, la métropole du Grand Paris (MGP) apparaît comme la principale perdante. En appliquant les effectifs de la DSN à la compensation de la CVAE pour 2023, les inspections aboutissent à un manque à gagner de plus de 40 millions d'euros pour la MGP, représentant 5,65 euros par habitant. "Il est probable que les effectifs soient, de manière erronée, comptabilisés doublement : dans les établissements et pour la totalité aux sièges sociaux. La MGP serait le premier bénéficiaire de ces erreurs. Évidemment ces erreurs n’existent pas si on utilise la DSN", expliquent les inspections. D'après les simulations de l'IGF et de l'IGA, la métropole de Lyon enregistre une moindre croissance de la TVA de 2,7 millions d'euros (soit 1,91 euro par habitant) en se fondant sur l'estimation du montant du Fnaet pour 2023. Toulouse métropole, la métropole d'Aix-Marseille-Provence, Bordeaux métropole, la métropole européenne de Lille, la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, la communauté d'agglomération de Versailles Grand Parc sont également cités parmi les principaux "perdants" du passage à la DSN. A la quinzième place des intercommunalités à fiscalité propre les plus touchées, on trouve Grenoble-Alpes-métropole, avec un manque à gagner de 375.000 euros (soit 0,83 euro par habitant).
"Un petit caillou dans la chaussure"
La modification du recensement des effectifs des entreprises servant à la répartition du Fnaet – qui aura lieu en 2025 – est "défavorable" à un certain nombre de grandes intercommunalités, dont de nombreuses métropoles, reconnaît Franck Claeys, délégué adjoint de France urbaine, l'association qui fédère les élus des grandes villes et de leurs intercommunalités. En nuançant toutefois, l'importance des variations qui seront enregistrées par les plus grands groupements de communes. Ces derniers "ont été, d'une certaine façon, bénéficiaires pendant quelques années du manque de fiabilisation" de la déclaration des effectifs effectuée pour la répartition de la CVAE, estime le délégué adjoint de France urbaine. La comparaison de la répartition du Fnaet en conservant la déclaration 1330 avec celle qui prévaudra avec la DSN (dispositif plus fiable), fait apparaître "une moindre croissance" de la part dynamique de la TVA. "Si la TVA augmente de 5% ou 6%, ce passage d'un mode de répartition à un autre sera "un petit caillou dans la chaussure", déclare-t-il. En revanche, "si la TVA est à 0% (de croissance), ce sera plus embêtant". Mais, il y a vraiment un sujet sur la métropole du Grand Paris, souligne l'expert. En effet, la problématique de double déclaration (localement et au siège) effectuée par les entreprises dans le cadre de la "1330" est "essentielle" dans le cas de la MGP. Ensuite, "la tuyauterie propre à la MGP conduit à ce que celle-ci ait une sensibilité toute particulière à la CVAE".
"France urbaine a une lecture positive des travaux des inspections et de ce qu'il en est sorti, à savoir le décret (du 27 novembre 2023)", conclut Franck Claeys, qui souligne "le côté réaliste du rapport".
Pour rappel, la CVAE a été réduite de moitié en 2023 et la moitié restante sera progressivement supprimée d'ici 2027. Mais les départements et le bloc communal, collectivités bénéficiaires de cet impôt jusqu'en 2022, perçoivent une compensation (sous la forme d'une fraction de TVA) correspondant à la totalité du produit de CVAE qu'ils percevaient.
"La TVA présente un profil plus régulier et prévisible sur longue période" que la CVAE "dont les évolutions sont erratiques" (-21 millions d'euros en 2021, puis -27 millions d'euros en 2022, du fait de la crise sanitaire et économique de 2020)", déclare la métropole du Grand Paris (MGP) à Localtis. "La perception de la TVA en substitution de la CVAE est ainsi de nature à renforcer la visibilité budgétaire à moyen terme de la métropole, sous réserve que la quote-part de la métropole dans la part dynamique nationale reste à un niveau équivalent à son poids dans l’ancienne CVAE (environ 25%)", souligne-t-on dans l'entourage du président de la MGP, Patrick Ollier. Où l'on a acté le fait qu'à partir de 2025, les données utilisées pour le recensement des effectifs ne seront plus issues des déclarations des entreprises dans le cadre des obligations déclaratives de CVAE, mais des effectifs salariés recensés dans les déclarations sociales nominatives (DSN) gérées par l'Urssaf. "Cette modification des bases de données de répartition ainsi que la suppression d’un système de pondération favorable aux effectifs des entreprises industrielles, génèrent une incertitude sur la quote-part de la métropole à partir de 2025, dont l’impact sur le produit perçu peut être considérable", estime l'institution dont le siège est situé dans le 13e arrondissement de la capitale. En faisant savoir que dès janvier 2023, le président de la MGP a souligné auprès de la Première ministre et des ministres concernés "l’enjeu financier considérable, pour la métropole du Grand Paris, que constitue la définition des critères de répartition" du Fnaet. De son côté, Gilles Carrez, président de la commission des finances de la métropole, "a alerté" les inspections de l'État, lors de leurs travaux, sur "la très grande sensibilité" de la fraction dynamique de la TVA "pour les ressources de la métropole et le financement de ses politiques publiques". "La métropole du Grand Paris reste très vigilante car, jusqu’à présent, aucune donnée sur les écarts induits par le passage du calcul des effectifs salariés à partir des déclarations de CVAE au calcul des effectifs salariés à partir des DSN ne lui a été communiqué directement", conclut l'entourage de Patric Ollier. |