Compensation de la suppression de la CVAE : le différend persiste entre les élus locaux et l'exécutif

Contrairement à ce que prétend le gouvernement, la compensation de la suppression de la CVAE n'est pas opérée "à l'euro près", dénonce le président du comité des finances locales (CFL), André Laignel. D'un seul chœur, les élus locaux membres de l'instance ont voté, mardi, contre un projet de décret qui apporte des précisions attendues sur le sujet.

Le gouvernement tente de démontrer aux élus locaux qu'il noue avec eux un dialogue étroit, notamment sur les grands dossiers des finances publiques. Le lancement, le 19 septembre, du Haut Conseil des finances publiques locales (voir notre article) - une instance qui, selon le ministre de l'Économie, doit permettre une discussion "d'égal à égal" entre les protagonistes - illustre cette préoccupation. Mais les élus locaux attendent des actes concrets, qui ne sont pas, selon eux, toujours au rendez-vous. L'un des derniers exemples en date de ce hiatus a trait à la compensation de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Un sujet qui était à l'ordre du jour de la séance du comité des finances locales (CFL), ce 26 septembre. Plus exactement, l'instance de concertation en matière de finances locales examinait un projet de décret précisant les modalités de répartition, à partir de 2024, de la progression de la TVA affectée au bloc communal (dans les faits, principalement les intercommunalités à fiscalité propre), en compensation de la CVAE supprimée.

Pour rappel, la fraction de TVA est divisée en deux parts pour les communes et les groupements auxquels elle est affectée : la première est figée et correspond à la moyenne de leurs recettes de CVAE entre 2020 et 2023, tandis que la seconde, liée à la dynamique de la TVA nationale (si elle est positive), est affectée à un fonds national de l'attractivité économique des territoires (FNAET). Le but est de verser cette part de la TVA en tenant compte de la réalité économique des territoires. Le FNAET s'élève à 608 millions d'euros en 2023.

"Hold-up"

Dans l'ensemble, les dispositions du projet de décret donnent satisfaction aux associations d'élus locaux. Elles reconduisent les critères de répartition qui étaient utilisés pour la CVAE : les valeurs locatives (pour un tiers) et les effectifs employés (pour deux tiers). À partir de 2025, les données sur les effectifs salariés proviendront de la déclaration sociale nominative (DSN).

Pour autant, les élus membres du CFL se sont prononcés, à l'unanimité moins une abstention, contre le projet de texte. Pour eux, le compte n'y est pas, en ce qui concerne la compensation globale du bloc communal et des départements - pour rappel, les régions ont cessé en 2021 de percevoir la CVAE.

Au début du printemps, les élus locaux avaient déjà exprimé des inquiétudes sur le sujet (voir notre article du 22 mars). Ils pointaient le risque qu'une partie de la compensation accordée cette année, soit remise en cause ultérieurement. Six mois plus tard, le doute n'est plus de mise, et laisse place à un sentiment d'injustice. "11,3 milliards d'euros auraient dû revenir aux collectivités directement", souligne André Laignel, le président du CFL. Or, d'après lui, les collectivités n'ont été véritablement compensées "qu'à hauteur de 10,6 milliards d'euros". La différence leur est certes allouée, mais elle est fléchée vers le fonds vert (pour 500 millions d'euros) - un dispositif "particulièrement centralisé" - et les services d'incendie et de secours (150 millions d'euros). Au total, "700 millions ont été distraits des bases de CVAE. C'est un hold-up !", s'insurge André Laignel.

Qui sont les perdants ?

Or, selon les informations communiquées par Bercy au président du CFL, cette somme ne sera pas intégrée aux bases de calcul de la CVAE pour 2024. "Nous perdons pour l'éternité des temps 700 millions [d'euros] de bases", a déploré l'élu. A cause des arbitrages de l'exécutif, il y a [des collectivités et des groupements] qui ont perdu beaucoup", souligne-t-il. Qui sont les perdants ? Nul ne le sait. "Ça fait au moins six mois que je réclame d'avoir les chiffres", dénonce le président du CFL. Mais, il n'a pour le moment obtenu aucune réponse de la part des ministères concernés. Le gouvernement se garde bien également de communiquer le rapport de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de l'administration, dont les préconisations ont contribué à déterminer les critères de répartition du FNAET. Pour l'heure, ni le président du CFL, ni les associations d'élus locaux n'ont été destinataires du rapport.

Pour le CFL, il était hors de question, ce 26 septembre, d'"acheter un lièvre en sac", comme l'a résumé André Laignel. L'instance a donc, à l'unisson, voté contre le projet de décret. Avec de telles déconvenues, "c'est complexe pour être ensuite dans la confiance", a jugé le maire d'Issoudun. Qui peut tout de même se satisfaire d'avoir reçu le feu vert de Bruno Le Maire sur l'engagement d'une "revue des recettes" des collectivités locales, une idée qu'il a défendue lors de l'installation du Haut Conseil des finances publiques locales. Un exercice confié aux inspections de l'État, qui, d'ailleurs, pourrait porter, entre autres sur la compensation de la suppression de la CVAE, et, donc, apporter peut-être des réponses aux interrogations des élus. A condition, toutefois, que les constats et conclusions soient partagés avec ces derniers…

  • Étalement de la suppression de la CVAE : l'État partagera-t-il la croissance de cet impôt ?

Après les arbitrages gouvernementaux de cet été, la CVAE ne sera définitivement supprimée qu'en 2027. La croissance éventuelle de cet impôt, qui revenait aux collectivités et à leurs groupements jusque fin 2022, devrait bénéficier au monde local, estime le président d'Intercommunalités de France. "La croissance éventuelle de cet impôt pourrait à nouveau abonder le fonds vert", écrit-il dans un courrier au ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave et à son collègue chargé de la transition écologique, Christophe Béchu.

"Ce reversement serait d'autant plus légitime si la TVA affectée aux intercommunalités en compensation de la suppression de la CVAE s'avérait moins dynamique que la CVAE que l'État continuera de percevoir", souligne Sébastien Martin. L'association examinera avec attention les montants de CVAE perçus par l'État en 2023, lorsque ceux-ci seront communiqués. Sur ce dossier plus généralement, Intercommunalités de France fera preuve de "la plus grande vigilance", souligne-t-elle.

 

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